LA COMMISSION ZELNIK PROPOSE DE TAXER LES REVENUS PUBLICITAIRES EN LIGNE : « AUX MAUX DÉSESPÉRÉS », « REMÈDES DÉSESPÉRÉS » !

Le 6 janvier 2010, après deux mois de retard, la commission « Zelnik » a enfin remis son rapport relatif au développement d’une offre légale attractive des contenus culturels sur Internet à Frédéric Mittérand, ministre de la culture et de la communication.
Ce dernier avait confié cette mission dite « Création et Internet » le 3 septembre dernier à Patrick Zelnik, Jacques Toubon et Guillaume Cerutti, dans le but de l’élaboration prochaine d’une loi venant compléter le dispositif législatif répressif « Hadopi » ; une offre légale attractive devant dissuader le piratage.

Vingt-deux propositions se dégagent ainsi de ce rapport, parmi lesquelles seulement cinq – réellement trois – ont trait au financement des autres dont le montant s’élève à hauteur « d’une cinquantaine de millions d’euros en 2010, puis d’environ 35 à 40 millions d’euros par an au cours des deux années qui suivent ».
Au sein de ces propositions de financement, la commission préconise notamment « la création d’un prélèvement obligatoire touchant les revenus publicitaires en ligne ». Ce prélèvement, appelé périlleusement « taxe Google » par Jacques Toubon, a fait mouche dans les médias. En effet, une pluie d’articles de presse et en ligne ont repris massivement ladite appellation dans leurs titres ainsi que dans leurs colonnes et cette taxe a reçu de vives critiques de la part des détracteurs du rapport « Zelnik ».

Ainsi, la Quadrature du Net, dans un article en date du 7 janvier, relève que : « la mission [Zelnik] pense avoir trouvé un bouc émissaire en proposant de taxer les moteurs de recherche américains financés par la publicité, tout en croyant épargner les autres régies de publicité sur Internet. La mise en œuvre promet de ne pas être simple ». Cependant, il est déjà possible de modérer ce propos à la lecture du rapport en cause, qui prévoit : « la fixation de seuils de façon à exonérer du prélèvement les sociétés ayant des revenus publicitaires modestes », qui pour le coup pourraient être françaises.
S’agissant du NouvelObs, la version électronique de ce journal propose dans son article en date du 8 janvier une sorte de pot-pourri des réactions suscitées à la suite de la publication du rapport « Zelnik ». Ce sont celles du magazine Numérama et du site Renaissance Numérique qui sont les plus virulentes ; le premier écrivant : « puisque la France et l’Europe sont incapables de favoriser l’émergence de grands acteurs de l’internet, autant taxer les success stories américaines pour financer ses industries vieillissantes » et le second titrant son article de la manière suivante : « Mission Zelnik : on n’a pas d’idée mais on a des taxes ! ».

Concernant les futurs assujettis à ce prélèvement fiscal, le journal Le Figaro a rapporté, dans un article daté du 7 janvier, les positions des principaux concernés. Du côté de Yahoo !, le porte-parole de la société témoigne son inquiétude, car il souligne que leurs « revenus publicitaires ont chuté de 12 % en un an et nous achevons un plan de suppression de postes».
Chez Microsoft, l’heure est à la tempérance, Marc Mossé, le directeur des affaires publiques et juridiques de ladite société en France, considérant que : « cette taxe n’est qu’une des 22 propositions du rapport ». Certes ! Mais rappelons que la donne est en réalité plus réduite : c’est une proposition parmi trois mesures phares relatives au financement.
Et pour Google, qui est le premier dans la ligne de mire de cette prérogative, le groupe parle d’un « enfer fiscal ».

Mais qu’en est-il réellement ? Cette « taxe Google » constitue-t-elle un projet arriéré ou une mesure appropriée ?

Le rapport « Zelnik » révèle que cette taxe aura pour assiette « les revenus publicitaires en ligne des sociétés établies dans l’Union européenne, générés par l’utilisation de leurs services en ligne depuis la France ». Dès lors, « la vision d’un affichage publicitaire ou le suivi d’un lien sponsorisé par l’utilisateur d’un service en ligne » localisé en France permettra de taxer les revenus publicitaires ainsi générés, de sociétés qui ont leurs sièges dans l’Union européenne, tel que Google en Irlande, son « quartier général européen ».
La commission « Zelnik » propose donc au gouvernement français de taxer des sociétés privées nationales – ad minima – mais surtout étrangères ! Or, peu importe que leurs services soient visibles en France, car ils le sont également dans n’importe quel pays du monde. Pourtant, les autres Etats n’ont pas pour projet de les taxer. Et que se passerait-il si tous les pays décidaient de le faire ? Donc, n’y a-t-il pas un problème ?
Pour la Commission, pas le moins du monde, celle-ci expliquant que : « le dispositif pourrait s’inspirer des règles de territorialité s’appliquant à la taxe sur les conventions d’assurance, qui frappe toute convention couvrant un risque localisé en France, quel que soit le pays d’établissement de l’entreprise d’assurance » et qu’au-delà « un tel prélèvement obligatoire serait compatible avec le droit communautaire, qui n’impose de principe strict et général de territorialité que pour la taxe sur la valeur ajoutée ».

