Rien ne sert de courir, il faut partir à point.
Le CSA vient de rappeler la prégnance de la célèbre morale de La Fontaine à la rédaction de France 2 et, plus généralement, à la caste des journalistes ; ces petits lièvres si pressés que, pour quelques scoops exotiques, ils en oublient parfois la règle première du travail journalistique : s’assurer de l’exactitude de ses sources.
L’exclusivité ne possède nulle valeur lorsqu’elle réside en un mensonge.
Avril en octobre
À l’occasion du journal télévisé de 13 heures du 1er octobre 2009, France 2 consacra un reportage au débat riche et enflammé de la récidive criminelle. Afin d’éveiller un sentiment de révolte dans l’esprit des téléspectateurs, la chaîne illustra son propos par l’évocation du meurtre sordide et froid – par le malheureusement célèbre pédophile multirécidiviste Patrice Évrard – d’un jeune enfant. Nommément désigné, son visage apparaissait une première fois en gros plan, puis une seconde fois en très gros plan, sans jamais être flouté (voir la vidéo). L’intention semblait donc évidente : justifier le besoin de lois répressives plus strictes en inspirant au téléspectateur, à la vue de cette frimousse innocente, un glaçant sentiment d’injustice.
Seulement, tout était faut.
Si l’enfant avait bel et bien été enlevé, il avait heureusement bénéficié de la « clémence » de son agresseur et de l’abnégation des policiers qui n‘avaient désespéré de le retrouver. En outre, les faits dataient du début de l’année 2007 et non de 2008 comme le précisait pourtant le commentaire. Enfin, était expliqué que ce fait divers avait inspiré au Président de la République la loi du 25 février 2008 sur la rétention de sûreté. On voit mal comment cela eut pu être le cas puisqu’il n’existait pas. En réalité, c’est davantage le meurtre de Anne-Lorraine Schmitt en novembre 2007 – par un délinquant sexuel antérieurement condamné pour des faits effroyablement similaires et dont le procès vient de se tenir à Pontoise – qui a inspiré cet ovni du droit pénal.
Cette foultitude d’erreurs – si bien que rien dans le reportage n’était en définitive exact – apparaît d’autant plus incroyable qu’il ne s’agissait pas d’informations brutes et révélées dans le feu d’une actualité bouillonnante, mais plutôt de la mise en perspective d’un débat de société avec des évènements relativement anciens. Chercher la confirmation de la véracité de ces dires s’apparentait donc à une tâche relativement aisée.
Un évènement historique : la première condamnation pécuniaire prononcée par le CSA
En conséquent, le CSA a décidé – ce jeudi 9 décembre 2010 – de condamner la chaîne à une amende de 100 000 euros sur le fondement du « manquement à la déontologie de l’information ».
Il n’est pas ici question de discuter le pouvoir de sanction conféré par la loi au CSA, bien que certains arguments puissent nourrir cette discussion, notamment lorsque le Conseil Constitutionnel refuse que soit accordé une telle force à la HADOPI qui pourtant est également une autorité administrative indépendante (la nuance réside en réalité dans les publics concernés).
Néanmoins, son intervention interpelle sur plusieurs points.
Tout d’abord, la lenteur du travail du CSA surprend. Il aura fallu veiller durant plus d’une année avant que la condamnation ne soit décidée, le collège des conseillers s‘étant saisi de la question dès décembre 2009. Emmanuel Berretta, de l’hebdomadaire Le Point, imagine que le Président Jacques Boyon souhaitait attendre que le mandat de Patrick de Carolis soit achevé afin de ne pas perturber sa sortie et rendre encore plus compliqué que ce qu‘il n‘était déjà le processus de nomination du nouveau Président de France Télévisions. Il est vrai que la situation semblait s‘envenimer, notamment en raison des relations peu amicales entretenues entre Rachid Arhab, conseiller en charge des questions de déontologie, et Patrice Duhamel, le numéro 2 du groupe.
Eu égard au fait qu’il n’y ait eu besoin de solliciter ni une quelconque instruction des faits, ni une quelconque consultation, il n’en demeure pas moins que la durée de la procédure parait disproportionnément longue.
