L’AFFAIRE « GOOGLE ADWORDS » : LES CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL DE LA CJCE

Le 22 Septembre dernier, l’Avocat Général de la Cour de Justice des Communautés Européennes, M. Poiares Maduro a rendu ses conclusions dans le cadre des affaires « Louis Vuitton » (C-236/08), « Bourses des vols » (C-237/08) et « Eurochallenges » (C-238/08).

Voilà maintenant plusieurs années que les juridictions Européennes ont à traiter d’un nombre croissant de contentieux opposant les titulaires de marques à la régie publicitaire AdWords de Google.
Alors qu’en France les titulaires de marques ont obtenu gain de cause dans la quasi-totalité des cas portés devant les tribunaux lors de la reprise de leur marque par AdWords, les autres juridictions Européennes dont les décisions, bien que fondées sur des motifs différents, apparaissaient plus favorables à l’exploitation d’un tel système.
Lorsque l’internaute effectue une recherche par mots-clefs, il obtient deux séries de résultats. Une première série dite de « résultats naturels » est fourni sur la base de critères objectifs ; une deuxième série, dite de « liens commerciaux » est affichée moyennant paiement des annonceurs. Ces liens correspondent au système publicitaire AdWords. Ils permettent de faire apparaître des marques concurrentes proposées elles aussi au choix de l’internaute.
Ce système propose ainsi aux annonceurs « l’achat » non exclusif de mots-clefs contre paiement d’un prix déterminé à l’avance (« prix au clic » ) pour faire apparaître leur marque dans les « liens commerciaux ».
Le contentieux prend forme lorsque ces mots-clefs correspondent à des marques enregistrées.

Les trois affaires dont il est question posent donc la même question fondamentale : l’usage fait par Google, dans le cadre de son système de publicité AdWords, de mots-clefs correspondant à des marques enregistrées, est-il constitutif d’une atteinte à ces marques ?
Subsidiairement et dans le cas ou l’atteinte ne serait pas retenu, la Cour est amenée à se prononcer sur l’éventuelle application du régime de responsabilité limitée en matière d’hébergement.

Pour l’Avocat Général,« Google n’a pas enfreint les droits de marque en permettant aux annonceurs d’acheter des mots-clefs correspondant à des marques enregistrées ; néanmoins, sa responsabilité peut être engagée au titre du contenu d’AdWords impliquant des atteintes aux marques ».

Les conclusions de l’Avocat Générale en cinq points :

– Dans ses conclusions, l’Avocat Général est d’avis que Google n’a pas porté atteinte aux marques en permettant aux annonceurs de sélectionner, dans AdWords, des mots-clefs correspondant à des marques. Pour en arriver à ce postulat, il rappelle que « la cour n’est appelée à se prononcer que sur la légalité de l’usage des mots-clefs », processus de sélection qui est interne à AdWords et ne concerne que Google et les annonceurs. Il précise alors que lors de la sélection des mots-clefs, aucun produit ou service n’est vendu au public et qu’il convient de constater qu’un tel usage ne peut être considéré comme un usage fait pour des produits ou services identiques ou similaires à ceux que couvrent les marques.
Google ne pourrait donc être poursuivit par le titulaire d’une marque simplement parce qu’il offre la possibilité à ses concurrents d’ « acheter » une expression reprenant sa marque. De même, les annonceurs eux- mêmes ne se rendent pas coupables de contrefaçon de marque en sélectionnant dans AdWords des mots-clefs correspondant à des marques.

– Son raisonnement se poursuit ensuite sur la question de la légalité des liens créés entre ces mots-clefs et les sites annonceurs vendant des produits identiques ou similaires à ceux que couvrent les marques. Selon lui Google n’est rien de plus qu’un outil : qu’il s’agisse des résultats naturels ou AdWords, l’affichage de sites en réponse à des mots-clefs correspondant à des marques ne suffit pas à créer un risque de confusion dans l’esprit des consommateurs quant à l’origine des produits ou services. Il semble en effet acquis que les internautes évalueront l’origine des produits ou services objets de la publicité au vu du contenu descriptif de l’annonce et finalement, en quittant Google pour se rendre sur ces sites.
Un tel lien ne constitue donc pas une contrefaçon de marque. L’Avocat Général parait distinguer la fonction d’information et la fonction de protection de la marque ; permettre l’utilisation de la marque pour augmenter l’information de l’internaute ne remet pas en cause la protection assurée par celle-ci.