Néanmoins, cette dernière considération peut-être immédiatement remise en cause à l’aune de la suite du rapport, qui prévoit que « cette initiative ne pourrait être lancée avec succès et n’avoir de portée réelle que si nous nous assurions préalablement du soutien de nos principaux partenaires européens ». Or, il est peu probable que les instances européennes plébiscitent un projet qui a la saveur d’une aide d’Etat, faussant le jeu de la concurrence.

De plus, il existe une autre zone d’ombre au tableau que la commission rapporte d’elle-même : « la principale difficulté de ce dispositif, (…) tient aux modalités de contrôle du paiement de la taxe. Il ne pourrait reposer que sur un régime déclaratif, chaque opérateur de service en ligne connaissant la localisation de ses utilisateurs par l’intermédiaire de leur adresse IP ». En effet, seul Google ou Microsoft ou encore Facebook, etc., savent combien d’internautes localisés dans l’hexagone voient leurs publicités.

Face à ces difficultés juridiques et pratiques, il apparaît donc que les violentes critiques émises à l’encontre de la « taxe Google » ne soient pas purement gratuites. Il est donc primordial que nos gouvernants réfléchissent à deux fois avant d’inclure cette proposition parmi un quelconque projet de loi.

Or, Frédéric Mittérand, lors de son discours prononcé à l’occasion de la remise du rapport « Zelnik », semble avoir accueilli favorablement ladite proposition, déclarant que : « ce n’est pas le moindre de vos mérites, vous avez tenu, dans cette période difficile pour le budget de l’Etat, à un schéma de financement équilibré, les nouvelles recettes fiscales venant compenser les débours budgétaires ».

Et quant au président de la République, Nicolas Sarkozy, lors de ses vœux au monde de la culture présenté le 7 janvier à la Cité de la musique, ce dernier n’a pas explicitement annoncé la création prochaine d’une « taxe Google ». Mais, le président étant scandalisé que : « pour l’instant, ces entreprises [soient] taxées dans le pays siège alors qu’elles ponctionnent une part importante de notre marché publicitaire », a témoigné sa faveur à ladite mesure. Et, répondant pleinement à l’une des propositions du rapport, Nicolas Sarkozy a déclaré qu’il « va solliciter un avis de l’Autorité de la concurrence sur l’éventuelle position dominante acquise par Google sur le marché de la publicité en ligne ». La guerre contre le géant américain est officiellement déclarée.

Dés lors, là où William Shakespeare a pu écrire : « aux maux désespérés, il faut des remèdes désespérés, ou il n’en faut pas du tout », il n’est pas certain que la « taxe Google », qui pour le coup est une mesure désespérée, joue son rôle de remède, dans ce contexte désespéré de lutte contre le téléchargement illégal et donc de financement d’une offre légale.

Les pouvoirs publics ne perdent-ils pas pieds ? On pourrait l’estimer, surtout quand Nicolas Sarkozy, lors de son discours à la Cité de la musique, énonce que « la France a inventé le copyright », voulant parler du droit d’auteur personnaliste à la française.

Sources :
http://www.culture.gouv.fr/mcc/Actualites/A-la-une/Remise-du-rapport-de-la-mission-creation-et-internet
http://www.laquadrature.net/fr/mission-zelnik-deni-des-droits-et-business-aux-frais-du-contribuable
http://www.lemonde.fr/technologies/article/2010/01/07/pour-promouvoir-la-culture-la-commission-zelnik-part-en-guerre-contre-google_1288540_651865.html
http://tempsreel.nouvelobs.com/actualites/vu_sur_le_web/20100107.OBS2973/un_rapport_lache_obscene_imbecile.html
http://www.lefigaro.fr/medias/2010/01/08/04002-20100108ARTFIG00006-nicolas-sarkozy-stigmatise-google-.php
http://www.elysee.fr/webtv/discours-france/reception-des-voeux-au-monde-de-la-culture-a-la-cite-de-la-musique-video-3-1493.html

Isabelle MEYER