LE CINEMA, UNE LONGUE HISTOIRE DE POLITIQUE

Le 25 mai 2008 la palme d’or du festival de Cannes est allée au film « Entre les murs » de Laurent Cantet. Ce film retrace le quotidien tourmenté d’une classe de quatrième en région Parisienne.
Film militant, ou plutôt comme on dit aujourd’hui, film témoignage, cela fait plus objectif, moins engagé tout en créant du sens, « Entre les murs » s’inscrit dans le cadre du cahier des charges fixé, avant la quinzaine, par le président du jury Sean Penn. Ce dernier avait affirmé, fidèle à sa conscience politique propre et affirmée, que le gagnant de la palme d’or serait un réalisateur ou une réalisatrice qui aurait fait la preuve d’être « très conscient du monde qui l’entoure. »
Ce grand écart entre tapis rouge, strass, paillettes et conscience politique peut surprendre le néophyte, mais en réalité le cinéma et la chose publique, sous toutes ces formes, ont une longue histoire commune.
Jérôme Bimbenet , en se penchant sur l’histoire du 7ème art, affirme que cet outil de communication de masse a immédiatement séduit les têtes couronnées.
Par sa capacité de représentation quasi infinie du pouvoir en des termes choisis, le cinéma et très vite apparu comme un complément indispensable de l’exercice du pouvoir. Mais aussi de tous les pouvoirs et de tous les points de vue. Ainsi Jérôme Bimbenet rappelle que Méliès, en son temps, avait mis son talent au service du Capitaine Dreyfus. Cette attitude sera suivi par maints autres réalisateurs, au cours du XXème siècle. Ainsi à coté du cinéma de pouvoir va éclore le cinéma de contre pouvoir. De l’équilibre entre ces deux mondes nait un marqueur efficace de la valeur démocratique d’un régime.

Parce qu’il touche tous les sens avec efficacité, parce qu’il met le spectateur dans des dispositions favorables de réception de l’information, le cinéma est capable de fédérer et de former l’opinion sans en avoir l’air.

Tous ont profité de cette caractéristique hypnotique. Eisenstein pour le cinéma russe révolutionnaire, Riefenstahl pour la propagande nazi du IIIème Reich, et Hollywood pour la suprématie de l’économie libérale et du mode de vie américain, ont utilisé le cinéma, avec force et talant esthétique et narratif. En poussant le raisonnement on peut prétendre qu’il n’existe pas un seul film dans l’histoire qui ne soit pas directement ou non rattachable à une intention idéologique.

Si l’on veut bien considérer ce point de vue, l’intention de Sean Penn aussi respectable qu’elle soit à vouloir mettre la conscience politique au cœur de la croisette n’a rien de novateur. On reste là dans une présentation formelle et classique du cinéma. Car le cinéma est politique avant tout par nature.

Que ceux qui en doutent, devraient expertiser sa réglementation, sa fiscalité, son économie, sa production, sa distribution, bref tous les aspects techniques, sociaux et juridiques de cet art. Ils y découvriront un monde étrange, fait de compétitions, de luttes et de difficultés innombrables qui font du simple fait de voir un film terminé, une victoire et un signe politique.

Le problème ne provient donc pas d’une politisation du cinéma. Celui-ci nous l’avons dit l’est par nature. Le problème vient d’un cinéma univoque.qui nait de la main mise d’une institution quelle qu’elle soit.
Les membres du jury du festival de Cannes 2008 semblaient en tous les cas en être conscients. Cannes demeure, quoique l’on en dise, une ouverture sur le monde. Un lieu politique par excellence où l’on découvre comme par magie qu’il n’y a pas d’incohérence à condamner une politique guerrière et interventionniste en mettant en lumière les pérégrinations quotidiennes d’adolescents dans leur collège de banlieue.

Ça aussi c’est la magie du cinéma.

Jean-Hervé Roux

Sources :
Jérôme Bimbenet (Le mensuel de l’université), enseignant à l’IUFM de Paris, membre de l’IHTP (Institut d’histoire du temps présent)
http://www.lemensuel.net/Le-role-politique-du-cinema-en.html
Jean-Luc Douin
Sean Penn, un président anti-Bush pour le jury cannois http://www.lemonde.fr/cinema/article/2008/01/03/sean-penn-un-president-anti-bush-pour-le-jury-cannois_995476_3476.html
Cristina Marino
http://www.lemonde.fr/festival-de-cannes/article/2008/05/14/sean-penn-un-president-de-jury-tres-politique_1045056_766360.html#ens_id=766399