– C’est à l’occasion de son analyse quant à la protection spéciale accordée aux marques renommées que l’Avocat Général fait part à la Cour de ses inquiétudes quant à l’interdiction des usages considérés. Selon lui, les parties déduisent du risque qu’AdWords soit utilisé pour promouvoir des sites contrefaits, un droit général de s’opposer à l’utilisation de leurs marques comme mots-clefs. Or, la reconnaissance d’un tel droit pourrait aboutir à priver l’internaute d’un accès à des sites parfaitement légitimes. Il souligne que « Les présentes affaires requièrent une mise en balance avec la liberté d’expression et la liberté du commerce ». L’attention de la Cour est donc attirée sur les perspectives qu’offrirait une interdiction des usages concernés en soulignant qu’une telle position ne tiendrait pas compte de la nature particulière d’Internet et du rôle central des mots-clefs dans la circulation de l’information.

– L’avocat général rejette également l’idée que la contribution, réelle ou potentielle, à une atteinte à une marque commise par un tiers puisse constituer en elle-même une atteinte à la marque. En effet, les titulaires de marques invitent la Cour à étendre significativement la portée de la protection conférée aux marques vers ce qui est appelé le « contributory infrigement » aux Etats-Unis (contrefaçon par complicité se raccrochant d’avantage au droit des marques qu’au droit de la responsabilité délictuelle).
Une fois de plus, l’avocat général met en garde la cour contre l’acceptation d’un tel régime qui « créerait de sérieux obstacles à tout système de fourniture d’information ».
Il en arrivera alors à dire que « l’utilisation dans AdWords de mots-clefs correspondant à des marques ne constitue pas en soi une atteinte à la marque, puisque le lien avec d’autres utilisations (potentiellement illégales) est mieux appréhendé dans le cadre des règles relatives à la responsabilité, comme celà s’est fait jusqu’à ce jour ».
Les titulaires de marques devraient donc se concentrer sur les cas spécifiques susceptibles d’engager la responsabilité de Google au titre de préjudices indûment causés à leurs marques.

– C’est donc dans ce contexte, que l’Avocat Général va se pencher sur la question subsidiaire, de savoir si en application de l’article 14 de la Directive N°2000/31 sur le commerce électronique, « le système AdWords » peut bénéficier du régime de responsabilité prévue en matière d’hébergement.
Il considère alors que « tant le moteur de recherche Google que son système AdWords constituent des services de la société de l’information mais que néanmoins si le premier est un véhicule d’informations neutre appliquant des critères objectifs pour obtenir une liste de résultats pertinents par rapport aux mots-clefs saisis, tel n’est pas le cas d’AdWords, Google ayant ici un intérêt (pécuniaire) direct à ce que les internautes cliquent sur les « liens commerciaux » ».
Le régime de responsabilité limitée prévu en matière d’hébergement ne devrait donc pas s’appliquer au contenu présent dans AdWords. Mais on sait que le juge français, après hésitation, n’attribue pas la même importance au critère des recettes liées à l’hébergement
( TGI Paris 3eme ch. 13 juillet 2007 Dailymotion « Joyeux Noël »).
Bien que la Cour ne soit pas liée par l’avis de l’Avocat Général, les conclusions ainsi rendues ont le mérite de donner une première orientation européenne à la bataille opposant les titulaires de marques aux prestataires de service de référencement.
Si le fait d’ « acheter » ou de « vendre » des mots-clefs correspondant à une marque ne porterait pas atteinte à celle-ci, l’utilisation de cette possibilité à des fins déloyales devrait être appréhendée par le droit commun de la responsabilité civile du prestataire comme des annonceurs.
En somme, une partie du contentieux des « liens commerciaux » quitterait le terrain de la contrefaçon des marques pour celui de la responsabilité civile.
Bien qu’une telle position semble satisfaisante pour Google dans la mesure ou sa viabilité économique dépend essentiellement des revenus qu’il tire de son système AdWords, il ne faut pas négliger qu’elle l’obligerait à acquérir un fort degré d’autorégulation sous peine d’assister à la multiplication des plaintes.

Affaire à suivre…
Sources :

Cour de cass, civile, Ch. com, 20 mai 2008, 06-20.230, Inédit
Cour de cass, civile, Ch. com, 20 mai 2008, 05-14.331, Inédit
Cour de cass, civile, Ch. com, 20 mai 2008, 06-15.136, Publié au bulletin

Conclusions de l’Avocat Général dans les affaires C-236/08, C-237/08 et C-238/08
http://curia.europa.eu/communiqué de presse du 22 septembre 2009

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Julia GIVONE