QUAND LA PUBLICITE S’ACHETE UNE CONDUITE

L’image de la publicité, en France comme partout dans le monde, est souvent écornée et parfois même pas très glorieuse. On dit souvent que la publicité ne doit jamais choquer, posant ainsi la principale limite des régies publicitaires. Mais c’est un secret de polichinelle : la pub doit faire parler d’elle, et pour cela elle aime bien franchir la ligne en pointillés exagérément érigée en mur infranchissable. En 2010 c’est Damien Saez qui en fait les frais.

L’artiste français auteur, compositeur, interprète est du genre à choquer, il faut l’avouer. Et en sortant son nouvel album « J’accuse », il espérait plus passer pour le nouveau Victor Hugo que pour le machiste de l’année. Dans son album il accuse, donc, la société de consommation, et se pose en défenseur du « sexe faible » trop souvent utilisé comme objet, et pas assez respecté en tant que personne. Or si les Chiennes de garde partagent entièrement sa vision des choses sur le sujet, ce n’est pas le cas pour son affiche de promotion. Le réseau féministe français n’a en effet pas du tout apprécié cette dernière, et n’a surtout pas compris, ou voulu comprendre, le message du chanteur à l’encontre du système. Dans leur lutte contre les stéréotypes et les violences sexistes, le mouvement féministe, Florence Montreynaud en tête, emporte tout sur son passage et se préoccupe peu du fond du message. En quelque sorte, on ne peut utiliser l’objet de la contestation pour contester.

L’image en elle-même peu paraitre commune : une femme nue, portant comme seul déguisement des talons hauts et une coiffe digne de Marylin, dans un caddie de supermarché. Une image qui peut paraitre peu choquante car ce n’est bien sur pas la première femme nue dans une pub, ni même la première image de sex-symbol. Ce qui va soulever l’opinion publique est la signification de l’affiche. Les versions s’opposent alors. Le seul point sur lequel tout le monde s’accorde est le message : la société utilise la femme comme un vulgaire produit, objet. Mais dans un pays où personne ne s’écoute et chacun veut avoir raison, la tourmente est souvent proche.
D’un côté d’abord les Chiennes de garde, qui s’opposent tout de suite à la sortie de cette affiche qui ne fait que contribuer à rabaisser la femme et son image. Elles voient en cela une opportunité pour l’artiste de faire un « buzz » et anticipent la porte entrouverte qu’une telle image pourrait représenter. Et restent inflexibles.
De l’autre l’artiste, qui se défend dès le départ d’une telle interprétation. Pour lui il s’agit clairement d’une image mettant en cause le fonctionnement du marché de la consommation, le texte « J’accuse » en haut de l’affiche appuyant ce message.

L’affaire prend alors une tournure toute autre, qui relève plus du droit des médias, voir du droit en général, que de la protection de la femme et de son image. Car aux droits de la femme érigés par le mouvement féministe, l’artiste oppose sa liberté d’expression. Surtout lorsque l’affiche en vient à être censurée, sous la pression médiatique engendrée par les Chiennes de garde. En effet l’affiche de promotion du nouvel album ne sera pas visible dans le métro car les régies publicitaires ont refusé de la diffuser. La décision est tombée le 5 mars 2010, comme une pierre lancée dans un lac pourtant bien calme depuis un moment. Le mot est fort : censure. La raison invoquée par les régies l’est moins : « Dégradation de l’image de la nature humaine ». Les régies refusent même de publier la seconde affiche de Saez qui dénonçait le refus de la première. La publicité serait-elle devenue frileuse ? Ou engagée ?

L’affiche qui reproduit l’image présente sur la pochette de l’album a été refusée par la régie des transports parisiens et par plusieurs grosses sociétés d’affichage (CBS Outdoor, Clear Channel, Decaux et Mediatransport). Légalement, l’Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité a estimé que l’affiche « présente un caractère dégradant pour l’image de la femme », et que « la publicité ne peut réduire la personne humaine, et en particulier la femme, à une fonction objet ». On en perd un peu la tête lorsqu’on pense que la publicité est souvent considérée comme responsable des désordres alimentaires de jeunes femmes, justement, du fait de l’idéal féminin auquel il faut ressembler. Et de bien d’autres maux.
Certaines questions restent tout de même sans réponse. Aurait-ce été différent si l’artiste avait été une femme ? Ou encore, est-ce que les Chiennes de garde ne défendent pas ici un monopole de la contestation féministe, et de la protection de la femme ? Avoir le soutien des artistes peut parfois être un atout pour faire passer des messages. Mais l’image de Saez, contestateur dans l’âme, ne convenait peut être pas au mouvement.
Et le message ne convenait pas aux régies d’affichage. Pour l’artiste, « on a le droit d’afficher la femme comme une marchandise mais pas le droit de dire qu’on le fait »

Ainsi la grande question de cette affaire reste celle de la liberté d’expression. Dans le pays des droits de l’homme, cela fait tout de même un peu « désordre » de limiter, pour ne pas dire censurer, un artiste, alors que ceux-ci bénéficient souvent d’un traitement encore plus favorable quant à ce droit constitutionnellement protégé. La question, comme Saez l’a clairement annoncé, se réglera devant les tribunaux. On saura à ce moment là à quel niveau en est la liberté d’expression. Car il ne s’agit pas pour l’instant d’une censure étatique, mais seulement des régies d’affichage, certes appuyés par l’ARPP.

A une époque où le fait de s’essuyer les fesses avec le drapeau français est primé et légalement impuni, on peut se demander si l’opinion ne perd pas le sens des priorités. Et s’il n’existe pas une politique de « deux poids, deux mesures » selon l’origine de la contestation. Et l’on peut aisément comprendre, si ce n’est rejoindre, l’artiste qui exprime son mécontentement : « J’ai honte pour ces gens, honte pour mon pays, honte pour ce qu’il est devenu, honte pour cette auto-censure que la société s’inflige à chaque fois qu’elle ouvre la bouche ». Difficile de lui en vouloir…

Sources :

http://tempsreel.nouvelobs.com
http://culture.france2.fr
http://lesinrocks.com

Romain GAMBARELLI