LE DISPOSITIF LÉGAL « HADOPI » : D'UN PROTOTYPE FRANÇAIS VERS UN MODÈLE EUROPÉEN ?

Ce n’est pas sans une once de satisfaction que Frédéric Mittérand, l’actuel ministre de la culture et de la communication, dans un communiqué en date du 7 décembre 2009, a salué les « initiatives récentes prises par plusieurs pays européens en faveur du renforcement de la protection du droit d’auteur sur Internet ».

En effet, après avoir été nommé pour conduire le projet de loi « Hadopi II » à bon terme, suite à l’adoption tumultueuse de la version « I » devant l’hémicycle et à la censure du conseil constitutionnel, ce dernier peut se réjouir que la lutte contre le téléchargement illégal ne constitue pas une exception française, mais une « commune prise de conscience » et « un intérêt européen partagé ».
Or, le ministre de la culture en fait une préoccupation inédite des européens, alors qu’elle est ancienne, datant de l’adoption d’une directive communautaire relative au renforcement de la propriété intellectuelle en 2004, qui a été notamment transposée en Suède par une loi votée le 25 février 2009, dont la France s’est inspirée pour élaborer le projet de loi « Hadopi ». Mais peu importe, il ne faut pas perturber les réjouissances.
Ainsi, plaçant ladite lutte dans ce nouveau contexte européen, Frédéric Mittérand en a profité pour ériger l’arsenal « Hadopi » en exemple, les récentes mesures de nos pays voisins se situant « dans le sillage des réflexions menées en France depuis (…) deux ans ».

Certes, il semble que certains États européens aient été influencés par les lois françaises pour concevoir leurs projets de loi nationaux. Mais peut-on pour autant édifier le dispositif législatif « Hadopi » en modèle?

Si l’on se penche sur le cas du Royaume-Uni, il serait tentant de répondre par l’affirmative à cette question.
En effet, un projet de loi, préparé sous la coupe du ministre du commerce et de l’industrie britannique, Peter Mandelson, est en cours d’élaboration depuis le mois d’août dernier, basé sur une procédure d’avertissements envoyés à l’internaute contrefacteur, combinée à des sanctions répressives en cas de perpétuation de l’infraction. Ces sanctions se déclineraient sous différentes formes : du blocage de l’accès aux sites de partage à la suspension d’Internet, passant par à un stade intermédiaire de ralentissement de la connexion.
La similitude avec le système français se vérifie donc, car le mécanisme de la riposte graduée et la sanction de la suspension de l’abonnement Internet se retrouvent, bien que les anglais aient envisagé également d’autres types de sanctions.
Le gouvernement britannique a énoncé qu’il envisageait l’adoption de ce texte dès avril prochain.

S’agissant de l’espèce espagnole, qui a permis à notre ministre de la culture et de la communication de produire ce charmant communiqué, il n’apparaît pas que les lois françaises aient été prises en exemple.
Si l’on se réfère aux informations relayées par le quotidien espagnol El Pais en date du 2 décembre 2009, le gouvernement de José Luis Rodriguez Zapatero a annoncé la création d’un projet de loi qui investirait une autorité administrative, « la Commission pour la propriété intellectuelle », du pouvoir de prescrire la déconnexion ou le blocage de sites web permettant ou facilitant les infractions au droit d’auteur. Cette procédure de blocage serait donc réalisée sans une intervention judiciaire, qui le cas échéant pourrait être sollicitée par ladite Commission.
La ressemblance avec les lois « Hadopi » se fait ressentir du point de vue de la mise en place d’une autorité administrative, mais diffère quant aux pouvoirs de l’autorité en cause et eu égard à l’absence d’intervention du juge préalablement à l’administration de sanctions, qui est désormais nécessaire en France avec l’adoption d’« Hadopi II ».

Par contre, il existe une analogie évidente entre l’annonce du projet de loi « Hadopi » et celui espagnol, ayant trait aux protestations virulentes contre ces initiatives gouvernementales.
Et à ce niveau-là, les citoyens espagnols sont aller encore plus loin.
En quelques heures, des internautes regroupant des journalistes, des blogueurs, des professionnels et des créateurs ont rédigé un « manifeste » – dont la Quadrature du Net publie une traduction non officielle – qui a été largement diffusé sur la toile, dénonçant ce projet et déclarant que « les droits d’auteur ne doivent pas prévaloir sur les droits fondamentaux des citoyens que sont le respect de la vie privée, (…), la présomption d’innocence, (…) et la liberté d’expression ».

A l’échelle européenne, Viviane Reding, la commissaire responsable de la société de l’information et des médias, a prévenu le gouvernement espagnol avant même l’annonce de son projet de loi, de sa probable non conformité aux dispositions du « Paquet Télécom » adopté le 24 novembre dernier, mais au-delà que : « la répression seule ne résoudra pas le problème du piratage sur internet; elle peut même dans de nombreux cas aller à l’encontre des droits et des libertés ».

Néanmoins, les professionnels des industries culturelles espagnoles et certains auteurs ont accueilli très favorablement la future loi, d’autant plus que ces derniers avaient invité le gouvernement à imiter la France au moment de l’adoption de la loi « Hadopi I ».
Faut-il en déduire alors une réponse positive à la problématique en présence?

A l’aune de ces deux hypothèses, il est difficile d’affirmer que le cadre législatif « Hadopi » constitue ou constituera un modèle pour nos homologues européens, comme Frédéric Mittérand aurait eu plaisir à le sous-entendre; mais un vecteur certainement.

Toutefois, le ministre, dans son communiqué, finit par encourager « des échanges de plus en plus denses, entre partenaires européens » relativement au développement d’offres légales attractives sur Internet, dont le rapport de la commission Zelnik sur ce sujet – en vue de l’élaboration d’une loi « Hadopi III » – pourrait constituer un modèle, si sa publication n’était pas indéfiniment repoussée.
Sources :

http://www.culture.gouv.fr/mcc/Espace-Presse/Communiques/Frederic-Mitterrand-ministre-de-la-Culture-et-de-la-Communication-salue-les-initiatives-recentes-prises-par-plusieurs-pays-europeens-en-faveur-du-renforcement-de-la-protection-du-droit-d-auteur-sur-Internet

http://www.lemonde.fr/technologies/article/2009/12/15/hadopi-le-rapport-zelnik-a-nouveau-retarde_1280803_651865.html

http://www.neteco.com/314606-telechargement-espagne-hadopi-pire.html

http://www.laquadrature.net/fr/une-dangereuse-loi-anti-partage-en-espagne

http://www.theinternets.fr/2009/12/05/actu-espagne-%C2%ABles-droits-d%E2%80%99auteur-ne-doivent-pas-prevaloir-sur-la-vie-privee-la-presomption-d%E2%80%99innocence-et-la-liberte-d%E2%80%99expression-%C2%BB/

http://technaute.cyberpresse.ca/nouvelles/internet/200912/03/01-927640-espagne-une-loi-anti-telechargement-provoque-un-tolle.php

http://www.itespresso.fr/lutte-anti-piratage-le-royaume-uni-veut-sa-loi-hadopi-32165.html

http://www.ecrans.fr/Les-suedois-se-bougent-contre-une,6681.html

Isabelle MEYER