LE RAPPORT PERROT LECLERC PROPOSE DE RÉTABLIR UNE CONCURRENCE À ARMES ÉGALES ENTRE CINÉMAS PUBLICS ET PRIVÉS

Le rapport propose de rétablir une concurrence à armes égales entre les cinémas municipaux ou subventionnés et les cinémas privés

Une mission a été confiée en septembre 2007 par Christine Albanel, ministre de la culture et de la communication et Christine Lagarde, ministre de l’industrie et de l’économie, portant sur l’application du droit de la concurrence dans le domaine du cinéma. Il s’agissait, pour Anne Perrot, vice-présidente du Conseil de la concurrence, et Jean-Pierre Leclerc, président de section honoraire au Conseil d’Etat, de répondre à des préoccupations concrètes touchant notamment au fonctionnement du marché de l’exploitation des films en salle.
Ce rapport, intitulé « Concurrence et cinéma » a été remis en mars dernier et passe en revue toutes les questions soulevées par la mise en œuvre de la concurrence dans le secteur du cinéma. Il tente de répondre à la question générale et délicate de l’équilibre entre liberté de la concurrence et nécessaire régulation sectorielle du cinéma. Le rapport met ainsi l’accent sur les tensions qui existent entre la volonté d’une part, de laisser la concurrence libre en faisant confiance au marché, et celle, d’autre part, de préserver les structures plus fragiles face aux opérateurs dominants, qui seraient tentés d’abuser de leur position.
Plus précisément, sont abordés les problèmes de concentration du secteur, d’abus de position dominante, de concurrence par les prix entre les exploitants. Mais surtout, il consacre un chapitre à une question qui concerne très directement les collectivités territoriales, et souvent mal connue du public: certains opérateurs ayant en effet contesté devant les tribunaux la concurrence qui leur serait faite par les salles publiques ou subventionnées, il semblait naturel de se pencher sur la question.

Un mot sur l’évolution de la jurisprudence du Conseil d’Etat en la matière s’impose. Un arrêt de principe, rendu en 1930 , posait les conditions de légalité des créations de services publics pour exercer, entre autres, des activités industrielles ou commerciales. Tout en rappelant que les entreprises ayant un caractère commercial restent en général réservées à l’initiative privée, le Conseil d’Etat accepte que les communes puissent établir des services publics lorsque « en raison de circonstances particulières de temps et de lieu, un intérêt public justifie leur intervention », autrement dit, en cas de carence de l’initiative privée. Ainsi, les mécanismes de marché ne pouvant garantir la présence de cinémas dans toutes les communes, les collectivités, en application de ce critère, sont fondées à pallier cette défaillance en prenant en charge cette activité ou en la subventionnant.
La jurisprudence ultérieure s’est révélée être de plus en plus souple quant aux conditions exigées, soulevant chaque fois plus le problème de la concurrence entre les salles privées et celles bénéficiant d’aides publiques, ces subventions étant susceptibles de fausser le jeu de la concurrence. Si la présence de nouveaux opérateurs contribue à intensifier la concurrence et peut donc être regardée comme une conséquence positive pour le marché, cette concurrence doit toutefois s’effectuer à armes égales. Les conflits locaux, de plus en plus fréquents, ont donc poussé les pouvoirs publics à réfléchir sur cette question, qui ne pouvait rester plus longtemps de côté. Tant les distributeurs que les exploitants ont multiplié les recours devant les juridictions administratives et le problème a été poussé à son paroxysme lorsque la possibilité de l’extension du cinéma Le Méliès exploité par la mairie de Montreuil a été évoquée, provoquant l’inquiétude et la révolte d’UGC et MK2. De même, la subvention accordée par le Centre national de la cinématographie (CNC) aux travaux de rénovation du cinéma Comoedia de Lyon ne va pas sans poser de problèmes. Mais ce ne sont pas les exemples en la matière qui manquent.

Le rapport suggère donc de « mieux évaluer l’importance de l’intervention des collectivités territoriales dans le secteur de l’exploitation en salle » et de lutter contre la banalisation de la concurrence entre les salles subventionnées et les établissements privés, qui constituerait un retour en arrière. Si le bien-fondé de l’intervention d’une collectivité n’est pas en lui-même contesté, les rapporteurs mettent en garde contre d’éventuelles dérives et proposent d’appliquer strictement les conditions prévues pour les salles municipales ou subventionnées, limitant ainsi la concurrence entre les secteurs privé et public.
Ils considèrent d’autre part que « cette concurrence doit se faire à armes égales », ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui. C’est dans cette optique qu’ils suggèrent d’astreindre les salles municipales un certain nombre d’obligations législatives. Elles pourraient par exemple « être tenues par la loi de souscrire des engagements de programmation », ou encore, un cahier des charges sur lequel serait inscrit un projet cinématographique pourrait s’imposer aux gestionnaires de ces établissements.
Enfin et surtout, la question s’est posée de savoir à quelle institution serait confiée la mission de faire respecter ces obligations, et c’est au médiateur du cinéma que l’on a pensé. Créé par la loi du 29 juillet 1982, le médiateur du cinéma intervient en cas de litiges relatifs à la diffusion des films en salle qui opposent principalement les exploitants aux distributeurs. A ce titre, il dispose d’un pouvoir d’injonction. Il est par ailleurs informé de toutes les décisions des Commissions départementales d’équipement cinématographique qui autorisent la création et l’extension de complexes cinématographiques de plus de 300 fauteuils. Il peut faire appel de ces décisions devant la Commission nationale d’équipement commercial. Ainsi, si l’on en croit le rapport « Cinéma et concurrence », ses pouvoirs seraient susceptibles d’être étendus : il pourrait vérifier que les avantages accordés et les politiques tarifaires mises en œuvre par les établissements subventionnés respectent les exigences d’égale concurrence.
Dans un communiqué du 28 mars, les deux ministres ont annoncé le lancement d’une consultation publique sur les propositions du rapport. Affaire à suivre…

Sources :
Rapport Cinéma et concurrence, mars 2008
www.cnc.fr
Flore BENHAMOU