L’État et les collectivités locales pèsent de plus en plus lourd au sein des budgets des entreprises éditrices de presse.
Ce constat est possible après que le site owni.fr se soit procuré des documents confidentiels dans lesquels sont exposés les montants et la nature des projets financés depuis 2003 par les pouvoirs publics, ainsi que les comptes-rendus des réunions de la commission chargée de distribuer ces aides.
Parmi les nombreux organismes contribuant à la diffusion de ces deniers publics, on trouve le Fonds d’aide à la modernisation de la presse, créé en 1998. Ayant pour vocation de « soutenir des projets de développement et de recentrer les aides à la presse sur les publications d’information politique et générale », il aurait distribué en 2009 près de 25 millions d’euros. Mais, à l’heure où la situation se révèle être plus que délicate pour ces entreprises de l‘information, il ne s’agit pas de critiquer un soutien financier qui est effectivement vital.
L’on s’étonne en revanche des orientations prises et des choix opérés. En effet, à l’heure du règne du roi Immatériel et de la reine Gratuité, il ne parait guère pertinent de s’entêter à sauver une presse écrite et payante. Ne serait-il pas plus judicieux de se concentrer sur de nouveaux débouchés quand, derrière Ouest-France, les trois quotidiens les plus lus en France – Métro, 20 minutes et Direct matin – sont tous des « gratuits » ?
De la sorte, environ 1 million et demi d’euros furent alloués à La Tribune afin qu’elle acquière une nouvelle rotative. Aujourd’hui en proie à de grandes difficultés, le quotidien économique s’apprête à passer au tout web.
Autre exemple, en mars 2010, France Soir perçut une subvention de près de 3 millions d’euros pour réaliser sa « nouvelle maquette ». Son propriétaire, le milliardaire russe Alexandre Pougatchev, souhaite à présent réviser totalement sa formule et proposer un magazine d’ « infos choc » sur le modèle du Bild allemand.
Enfin que dire de ces 15 millions d’euros qui, versés sur trois années, doivent permettre à l’Agence française abonnement presse de financer 600 000 abonnements à destination des collégiens et lycéens. Si cette opération présente le noble objectif de « reconquérir un lectorat jeune en créant une habitude de lecture qui l’amènera plus tard à lire ou à s’abonner à un journal », nul doute qu‘il s‘agisse d‘une attitude passéiste et que, dans les faits, elle soit vouée à l’échec. Car la culture et les valeurs muent au fur et à mesure que les technologies prennent le pas sur les techniques et les écrans d‘ordinateur – quand bien même ce constat est douloureux – sont aujourd‘hui les mentors hégémoniques de la jeunesse. Et puis offrir des abonnements revient à l’habituer toujours davantage à cette gratuité qui ne quittera plus. Croire qu’il est possible de l’inciter à acheter ses journaux au kiosque du quartier – tant et si bien que celui-ci n’ait pas d’ici là mis la clé sous la porte comme tant de ses confrères – s’avère n’être guère plus qu’une douce mais grise utopie.
L’avenir de la presse – et a fortiori de l’information – prend place dans le monde du numérique et du gratuit, cela n’est plus contestable. Révolu est le temps où l’étudiant de sciences politiques se privait de repas pour pouvoir s’acheter Le Monde et, ainsi, pouvoir refaire le monde.
Or, force est de constater que les sommes investies se révèlent nettement inférieures du côté de l’aide au développement de l’offre d’information en ligne. En 2007, le projet « PHR sur le web » reçut une aide de 400 milles euros, La Croix obtint quelques 600 milles euros au titre de la « modernisation de son offre Internet » et Le Journal du Dimanche pas plus de 12 000 euros en vue du développement d’une application pour Iphone. Certes, existe depuis 2009 le fonds d’aide au développement des services de presse en ligne, lequel fut créé suite aux états généraux de la presse et permet enfin aux pure players – ces services de presse qui à l’instar de Bakchich, Rue 89 et Mediapart n’existent que sur la toile ou s’y sont développés avant de viser d’autres marchés – de percevoir des subventions. Mais il, s’agit là une bien maigre consolation puisque tout dépend évidemment des moyens mis en œuvre. Et dans bien des esprits, une presse immatérielle, ce n’est pas sérieux.
En outre, ces révélations amènent à se poser deux questions. Tout d’abord, cette dépendance financière ne nuit-elle pas à l’indépendance intellectuelle ? La réponse se situe peut-être dans l’impression frappante qu’existe aujourd’hui un certain conformisme des médias. Effectivement, rares sont les prises de risque et l’on constate une certaine homogénéité des contenus. S’il est vrai que la grande majorité des journalistes reçoit une formation peu ou prou identique au sein d’instituts de formation trop traditionalistes, peut-être l’existence de subventions participe-t-elle de ce besoin de prudence.
Quant à savoir s’il ne serait pas opportun d’apporter quelques gouttes de transparence au sujet de ces participation publiques, cet article suscite une réponse évidente. Mais sans doute s’y trouve-t-il quelque chose de plutôt pernicieux, d’où cette volonté de garder le secret que l’on rencontre chez la plupart des éditeurs.
Ceteris paribus, il est bon de noter qu’au Japon, pays à la pointe de la technologie s’il en est, il se vend chaque année d’avantage de quotidiens et hebdomadaires « papiers ». Partant, le problème ne se situerait-il pas dans une toute autre sphère : celle de la qualité ?
Source :
http://owni.fr/2010/08/09/subventions-a-la-presse-lheure-des-fuites/