QUAND TÉLÉ RÉALITE RIME AVEC DIGNITÉ…

Voilà 10 ans que la télé réalité a envahi nos écrans et que le CSA est saisi chaque année de plaintes concernant les contenus diffusés par cet ogre de la télé : Endemol. La société de production télévisuelle a alors décidé de rédiger une charte dans laquelle elle s’engage notamment auprès des candidats et téléspectateurs…

Malgré les multiples rappels à l’ordre du Conseil, les émissions de la société Endemol sont de plus en plus controversées. Les nombreux débordements qui ont eu lieu lors de la « Ferme Célébrités en Afrique » en sont une nouvelle preuve. Jusque là, les plaintes des téléspectateurs concernaient en majorité l’usage de tabac et de boissons alcoolisées ou les images de nudité diffusées dans ces émissions, comme le relève la décision de l’Assemblée Plénière du CSA rendue le 20 juillet 2009 au sujet de l’émission « secret story ». Cependant, avec la dernière émission en date, «  La Ferme Célébrités en Afrique », le degré des débordements dans les programmes produits par Endemol France a atteint son summum.
Insultes, violences et vulgarité ont présidés à ce « jeu » durant une dizaine de semaines. Bien qu’Endemol ne soit pas entièrement responsable du langage qu’emploient les participants à ses émissions, sa responsabilité à l’égard des téléspectateurs est tout de même engagée.
Peut-être est-ce pour cette raison que la pionnière de la télé-réalité a décidé de se doter d’une charte déontologique ?
Le 19 février 2010, Endemol France a présenté au CSA une charte déontologique exposant les limites à « l’usage des participants aux émissions ainsi que des professionnels qui les fabriquent ». Cette charte a été élaborée par un comité de déontologie composé de personnalités extérieures, parmi lesquelles Christine Albanel, Elisabeth Badinter, Stéphane Clergé, Etienne Mougeotte et Louis Schweitzer (Président de la HALDE). Selon la présidente d’Endemol France, elle a pour but d’exposer les principes et valeurs de la société en matière de dignité humaine, de liberté, d’égalité et d’intégrité. Après 10 années d’émissions au cours desquelles les candidats ont été montrés sous leurs plus mauvais angles, on peut tout de même se demander si ce texte n’arrive pas un peu tard ? D’ailleurs, une telle société a-t-elle besoin de rédiger une charte déontologique pour respecter les candidats qu’elle emploie et les téléspectateurs qu’elle inonde de ses programmes ? Enfin, peut-être cette avancée permettra-t-elle de faire évoluer les contenus des émissions…
La charte est divisée en deux parties. Premièrement, la société rappelle les principes directeurs sur lesquels elle s’engage et donne des exemples concrets d’actions qu’elle met en œuvre dans ses programmes. Ces principes n’ont rien d’original, le premier étant le respect à la dignité et rappelant la primauté du respect de la personne, de son honneur, de sa réputation et de son image. Ce principe, constitutionnellement consacré, laisse cependant perplexe. En effet, montrer un candidat en train de pleurer ou se battre dans une maison ne constitue-t-il pas une atteinte à la dignité des candidats ? Il ne faut pas oublier que ces moments font qu’un programme générera de l’audience. Dès lors, comment conjuguer audience et respect de la personne ?
La charte tire quelques exemples d’actions concrètes menées pour préserver la dignité des participants. Il s’agit par exemple de la mise à disposition d’une salle dite « salle CSA » dans laquelle ils ne sont pas filmés. Un autre principe que la société s’impose de respecter concerne la liberté des participants. La charte rappelle que les participants sont libres de quitter le jeu lorsqu’ils le souhaitent. Au regard de cette disposition, il faut rappeler que la majorité de ces émissions permettent aux candidats de gagner beaucoup d’argent et que les contrats par lesquels ils sont liés précisent bien souvent que le participant désirant quitter le jeu prématurément devra s’affranchir d’une compensation financière envers la société de production. Ils peuvent donc effectivement quitter le jeu s’ils le souhaitent, mais à quel prix ?
La société s’impose également le respect à l’égalité, la diversité et la solidarité, tant à l’écran que dans l’entreprise, tout en précisant son attachement à la place des femmes dans la société. Un principe qui ne peut qu’être approuvé.
Dans la seconde partie du texte, la société prend des engagements à l’égard des participants à ses programmes et des téléspectateurs. La rédaction d’une liste de 15 engagements à été motivée par le fait que la « société veut satisfaire à l’exigence d’exemplarité que lui impose sa position de leader ». Endemol est en effet le numéro 1 en France et dans le monde pour la production de contenus audiovisuels, avec 1 500 heures de programmes diffusés par an. Ces engagements à l’égard des participants concernent notamment l’accompagnement personnalisé des participants aux émissions avec la mise à disposition de psychologues, l’information des candidats sur les conditions d’enregistrement des programmes, le respect de la part d’intimité et la mise en place d’un cadre juridique adapté. Ce dernier point amène à penser que la jurisprudence « île de la tentation » a fait son effet et que les sociétés de production de programmes de télé-réalité vont désormais s’armer juridiquement pour que le rapport de force ne se renverse plus.
Enfin, les engagements pris par Endemol France vis à vis des téléspectateurs répondent aux diverses recommandations émises par le CSA au cours des dernières années au sujet des programmes tel que la transparence des informations, notamment sur les votes ; la protection des mineurs ; l’absence d’exposition de produits de tabac, alcoolisés ou de drogues à l’écran ; le placement de produits, etc. Il est intéressant de s’arrêter sur ce point quelque instant. Endemol s’engage à utiliser « la technique du placement de produit de manière responsable ». Le placement de produit qui était prohibé dans les programmes audiovisuels vient d’être légalisé en France par l’effet de la transposition de la directive Européenne sur les Services de Médias Audiovisuels. Toutefois, en France le placement de produit est très réglementé et il n’est autorisé que dans certains programmes. Le CSA dans sa délibération du 10 février 2010 en limite son application en rappelant que le placement de produit n’est autorisé que dans les œuvres cinématographiques, les fictions audiovisuelles et les vidéomusiques sauf si ces programmes sont destinés aux enfants. Or, les émissions de télé-réalité ne figurent dans aucun de ces genres de programmes. Il semble donc que le placement de produit reste prohibé pour eux. Dès lors, comment utiliser cette technique de façon responsable ?
Après lecture de la Charte, il apparaît clairement que ce règlement de bonne conduite sera difficile à appliquer dans de tels programmes. Cela-dit, le fait qu’Endemol ait eu cette idée peut être salué. D’autant que la société s’engage à réunir le Comité déontologique tous les ans afin qu’il formule des recommandations pour améliorer la charte et ses applications. Le CSA pourra également émettre des recommandations concernant ladite charte, chose que le régulateur ne manquera probablement pas de faire, comme à son habitude.
Certes, cette charte est quelque peu utopiste dans un milieu si dure que celui de la production de programmes de télé réalité mais elle pourrait produire ses effets sur certains points. Pour en apprécier sa portée, rendez-vous cet été devant Secret Story.

Sources :

Chloé GILLIARD