Lors des Assises du journalisme à Strasbourg des 16, 17 et 18 novembre 2010, Paul Steiger, fondateur du player américain ProPublica, revient sur le modèle économique avant-gardiste de son site prônant « le journalisme d’intérêt public ».
LE MECENAT, NOUVEAU MODELE ECONOMIQUE DE LA PRESSE
A l’heure du numérique, les groupes de presse recherchent un nouveau modèle économique viable face à la désuétude de la presse papier. Tandis que le New York Times opte pour le « freemium » (mi-gratuit, mi payant) sur internet, le Times, lui, préfère le tout payant. Or dès 2007, une idée révolutionnaire commençait à prendre corps outre-Atlantique pour remédier à la crise dramatique de la presse écrite. Il s’agissait de créer des fondations à but non lucratif qui financeraient les journaux et assureraient la survie d’un élément essentiel de la vie démocratique.
Alors que Paul Steiger, directeur de la rédaction du Wall Street Journal, prend sa retraite en 2007, le couple de milliardaire de la finance, Herbert et Marion Sandler, ne compte pas laisser filer un tel cador de la presse. Les Sandler lui proposent de diriger un site de journalisme d’investigation entièrement financé par le mécénat. Paul Steiger est plutôt réceptif à l’idée :
« Aux Etats-Unis, le mécénat subventionne des musées, des orchestres, des ballets, des universités. Pourquoi pas la presse ? ».
DES ARTICLES A VOLER, DES ABUS DE POUVOIR A REVELER ET UNE DEONTOLOGIE SANS REPROCHE
ProPublica voit donc le jour en 2008. Ce player américain est un site de journalisme d’investigation. Il donne les moyens aux journalistes de mener des enquêtes d’envergure qui sont ensuite proposées aux médias traditionnels. Le site publie en effet ses articles sous licence Creative Commons pour inciter ouvertement à la réutilisation des articles dans la rubrique « Volez nos articles ! ». 32 journalistes, dont 19 reporters, travaillent sur ces investigations « ayant une force morale […] visant à illustrer l’exploitation des faibles par les forts, et l’échec de ceux qui détiennent le pouvoir à honorer la confiance placée en eux » (Paul Steiger). ProPublica se donne donc pour mission de révéler des “abus de pouvoir” commis par toutes sortes d’organisations, du gouvernement aux médias en passant par les entreprises, les syndicats et les universités.
ProPublica défend les mêmes valeurs que la presse traditionnelle : l’objectivité, la séparation entre articles et conversation (commentaires d’internautes), et celle entre business et journalisme. Les articles doivent être les plus neutres possibles et la modération des commentaires d’internautes est de rigueur. De même, les chiffres du site sont publiés pour assurer leur transparence financière.
UN PRIX PULITZER POUR PROBUBLICA
Depuis 2008, ProPublica a publié 138 enquêtes reprises dans 38 médias différents. Le site a même reçu le prestigieux prix Pulitzer pour l’une d’entre elle. Cette investigation aura duré deux ans et coûté plus de 400 000 dollars (soit 300 000 euros) pour finalement être publiée à la une du New York Times Magazine. Les journalistes y dénoncent les médecins d’un hôpital de La Nouvelle-Orléans qui auraient euthanasié plusieurs patients pendant l’ouragan Katrina, alors que ceux-ci auraient du être évacués. Suite à la publication de l’enquête, le procureur général de Louisiane a rouvert l’affaire, clôturée trois ans auparavant. Aucun autre média ne peut financer une telle investigation à ce jour.
ProPublica travaille également sur le journalisme de données : les journalistes recoupent des données existantes pour révéler de nouvelles affaires. Cette technique a d’ailleurs été utilisée pour la dernière affaire publiée au sujet des laboratoires pharmaceutiques qui rémunèrent des médecins pour promouvoir les médicaments de leur marque. Ce journalisme de données permet également aux journaux locaux de récupérer des informations sur leur région afin d’enquêter à leur tour. ProPublica offrent donc des pistes aux journalistes locaux.
UNE INDEPENDANCE EDITORIALE DISCUTABLE
ProPublica coûte 10 millions de dollars par an, soit 10 millions de dollars de dons par an. Le couple Sandler finance le player à hauteur de 70%, le reste provient de d’autres donateurs comme la Knight Fundation. Lors des Assises, M. Steiger a annoncé :
« En 2009, nous avons reçu 1 million de dollars d’autres donateurs ; en 2010, 3 à 4 millions, et l’année prochaine 5 à 6 millions ».
Le poids du financement des Sandler dans la start-up pose évidemment la question de l’indépendance de la ligne éditoriale. Mais le couple de milliardaire démocrate n’a aucun droit de regard sur le travail des journalistes, ou leur publication. De plus, la loi fiscale américaine n’autorise pas le financement d’une fondation à but non lucratif par un seul donateur pour plus de trois ans. ProPublica arrive au terme de ces trois années. C’est pour cette raison que le site s’est doté d’une fundraising manager, chargée de trouver de nouveaux donateurs pour 2011. Paul Steiger s’efforce d’être le plus pluraliste possible dans le choix de ses donateurs :
« Nos donateurs sont avertis que leurs dons ne changeront rien à nos méthodes d’investigation et à notre travail. C’est nous qui choisissons les sujets d’enquête. Nos sponsors sont plutôt de centre-gauche, mais nous nous rapprochons d’une fondation plus à droite.“
La presse semble retrouver son rôle de « chien de garde» de la démocratie au travers du modèle économique de ProPublica. Elle dénonce les abus des « puissants » et veille sur les « faibles ». Cependant, les Etats-Unis ne sont pas la France et le système du mécénat est beaucoup moins répandu dans notre cher pays : autre culture, autres pratiques.
En France, les groupes de presse n’hésitent pas à se faire aider par l’Etat, ce qui est susceptible d’endormir l’esprit d’initiative de ce genre et le dynamisme qui s’en suivrait…
Sources :
http://www.liberation.fr/medias/0101605731-propublica-l-info-au-long-cours