Le 19 octobre dernier, Carrefour, distributeur français, lance sa première campagne nationale de publicité comparative. Elle se décline sur supports papiers (affichage et presse) et télévisuels et compare les prix de vingt-cinq « produits quotidiens » avec ceux des enseignes Leader Price et Lidl, deux hard discounter implantés en France.
Cette démarche est surprenante de la part de Carrefour. Ce distributeur a, jusqu’à présent, toujours fait preuve d’une réelle opposition pour ce type de campagne.
2006, Leclerc ouvre la marche en lançant la première campagne nationale de publicité comparative en France. Son « comparateur de prix en ligne » est immédiatement attaqué en justice par Carrefour. Ce dernier dénonce l’opacité du service offert sur le site quiestlemoinscher.com et le considère comme constituant une « publicité trompeuse et mensongère ». Après quatre années de démêlés judiciaires, la Cour de Cassation, dans son arrêt du 19 janvier 2010, juge que le site internet mis en cause est licite. Elle estime que l’enquête sur les prix concernés est issue d’opérateurs suffisamment indépendants de l’enseigne et que la manipulation de certains prix dénoncée par Carrefour est de faible importance au regard de la quantité d’articles présents sur le site.
Le 28 septembre 2010 (soit moins d’un mois avant la nouvelle campagne Carrefour), le tribunal de Commerce de Paris se prononce sur la licéité de la campagne publicitaire lancée en avril 2010 par Leader Price (groupe Casino). Elle compare ses prix avec ceux de deux autres distributeurs. Leader Price est condamné à payer 300 000€ de dommage et intérêts à Carrefour. Le Tribunal juge que la société Leader Price en adoptant « des slogans d’accroche de portée générale alors que le constat réalisé ne s’appuyait que sur un échantillon limité, n’a (…) pas respecté les dispositions du code de la consommation et (…) ces manquements à la neutralité et l’objectivité d’une campagne de publicité comparative constituent des actes de concurrence déloyale ». Cette décision fait actuellement l’objet d’un appel.
La publicité comparative est autorisée en France depuis la loi de 1992. Elle est régie par La directive 97/55/CEE du 6 août 1997 transposée dans le droit français par l’ordonnance du 23 août 2001. Les articles L-121-8 et suivants du Code de la consommation reprennent donc les conditions de licéité d’une publicité comparative. Ces conditions sont très strictes et la limite avec la publicité déloyale et dénigrante est vite atteinte. En effet, la publicité comparative est définie comme étant « toute publicité qui met en comparaison des biens ou services en identifiant, implicitement ou explicitement, un concurrent ou des biens ou services offerts par un concurrent ». Elle est licite si elle n’est pas trompeuse ou de nature à induire en erreur, si la comparaison porte sur des biens ou services répondant aux mêmes besoins ou ayant le même objectif et si elle est une comparaison objective des produits.
L’annonceur doit toujours être en mesure de prouver la licéité de son message qui ne peut contenir aucune erreur, ni affirmation imprécise ou non prouvée. L’usage de la « publicité comparative » rime donc souvent avec « passage devant les tribunaux ».
La question se pose alors sur les motivations et les intérêts de l’enseigne Carrefour, jusqu’à présent clairement opposée, à se lancer dans ce type de publicité. Par toutes ses actions envers ses prédécesseurs, elle montre bien qu’il s’agit de campagne à risques.
Le développement des publicités comparatives en France est donc enclin à donner naissance aux litiges. Si les procès pourraient freiner les distributeurs, ils ont tout de même l’avantage de faire parler la presse. Leur passage devant les tribunaux pourrait même servir d’excellent complément de communication.
A en croire le revirement de stratégie de communication de la part de Carrefour, le jeu en vaudrait bien la chandelle. Par cette campagne, Carrefour veut se différencier de ses prédécesseurs en montrant une image de transparence et de hard discounter. Dans son communiqué, l’enseigne a souhaité démontrer la licéité de sa campagne en précisant « qu’elle respecte les règles de la publicité comparative édictées par le code de la consommation, en termes de neutralité et objectivité ». Cependant le groupe Casino a déjà fait remarquer que cette publicité compare une marque « premier prix », Carrefour Discount, à de vraies marques de distributeurs.
L’enseigne Leclerc, pionnière de la publicité comparative en France, est également la preuve de l’enjeu médiatique qu’entraîne une stratégie agressive entreprise dans une campagne. Ses publicités sont régulièrement attaquées en justice mais l’enseigne poursuit tout de même dans cette voie.
En France, l’usage de la publicité comparative ne devrait pas se limiter aux grandes distributions. On constate aujourd’hui, que de nombreuses marques communiquent essentiellement voir uniquement sur leurs prix. Les compagnies de transports notamment se livrent à cette guerre de prix et affichent clairement leurs tarifs dans leur campagne. Il ne leur reste plus qu’un pas à faire pour se lancer dans la publicité comparative.
http://www.quiestlemoinscher.com/
http://www.01net.com/editorial/512308/le-comparateur-de-prix-de-leclerc-definitivement-juge-licite