NECESSITE ET CONSEQUENCES D’UNE REDEFINITION DE L’ŒUVRE AUDIOVISUELLE

Suite à une série de consultations rendues en mars par le groupe de travail “ Production audiovisuelle ” du CSA et à l’imbroglio juridique issu de la décision du Conseil d’Etat du 28 décembre 2001 (Affaire Popstars) une nouvelle définition de l’œuvre audiovisuelle semble bien nécessaire.
Une définition positive résoudrait de nombreuses difficultés :
Tout d’abord en vue de simplifier la définition existante dont la portée s’est trouvée largement étendue par la jurisprudence à l’encontre même des conclusions du Commissaire du Gouvernement sensé garantir la bonne interprétation de l’intention du législateur. En effet, si la norme législative (issue de la représentation nationale) n’est pas assez clair, elle remet en cause la séparation des pouvoirs puisqu’il appartiendra dès lors au juge d’interpréter la règle au risque de légiférer indirectement.
Or en matière de clarté, la définition actuelle ne fera pas jurisprudence… En effet, celle ci, construite de façon négative, se contente pour définir cette notion d’exclure ce qui ne correspond pas à une œuvre audiovisuelle (“ Constituent des œuvres audiovisuelles les émissions ne relevant pas d’un des genres suivants : œuvres cinématographiques de longue durée ; journaux et émissions d’information ; variétés ; jeux ; émissions autres que de fiction majoritairement réalisées en plateau ; retransmissions sportives ; messages publicitaires ; télé-achat ; autopromotion ; services de télétexte ” – article 4 du décret n°90-66 du 17 janvier 1990”).
Au final, on a donc une énumération disparate d’œuvres écartées renvoyant chacune à des définitions toutes aussi délicates et ne prenant pas en compte les futurs types d’œuvre à venir. Or de nouvelles “ œuvres ” dédiées à la télévision sont apparues, sans que le législateur n’ait pu les anticiper… C’est là qu’intervient le rôle délicat et presque schizophrène du juge qui doit deviner quel aurait été l’intention du législateur de l’époque face à une situation que ce dernier n’a pas prévu.
Ainsi, les émission de télé réalité, à la croisée des genres (divertissement ? documentaire ? programme de flux ou de stock ?) ont semé la zizanie dans le monde audiovisuel français. En effet, au delà de leurs qualités intrinsèques largement questionnées, les producteurs de ces émissions, en partenariat avec les principales chaînes les retransmettant, ont cherché à permettre une compatibilité avec la définition actuelle en vue de profiter du régime juridique de l’œuvre audiovisuelle française.
Un régime juridique attrayant :
De cette qualification découle un régime juridique bien particulier puisqu’au cœur de notre système de quotas et de soutien, dès lors que l’œuvre en question est française ou européenne. La qualification d’œuvre audiovisuelle française peut ainsi décider de la viabilité d’un programme. En effet, de telles œuvres vont pouvoir profiter du mécanisme de soutien du CNC dît COSIP (Compte de Soutien à l’Industrie de Programmes), principale aide à la production audiovisuelle dans le système français. Attrait pour les producteurs donc mais aussi pour les diffuseurs puisqu’un tel programme va pouvoir répondre à l’obligation, issue de l’article 27 de la loi du 30 septembre 1986 modifiée, de diffusion et de production de 60 % d’œuvres audiovisuelles européennes dont 40 % d’expression originale française.
Ce système de quotas, clé de voûte du système de soutien à la production audiovisuelle française pourrait donc profiter de plus en plus aux nouveaux programmes de télé-réalité, plus rentable, au détriment des œuvres initialement protégées par ces mesures (fiction, documentaire et animation en particulier). Ce seraient ainsi 150 millions d’euros qui auraient été “ détournés ” selon le Trio (Club des auteurs, Union-Guilde des scénaristes, Groupe des 25 Images, Uspa) par les principaux diffuseurs suite à la décision du Conseil d’Etat du 28 Décembre 2001.
Un premier pas vers la fin de l’exception culturelle française pour les plus pessimistes, une simple adaptation aux lois du marché selon les autres. Reste à trouver un compromis entre ces deux points de vue sans négliger l’objectif de protection de la règle initiale.
Pour l’heure, les pistes actuelles de réforme visent d’une part à s’inspirer du régime dérogatoire des chaînes thématiques (basé sur la distinction entre œuvre patrimoniales et non-œuvres) ou d’autre part à dissocier quotas de production et quotas de diffusion en insérant une nouvelle définition de l’œuvre audiovisuelle pour les obligations de diffusion. Début de réponse cet été avec le rapport du CSA qui n’aura toutefois qu’une valeur de proposition puisqu’il appartiendra au gouvernement de modifier le décret en question.

Sources :
150 M€ détournés ?
Ecran Total, 14 juin 2006
Des Pistes pour la redéfinition de l’œuvre audiovisuelle
Ecran Total, 14 juin 2006

Marc NIGITA