LA LIMITATION DES RESTRICTIONS A LA LIBERTE D’EXPRESSION CEDH 7 novembre 2006 aff. Mamère c/ France

La Cour Européenne des Droits de l’Homme vient de condamner la France pour son application faite de la loi sur la presse de 1881 et notamment pour les atteintes portées à la liberté d’expression par les juridictions nationales.

Le député Noël Mamère avait tenu, lors de l’émission « Tout le monde en parle » du 24 octobre 1999, des propos provocateurs à l’encontre de M. Pellerin, ancien directeur du service central de protection des rayonnements ionisants. Ainsi avait-il répondu à un invité, à propos de la catastrophe de Tchernobyl : « Il y avait un sinistre personnage au SCPRI, qui s’appelait Monsieur Pellerin, qui n’arrêtait pas de nous raconter que la France était tellement forte –complexe d’Astérix – que le nuage de Tchernobyl n’avait pas franchi nos frontières. »

Noël Mamère et Monsieur Tessier ont été déclarés coupables le 11 octobre 2000 de diffamation publique envers un fonctionnaire en vertu des articles 29 et 31 de la loi du 29 juillet 1881. Cet arrêt rendu par le tribunal correctionnel de Paris a été confirmé par la Cour d’appel de Paris en octobre 2001. Le pourvoi formé par les requérants qui invoquaient la violation de l’exception de bonne foi et de vérité a été rejeté par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 22 octobre 2002. En effet, la haute juridiction suit la cour d’appel qui avait relevé que les quatre conditions constituant la bonne foi en matière de diffamation (la prudence dans l’expression, l’absence d’animosité personnelle, le but légitime de l’information et l’enquête sérieuse) n’étaient pas réunies et que l’exception de vérité ne pouvait plus être soulevée pour cause de prescription.

Les plaideurs ont alors porté l’affaire devant la CEDH invoquant la violation de l’article 10 de la convention au motif que la restriction à la liberté d’expression n’était pas, en l’espèce, « nécessaire » à la défense de la « réputation d’autrui » (Requête no 12697/03). La Cour précise, à cet égard, que « la liberté d’expression peut être assortie d’exceptions qui appellent toutefois une interprétation étroite, et que le besoin de la restreindre doit se trouver établi “de manière convaincante” ».
Ainsi la Cour contrôle ici la marge de manœuvre accordée aux états dans la limitation de la liberté d’expression. Elle relève que les propos tenus par le requérant relevaient d’un sujet d’intérêt général, qu’ils s’inscrivaient dans un débat public d’une extrême importance, et enfin qu’ils relevaient de l’expression politique et militante. Elle conclut alors de ces trois éléments que la marge d’appréciation de l’état pour assurer la défense des intérêts d’autrui au regard de la liberté d’expression était « particulièrement restreinte ».
Enfin la Cour revient sur les exceptions de diffamations rejetées. On remarquera d’ailleurs la critique si peu cachée, adressée à la prescription de l’exclusion de vérité. En effet, la Cour relève que « lorsqu’il s’agit d’événements qui s’inscrivent dans l’Histoire ou relèvent de la science, il peut au contraire sembler qu’au fil du temps, le débat se nourrit de nouvelles données susceptibles de permettre une meilleure compréhension de la réalité des choses ».

Quant à l’exception de bonne foi, la Cour relève que, quand bien même le sujet est éminemment sérieux, le respect d’autrui n’exclut pas « une certaine dose d’exagération, voire de provocation ». Et la Cour de conclure que « les motifs retenus par le juge interne pour conclure à l’absence de bonne foi mettent en exergue une particulière raideur dans la lecture des propos du requérant, qui se concilie mal avec le droit au respect de la liberté d’expression ».

La Cour Européenne des Droits de l’Homme vient dans cet arrêt condamnant la France de recadrer, au regard des circonstances, la marge d’appréciation des Etats pour juger de la nécessité d’une restriction à la liberté d’expression. De plus, elle semble attirer l’attention du législateur français sur l’importance du temps dans l’établissement de la vérité.
Sources :
http://www.dinersroom.free.fr
CEDH, 7 novembre 2006, affaire Mamère c/ France
Cass. Crim. 22 octobre 2002, n°pourvoi 01-86908
Marlène PIETRI