L’ARTICLE 7 DU PROJET DE LOI DADVSI CROQUE DANS LA POMME

Le projet de loi DADVSI (Droits d’Auteur et Droits Voisins dans la Société de l’Information), dont le vote a été achevé la semaine dernière par l’Assemblée Nationale, persiste à être le sujet de polémiques. Ce texte semble définitivement voué à l’opprobre générale !! Il est d’ailleurs fâcheux que le droit d’auteur soit ainsi instrumentalisé, d’un côté comme de l’autre ; nul ne sait maintenant où se trouvent ses réels défenseurs. Seul l’argent semble dominer le débat. Ainsi en est-il par exemple de l’article 7 du texte précité.

Ledit article figure parmi les plus discutées, les plus redoutées, les plus maudites des dispositions du projet : il légalise en effet les mesures techniques de protection des œuvres, mieux connues sous le vocable de DRM (Digital Rights Management). Mais il dispose également que lesdites mesures ne sauraient avoir pour effet d’empêcher l’interopérabilité des différents supports avec différents lecteurs.
Alors que le texte semblait poursuivre un objectif de conciliation entre les intérêts des ayants droit et des consommateurs, aucune des deux parties n’est satisfaite !

S’agissant des seconds tout d’abord, nombreuses ont été les protestations contre l’utilisation de telles techniques, jugées attentatoires aux libertés des personnes. Nous ne reviendrons pas sur ce débat dont la problématique est désormais suffisamment connue. Néanmoins, la lecture de l’article reste édifiante.

Les mesures techniques de protection y sont définies comme il suit : « mesures techniques efficaces destinées à empêcher ou limiter les utilisations non autorisées par le titulaire d’un droit ».

L’emploi du qualificatif « efficace » paraît quelque peu décalé pour un texte juridique ; d’après le Ministre, l’insertion de ce mot signifie que ces mesures doivent permettre le contrôle des utilisations des œuvres grâce à « l’application d’un code d’accès, d’un procédé de protection, tel que le cryptage, le brouillage ou toute autre transformation de l’objet de la protection, ou d’un mécanisme de contrôle de la copie qui atteint cet objectif de protection ». En d’autres termes, il s’agit de mesures dont l’effet est garanti sur le consommateur, pour le compte des titulaires de droits, dont l’intérêt est ici en jeu.

Mais était-il vraiment nécessaire de retenir un adjectif qualitatif, dont l’emploi est de plus justifié par des considérations sans rapport avec les performances des mesures qualifiées ? Faudrait-il entendre, a contrario, que les mesures dont l’inefficacité est avérée ne seront pas elles-mêmes juridiquement protégées (ce qui serait le comble) ? Vu les compétences techniques des crackers, il est évident que les mesures jugées « efficaces » actuellement, au sens commun du terme, ne le seront plus d’ici peu. Peut-être est-ce vraiment l’intérêt du texte de ne protéger que les mesures les plus inexpugnables.

Quoi qu’il en soit, on peut s’attendre à ce que l’emploi surabondant de ce mot attise le feu allumé par les contestataires du projet, ayant une connotation quelque peu agressive, dans le contexte actuel comme dans son contexte textuel. Le péché et même la tentation sont donc bien proscrits pour les consommateurs !

A l’inverse, les ayants droit, et au premier plan, les producteurs, devraient se réjouir de la présence de telles dispositions, qui leur permettront de protéger « efficacement » les contenus qu’ils produisent. Tel ne semble pourtant pas être le cas et le marché français risque de s’aliéner une pomme de poids : le service iTunes, de Apple.

La firme s’indigne en effet du principe d’interopérabilité retenu dans le même article 7. Comme susmentionné, les DRM, s’il pourront empêcher la copie illicite ou au moins en contrôler le nombre, ne pourront pas empêcher la lecture de tous types de supports sur tous types de lecteurs… principe qui va à l’encontre des intérêts de Apple, dont le service iTunes est entièrement basé sur le verrouillage entre la plate-forme de téléchargement et le baladeur iPod. Il serait ainsi possible de transférer sur un iPod de la musique téléchargée sur une plate-forme concurrente ou, inversement, de transférer de la musique téléchargée sur iTunes sur un modèle de baladeur concurrent.

Le texte ajoute que les fournisseurs de mesures techniques doivent donner l’accès aux informations essentielles à l’interopérabilité, et qu’à défaut, ils ne peuvent s’opposer à ce que les consommateurs procèdent eux mêmes aux opérations de décompilation nécessaires pour obtenir lesdites informations. De plus, un Tribunal de Grande Instance peut, sur demande, forcer un tel fournisseur à révéler ces informations.

Toutes ces dispositions provoquent la colère de Apple, dont on craint qu’il ne souhaite se retirer du marché français, mais aussi de ses concurrents outre Atlantique. Toute leur stratégie repose sur la segmentation du marché, sur l’exclusivité des contenus, de leurs supports et de leurs lecteurs les uns envers les autres. L’idée même de partager certaines ressources, telles que les contenus, avec les concurrents est impensable. Les artistes qui ont signé avec certains producteurs ne seraient du coup disponibles que sur certains supports. Cela supposerait, si le consommateur désire avoir un large éventail de choix, de posséder tous les types de lecteurs et de supports disponibles sur le marché ; au final, seule une minorité de personnes seraient à même de consommer de tels produits, ce qui va à l’encontre même du marché.

Cette attitude n’est pas nouvelle et l’histoire des médias en regorge d’exemples.
Ainsi en a-t-il été lors du développement de la téléphonie aux Etats-Unis, au début du siècle dernier ; les opérateurs d’alors possédaient leur propre système de transmission, totalement incompatible avec celui des autres. Il fallait donc que le poste émetteur et le poste récepteur soient pris en charge par la même entreprise pour établir une transmission ! La récupération de son monopôle par la AT&T, opérateur historique, a permis un retour à la normale.
De même en est-il actuellement de la norme technique HDCP, qui permettra de verrouiller la diffusion télévisuelle des contenus. L’on peut citer également les formats de supports HD-DVD et Blue-Ray, remplaçants du DVD ; les producteurs concernés, tels que Sony ou Warner, adoptent exactement la même attitude que Apple, cherchant à s’assurer leur propre réseau d’exclusivités, de la création du contenu jusqu’à sa consommation.

Les dispositions susvisées relatives à l’interopérabilité ont donc le mérite de prévenir de telles menaces dans l’intérêt du consommateur et, au-delà, du marché. Le partage et l’échange d’un minimum de ressources, d’informations, est souvent bien plus bénéfique pour l’économie que la répartition et la segmentation de quelques propriétés privées.

En relation avec la légalisation des DRM, ces dispositions constituaient un juste équilibre entre les droits des utilisateurs et ceux des producteurs. Mais ni les uns ni les autres ne sont satisfaits.
Qu’en pensent les auteurs, dont les droits sont censés être en jeu ?

Source : http://www.zdnet.fr

Philippe MOURON