LE SPAM POLITIQUE : FAUSSE NOUVEAUTE SELON LA CNIL

L’utilisation des données personnelles semble vouée à se généraliser et les finalités des traitements sont de plus en plus diverses. Après la prospection commerciale, qui est désormais d’une grande banalité, le traitement de données intéresse maintenant la propagande politique. L’occasion est belle, en effet, d’atteindre directement le citoyen électeur !
Si ce type de prospection n’échappe pas à la réglementation en vigueur, fort rigoureuse, sa finalité ne la soumet pas néanmoins à un régime dérogatoire. La CNIL vient d’en décider ainsi, dans une affaire qui trouve ses sources en septembre 2005.

L’UMP avait alors lancé une vaste campagne de recrutements par e-mails, en prévision de l’élection présidentielle. Près de 2 millions d’internautes ont ainsi été touchés par des « spams politiques » ; à ce jour, il s’agit de la plus grande campagne électronique à finalité électorale jamais réalisée !

Le procédé n’a toutefois pas eu l’effet escompté par le parti. Des plaintes ont immédiatement été déposées par un certain nombre de personnes visées, qui considéraient qu’une collecte déloyale de leur données avait été effectuée. Une coopérative d’hébergeurs a même envisagé une action collective.
Face à ces réactions, l’envoi des messages a été suspendu par les prestataires en charge de l’exécution de la campagne.

Ces derniers, pour leur défense, affirmaient que les fichiers qu’ils utilisaient étaient parfaitement conformes aux exigences posées par la loi. Les personnes qui y figuraient avaient ainsi parfaitement consenti à ce que des collectes de leurs donnée soient effectuées, selon le principe même de l’opt-in (consentement exprès). La méthode employée ne serait donc pas déloyale.

L’argument a été jugé fallacieux par les internautes et les hébergeurs qui, en retour, se fondaient sur une directive de la CNIL en date de 1996. Selon ce texte, les personnes dont le consentement à la collecte est sollicité doivent être informées que celle-ci peut servir à des finalités politiques. Tel ne semble pas avoir été le cas en l’espèce.

Ce contre argument peut encore être contesté ; en effet, cette analyse hâtive des textes écarte le droit d’opposition dont bénéficie les personnes dont les données sont collectées. Ce droit, qui remonte à la loi Informatique et Libertés d’origine, de 1978, a été maintenu malgré la réforme du 06 août 2004, devenant complémentaire au principe du consentement exprès, notamment dans des cas tels que celui qui nous intéresse.

Alors qu’un débat judicaire commençait à s’engager sur ce terrain, la CNIL s’est saisie du dossier ; sa réponse a été rendue publique en ce début de mois d’avril.

Après une enquête approfondie auprès des différents prestataires concernés et des responsables de l’UMP en charge de la campagne, elle n’a décelé aucune atteinte dans les traitements exécutés. Ces derniers sont parfaitement licites, les conditions posées par la loi ayant été respectées à tous les niveaux ; les bases de données avaient bien été constituées avec le consentement exprès des personnes. L’ensemble du dispositif était d’une transparence sans faille.

Au-delà, la CNIL a même rappelé le caractère exemplaire de ce dernier, notamment du fait que la gestion de la campagne ait été déléguée à des prestataires indépendants, faisant en sorte que les données ne tombent entre les mains des responsables de l’UMP. Ces derniers, interrogés, ont bien confirmé qu’ils n’avaient nullement connaissance de l’identité des personnes démarchées. Le risque important de voir une « liste rouge » d’opposants supposés a donc été prévenu ; la CNIL a largement insisté sur ce point.

Elle affirme en conséquence que le spam politique n’a aucune spécificité par rapport au spam commercial. Le même régime leur est applicable. La même exigence de transparence dans le traitement des données l’est aussi.
Implicitement, elle reconnaît que le consentement donné pour une collecte à finalité commerciale serait aussi valable pour une collecte à finalité politique. Le président de la CNIL rappelle néanmoins la nécessaire application de la directive de 1996, dans l’attente d’une éventuelle distinction.

Quoi qu’il en soit, face à cette nouvelle pratique, et à l’approche des élections présidentielles, la Commission entend bien prendre les devants. Une réunion va en effet être organisée début mai, avec les représentants des partis politiques, afin d’établir un certain nombre de règles applicables à la nouvelle propagande électronique. Un code de bonne conduite devrait même être rédigé.

La CNIL fait pour l’occasion une parfaite application de ses pouvoirs de régulation, en collaboration avec les acteurs privés intéressés à cette pratique. Celle-ci est un nouvel exemple des nombreuses pratiques induites par les NTIC, lesquelles ne vont pas faciliter l’action de la Commission, son président ayant encore alerté le Gouvernement sur l’insuffisance des moyens mis à sa disposition au regard de ses missions.

Source : http://www.zdnet.fr
Philippe MOURON