Un récent rapport de l’Observatoire européen de l’audiovisuel a révélé que la numérisation du cinéma européen risquait de provoquer la disparition de 10.000 salles. L’organisme dépendant du Conseil de l’Europe a ajouté que si le passage au numérique offrait plusieurs avantages en terme de souplesse de programmation ou de projection de films 3D par exemple, l’installation du matériel numérique demeurait très onéreuse pour un exploitant de salles. Les cinémas d’arts et essai, en particulier, ne peuvent décemment pas s’offrir un tel aménagement ou négocier des contrats de frais de copies virtuelles. Les conventions de Virtual Print Fee (VPF, frais de copie virtuelle) sont nées aux Etats-Unis et prévoient qu’un investisseur public ou privé fasse une avance sur le prix d’achat du matériel, dont il est ensuite remboursé par la distributeur et l’exploitant.
Les organismes publics du cinéma européen (EFAD) ont ainsi réclamé en septembre 2009 une intervention des pouvoirs publics pour la numérisation des salles de cinéma. Selon les EFAD, 10.000 écrans européens seraient voués à disparaître à cause d’un système privilégiant les cinémas commercialement porteurs.
En France, afin de permettre aux plus petites et plus modestes salles de cinéma de passer au tout numérique, le Centre National de la Cinématographie a proposé la création d’un fonds de mutualisation dont le but serait de faire supporter par les circuits des plus riches les investissements des plus pauvres tandis que jusque là, le financement de cette numérisation reposait sur un partage.
Les principaux bénéficiaires de ce passage au numérique, les distributeurs, reverseraient une une partie des économies réalisées grâce à l’avènement de la copie numérique aux exploitants. Le problème est que ce transfert financier nécessiterait de passer par des investisseurs qui procéderaient à une avance et c’est précisément ici que le CNC interviendrait. Le CNC collecterait donc auprès des distributeurs une contribution qui servirait ensuite à financer les investissements des exploitants de salles à hauteur de 75 %.
Si l’Autorité de la Concurrence ne remet pas le caractère d’intérêt général de cet objectif, elle craint cependant que l’intervention directe du régulateur sectoriel (…) [soit] de nature à créer d’importantes distorsions de concurrence, voire à éliminer toute concurrence sur le marché du financement du cinéma numérique. En effet, dans cette hypothèse le CNC se retrouverait d’une part en concurrence directe avec des opérateurs privés alors qu’il est un acteur incontournable du financement du cinéma français et d’autre part, le CNC pourrait imposer des montants de copie inférieurs aux prix du marchés empêchant les opérateurs privés de suivre.
L’autorité a par conséquent inviter le CNC à trouver des solutions alternatives en préconisant de soumettre les tiers investisseurs à un appel d’offres sur les salles désirant s’équiper. Ce type de dispositif demeure complexe à mettre en place étant considéré le millier de salles qui attendent d’êtres numérisées.
C’est à l’occasion du dernier festival de Cannes que Véronique Cayla, présidente du CNC, a développer les grandes lignes d’une nouvelle proposition de subvention non plus générale mais réservée cette fois aux seules salles qui ne peuvent réunir le financement nécessaire. Il est prévu que cette subvention soit coordonnée avec celles des collectivités territoriales et qu’en outre, une partie du financement pourra venir du grand emprunt pour accompagner les salles des zones rurales, bien souvent les plus vulnérables. En parallèle, le CNC devrait distribuer incessamment sous peu une aide aux masters numériques qui permettrait de tirer les copies numériques des films français à petit budget, notamment ceux qui n’ont pas obtenu de financement de la télévision.
Le second volet de ce dispositif a vu le jour grâce au député Michel Herbillon qui a posé en mai dernier à l’Assemblée nationale une proposition de loi relative à la numérisation du parc français. Celle-ci prévoit des frais de copie virtuelle obligatoires à la charge des distributeurs lors des deux premières semaines d’exploitation du film. Cette participation financière ne sera pas pérenne puisqu’elle disparaîtra dans un délai de dix ans, c’est-à-dire jusqu’à ce que la transition numérique soit assurée dans l’ensemble des salles. Mais si une contribution est également exigible à chaque retransmission, en direct ou en différé de spectacles vivants ou de manifestations sportives, la proposition de loi ne prévoit en revanche pas de contribution dans le cadre des continuations qui correspondraient en 35 mm à un déplacement de copie.
Le texte prévoit que le montant de la contribution (…) [sera] négocié entre les parties à des conditions équitables, transparentes et objectives, afin notamment qu’il reste inférieur à la différence entre le coût de la mise à disposition d’une oeuvre sur un support photochimique et celui de la mise à disposition d’une oeuvre sous forme de fichier numérique. La proposition de loi précise également le recours au médiateur du cinéma dans l’hypothèse d’un litige survenant entre distributeurs et exploitants ainsi que la présence d’un comité de concertation professionnelle chargé d’élaborer des recommandations permettant d’assurer la plus grande diffusion des oeuvres cinématographiques conforme à l’intérêt général.
Les députés ont adopté cette proposition de loi UMP soutenue par Frédéric Mitterrand, actuel ministre de la Culture, qui propose de convertir les 5.470 salles françaises au numérique dans un délai de dix ans. Seules 18 % des salles sont aujourd’hui numérisées et appartiennent pour la plupart aux grands circuits de distributions parisiens.
Reste à savoir si le calendrier sera tenu et si la contribution des distributeurs n’aura pas indirectement pour effet d’augmenter le prix du ticket de cinéma.
Sources :
http://tempsreel.nouvelobs.com/actualite/media/20100517.REU9144/la-longue-route-de-la-numerisation-du-cinema-en-europe.html
http://www.latribune.fr/technos-medias/medias/20100518trib000510578/nouveau-plan-d-aide-a-la-numerisation-des-salles-de-cinema.html
http://www.lemonde.fr/cinema/article/2010/06/08/football-tennis-opera-concert-de-rock-les-salles-de-cinema-s-ouvrent-de-plus-en-plus-a-des-evenements_1369507_3476.html
Jean-Michel PERIL