VOD ET CHRONOLOGIE DES MÉDIAS: LA POSITION DU LÉGISLATEUR FRANÇAIS ET DES ÉTATS MEMBRES.

Le téléchargement de fichiers musicaux par Internet a pris et continue à prendre l’industrie phonographique de court. Cinq ans après le début de ce phénomène, les industriels du disque ne savent toujours pas comment réagir face au téléchargement illégal. Du reste, ils ne savent pas non plus comment réagir efficacement face au téléchargement légal. En France, les offres existantes sont plus souvent le fait d’outsiders (Apple/i-Tune, Fnac/Fnac Music, Virgin/Virgin Méga) que de majors de l’industrie phonographique (il y a tout de même Universal avec e-compil). Dans tout les cas, en attendant que la pertinence et la viabilité du modèle économique des uns et des autres soient démontrées (Virgin espère rentabiliser son offre en 2008 ), le volume des téléchargement illégaux continue à croître et les majors, de se lamenter.

Aujourd’hui, la question se pose de savoir si ce schéma va se reproduire dans l’industrie cinématographique. La réponse est oui et non. Oui, parce que le téléchargement illégal est déjà une réalité : d’après le CNC, 37,9% des films sortis dans les salles françaises entre août 2004 et juillet 2005 ont été piratés et transférés sur Internet . Non, parce que le débat autour du téléchargement légal de vidéo a déjà commencé. Il est donc encore possible de structurer le secteur en amont, avant que les offres des outsiders fassent irruption sur le marché.

L’offre légale de téléchargement de films est, pour le moment, essentiellement liée aux projets de vidéo à la demande (VOD, pour video on demand), notamment portés par les fournisseurs d’accès à Internet (FAI). L’engouement pour la VOD s’explique par la liberté d’action qu’elle offre au consommateur. Après avoir téléchargé le programme audiovisuel (film, émission, série…), celui-ci peut en effet le visionner au moment de son choix, en une ou plusieurs fois. Le téléspectateur se trouve ainsi libéré de la contrainte de la diffusion directe. Autre avantage : le consommateur a le choix du support sur lequel il souhaite regarder le programme acheté (poste de télévision, écran d’ordinateur, téléphone portable de troisième génération…).
Les perspectives offertes par la VOD fascinent les uns autant qu’elles effraient les autres. Et c’est naturellement autour de la VOD que les débats s’articulent, l’objectif étant –on l’a vu- d’encadrer l’exercice de cette nouvelle activité. On pourra, dans ce domaine, bénéficier de l’expérience nord-américaine puisque, aux Etats-Unis, la VOD est d’ors et déjà une réalité économique, installée aux cotés des moyens classiques de diffusion.

C’est du côté des lois antérieures que le droit français cherche une solution.
Question : la VOD doit-elle être intégrée à la ‘’Chronologie des médias’’ et si oui, à quel degrés ?
La notion de ‘’Chronologie des médias’’ date de 1983. Celle-ci avait pour but de réglementer l’exploitation cinématographique d’une œuvre tout au long de sa durée de vie. Il s’agissait, dans l’esprit du législateur, de protéger les exploitants de salles de cinéma de la concurrence exercée par les sociétés de télévision. Dans les années 90, le développement de la distribution/location de vidéos et de DVD a rappelé que la notion de ‘’Chronologie des médias’’ n’avait rien perdu de sa pertinence. C’est à nouveau le cas aujourd’hui, alors que les FAI et les exploitants de VOD fourbissent leurs armes. C’est donc en soumettant la VOD à la notion de ‘’Chronologie des médias’’ que le législateur pourra définir le cadre légal dans lequel cette activité VOD (et assimilées) devra être exercée.
La chronologie des médias
– Jour J : sortie en salle (date de départ fixée au jour de la délivrance du visa d’exploitation)
– Jour J plus 6 mois : mise en location ou en vente par les exploitant vidéo
– Jour J plus 9 mois : mise à disposition en mode Pay-per-view ou en mode paiement à la carte type Kiosque
– Jour J plus 12 mois : diffusion sur les chaînes cryptées
– Jour J plus 24 mois : diffusion sur les chaînes en clair pour les œuvres de coproduction
– Jour J plus 36 mois : diffusion sur les chaînes en clair pour toutes les œuvres

Le débat oppose d’un côté les exploitants de salle et les auteurs des œuvres et de l’autre côté, les FAI et les exploitants de VOD. Les premiers souhaitent reculer au maximum le délai d’intégration alors que les seconds un délai qui soit le plus court possible. Au sens du droit existant, la solution à envisager serait plus favorable aux FAI et aux exploitants dans la mesure où la définition de la VOD n’entre pas dans le champ d’application de la loi de 1986 relative aux services de télévision. De plus, la loi du 11 avril 1996 relative aux expérimentations dans le domaine des nouvelles technologies et services de l’information, ainsi que l’article 302 bis KE du code général des impôts assimilent expressément « la VOD à une exploitation sous forme de vidéogrammes ». A ce jour, le délai devrait être porté à 6 mois après la sortie en salles mais le législateur n’a pas encore tranché la question de façon définitive.

Autre problème juridique qui est apparu avec la banalisation de la VOD : celui du respect du droit d’auteur. En effet, s’agissant d’une œuvre audiovisuelle, il est nécessaire que les co-auteurs et les auteurs soient sollicités afin d’obtenir leur autorisation pour l’exploitation de l’œuvre en mode VOD.
Pour parvenir à une solution, il faut chercher à connaître l’existence ou non d’une cession des droits à un producteur audiovisuel. Toutefois les exploitants d’œuvre VOD et les FAI doivent détenir la preuve de cette cession. A défaut ils seront contraints d’obtenir des auteurs et co-auteurs leur consentement. A ce sujet, les FAI ont fait une proposition au législateur : celle d’établir un accord type avec les sociétés détentrices des cessions attachées aux oeuvres audiovisuelles.

Il faut, enfin, évoquer un autre texte qui, lorsqu’il sera adopté, facilitera probablement le travail du législateur. Il s’agit de la révision de la directive TSF de 1989 prévue pour le début de l’année 2006. Celle-ci permettra au législateur français de prendre, en conformité avec le droit européen, les dispositions nécessaires à l’harmonisation du régime juridique applicable aux acteurs du secteur de l’audiovisuel.

Source : Revue « Expertises », nov 2005

Jeanne GILLES