LE JEU DE LA MORT, LE DOCUMENTAIRE CHOC DE FRANCE 2

Et si on jouait à se tuer sur un plateau télé ? C’est ce que propose Le jeu de la mort, le documentaire choc de France 2 basé sur une expérience scientifique et diffusé ce soir.
Le but : découvrir jusqu’où peut aller la télévision.

Ecrit et produit par Christophe Nick, célèbre documentariste à qui l’on doit Chroniques de la violence ordinaire, Résistance ou encore Mise à mort du travail, ce programme reproduit  l’expérience scientifique de Milgram. Tout se déroule comme dans un véritable jeu télé. Un décor, une animatrice, et des candidats, qui ne sont au courant de rien, et découvrent les règles de ce nouveau programme faussement baptisé La zone Xtrême.
Les règles sont simples : envoyer des décharges électriques des plus en plus fortes à un autre candidat, comédien celui-ci.
Christophe Nick cherche ainsi à vérifier si des anonymes acceptent de se soumettent à des règles inhumaines sous l’influence d’une animatrice et de caméras. Le résultat est sans appel : 80% d’entre eux obéissent. C’est encore plus que les chiffres récoltés par Milgram dans les années 70.
HYPERLINK “http://www.rue89.com/tele89/2010/03/16/la-tele-rend-elle-sadique-lemission-zone-extreme-controversee-143110″La thèse principale du « Jeu de la mort », reprise à maintes occasions tout au long du film et répétée sous diverses formes, est que, livrés entre les mains d’un pouvoir, quelle que soit sa nature, coercitive, morale, scientifique… nous avons tendance à nous livrer à lui.
Sous sa contrainte, nous abdiquons notre prérogative d’être nous-mêmes, notre libre-arbitre, et nous lui cédons notre capacité à décider, cela dut-il aller contre nos principes. Nous avons tous vécu ou ressenti de telles situations.
Or, il est très frappant de constater que le film lui-même fonctionne exactement selon ce principe, qu’il souhaite par ailleurs dénoncer. C’est en effet parce que tout au long du film, à de multiples reprises, des « spécialistes », des « scientifiques » viennent, tableaux, schémas, courbes, statistiques à l’appui, nous affirmer que tout ce que nous voyons est vrai, que nous sommes conditionnés pour le croire.
Nous aimerions bien réfléchir par nous-mêmes, mais, sous le poids du savoir, nous ne le pouvons plus. Sans la parole de ces « experts » qui pèse si fort sur le film, nous serions libres de l’analyser, mais sans cette parole-là, le film ne tiendrait plus. Stanley Milgram était un chercheur en psychologie qui se posait la question du pouvoir d’autorité que pouvait exercer un scientifique sur un individu lambda. Les règles étaient les mêmes que pour Le jeu de la mort, mais dans un autre contexte. Des personnes volontaires étaient recrutées pour participer à une expérience sans en connaître les différents facteurs. On leur faisait croire par un tirage au sort bidonné qu’ils auraient le rôle du questionneur et leur voisin (un complice) celui du candidat. Ce dernier devait alors mémoriser une liste de mots associés. Quand le questionneur demande un mot, le comédien, enfermé dans une cabine, doit lui répondre le mot associé. S’il se trompe (ce qu’il fait, puisque c’est un complice), le questionneur a l’ordre de lui envoyer une décharge électrique. Plus il se trompe, plus les décharges s’intensifient, passant de 15 à 450 volts. Le questionneur sait que les doses puissantes sont mortelles, il entend les suppliques du comédien, mais pourtant, dans 62,5% des cas, il va jusqu’au bout, encouragé par le scientifique.
En avait découlé un film : I comme Icare, avec Yves Montand.

Dans Le jeu de la mort, Christophe Nick réactualise l’expérience. Il a simplement remplacé l’homme en blouse blanche par une animatrice, interprétée par Tania Young. Au lieu d’être installés dans un laboratoire, les questionneurs se retrouvent sur un plateau de télévision. Et les résultats sont là, alarmants. Devant les injonctions de l’animatrice, la majorité des candidats ne parviennent pas à se rebeller et poursuivent leur acte de torture.
Pourtant, il n’y a rien à gagner, car ils croient prendre part au pilote non diffusable d’un nouveau jeu télé. Suite à cette expérience, souvent déstabilisante, les “cobayes” ont été pris en charge psychologiquement.

Le but de cette expérience : certainement pas d’accabler les participants devenu bourreaux, mais plutôt de réfléchir au pouvoir que détient la télévision.
Le jeu de la mort s’ouvre sur ce qu’il faut bien nommer une mise en condition. Celle-ci présente les dérives mondiales de la télévision qui, de plus en plus dit-on, « sadise » ou humilie, met en place des dispositifs cruels afin de garantir une audience forte.
Des extraits d’émissions de nombreuses chaînes de télévision du monde nous sont montrés pour le prouver. Ici, deux remarques.
La première est franchement joyeuse. Afin de parvenir à ses fins sur le danger supposé de la télévision, et dont on verra un exemple éloquent, le film présente un extrait de L’Ile de la tentation sur TF1, en affirmant que l’émission « brise de jeunes couples ».
Voilà des années que bon nombre d’enquêtes journalistiques, témoignages des participants et procès ont pourtant démontré que ce que l’on nomme la télé-réalité est une pure fiction, un spectacle n’ayant rien à voir avec la réalité, mais élaboré pour le faire croire.
Tout le monde le sait, sauf les auteurs du « Jeu de la mort », qui ont besoin de réhabiliter la téléréalité, de la rétablir dans l’ordre du vrai, pour mieux faire croire à l’urgence de la combattre. Ce procédé, précisément, appartient à l’univers de la téléréalité : mettre en place des chimères et des fausses vérités afin de créer un univers où tout se vaut.
Mais ce n’est pas tout. Les autres extraits présentés sur la dérive de la télévision possèdent un point commun : ils sont certes violents, obscènes, humiliants et tous les qualificatifs qu’on voudra leur coller, mais ils ne concernent que des « victimes » volontaires.
Mis ainsi en condition, on est bien sûr perplexes de voir d’honnêtes citoyens se transformer en bourreaux.
Mais cette fois encore, la négation de ce qu’est la télévision en elle-même force terriblement la démonstration. Pourquoi la télévision nous contraint-elle à électrocuter une victime supposée ?
L’un des participants donnera la réponse, laquelle, pourtant éclairante, sera absolument ignorée. En substance, cet homme affirme qu’il a en effet poussé toutes les manettes pour « électrocuter », parce qu’il sait bien que la télévision ne peut imposer de torture physique à qui que ce soit, qu’il est venu participer à un jeu et qu’il avait conscience, sans savoir comment, que personne ne risquait rien.
Quelle est alors la conséquence de ce film et de son impressionnante promotion ?Elle est simple : nous ne connaissons toujours pas les réels dangers de la télévision. En ayant créé, avec une belle efficacité, un monstre qu’elle n’est pas, nous renonçons du coup à analyser les dangers bien réels qu’elle nous fait d’ores-et-déjà courir.
Conformisme social, misogynie, tiédeur créative, disparition de continents entiers, promotions à outrance… La liste serait longue et elle concerne bien sûr, d’abord les télévisions privées. Mais pas seulement.

Sidney TRUC