Un autre élément notable est la diligence avec laquelle le journaliste d‘origine kabyle a traité la question alors qu’il demeure, à l’instar de sa consœur Françoise Laborde, sous contrat avec France 2. La question de l’indépendance des autorités administratives et de leurs membres est souvent au cœur des problématiques à elles liées et, en adoptant une telle posture, il prouve qu’une totale sérénité l’épaule dans l’accomplissement de sa mission, le poussant peut-être même en direction de l’excès de zèle.
Cette lourde sanction marque enfin le fait que le CSA entend désormais endosser à plein temps son habit de gendarme des contenus. Alors qu’il a longtemps été à juste titre moqué pour son laxisme et ses réticences à usiter de ses pouvoirs, il semble aujourd’hui ne plus hésiter à intervenir à l’encontre des chaînes qui diffusent des programmes « koh-lantaïsés » dans lesquels il est offert au téléspectateur, par exemple, de regarder une jeune femme obligée par la production à vivre durant 24 heures tel Cador, c’est-à-dire en se comportant en canidé, en totale méconnaissance du droit au respect de la dignité humaine.
Pour la première fois en 30 ans d’existence, la haute autorité de régulation des contenus audiovisuels vient de prononcer une sanction pécuniaire. Qui plus est, son montant se révèle non négligeable et impactera durablement la situation financière de la chaîne.
Ce jeudi 9 décembre 2010 entre donc avec fracas dans l’histoire de la télévision et du journalisme français.
La déontologie des journalistes en question
Avant de refermer l’édition de ce fameux 1er octobre 2009, la présentatrice Sophie Le Saint s’était fendu d’un plat et robotique « nous vous avons parlé au début de ce journal de la polémique concernant les récidivistes, nous évoquions le petit Enis, il n’a pas été tué contrairement à ce qui a été dit. Voilà, nous refermons ce journal, je vous souhaite un bel après-midi et tout de suite ce sera la météo ». L’on aurait pu attendre de la part d’une journaliste professionnelle digne de ce nom que quelques mots d’excuse et de confusion joignent et confortent ce rectificatif, mais ils ne vinrent jamais.
Peut-être n’y a-t-il rien de plus banal à son sens que l’annonce du décès d’un enfant, surtout si il n’en est rien. C’est en tout cas l’impression donnée.
Ainsi, quand la chaîne de l’audiovisuel public se défend en avançant que « les téléspectateurs de ce journal télévisé avaient été immédiatement sensibilisés par le rectificatif », l’on doute cependant qu’ils aient réellement été en mesure de prendre la mesure de l’incident étant donné le ton détaché et monotone employé par la présentatrice. Combien de personnes s’éloignent de l’écran ou migrent vers un autre canal au crépuscule du programme ?
Et lorsque la présidence du groupe France Télévisions affirme que « la préoccupation permanente de l’équipe est de vérifier ses sources et, entre autres, d’assurer la protection de l’enfance », l’on aimerait qu’il ne s’agisse pas d’une simple pétition de principe. Mais cet espoir ne voit poindre aucune certitude.
Aussi cette maladresse doit-elle achever d’emporter la conviction que l’absence de déontologie des journalistes – ou son respect disparate diront certains – est une des raisons profondes et des erreurs historiques qui ont mené, en France, à la crise de la profession (voir nos articles sur le sujet : la une de Marianne et le soutien des pouvoirs publics). On le sait désormais, il n’y aurait pas trois quotidiens « gratuits » – c’est à dire épurés, dépourvus d’expertise journalistique – parmi les quatre plus lus de France si une plus value en terme de qualité existait chez les « payants ».
Certes, sans doute une autre explication peut-elle être avancée et, par souci d’honnêteté, l’on doit l’évoquer : le public des lecteurs a sensiblement évolué et, dorénavant, il préfère survoler quelques courtes dépêches d’agence quand les contemporains d’Albert Camus épluchaient avec soin et délice ses chroniques.
Le 5 janvier 2009, alors que les bombardements israélites sur Gaza étaient le cœur noirci de l’actualité, le journal de 13 heures de France 2 avait présenté des images « chocs » de victimes palestiniennes. En réalité, cette vidéo avait été reprise d’archives datant de 2005 et le CSA avait alors mis en demeure la chaîne de faire montre de plus de conscience professionnelle, invoquant le « manquement à l‘honnêteté de l‘information ».
Malheureusement, l’on subodore qu’il ne s’agit là que de la partie immergée de l’iceberg des fraudes à l’information. En effet, ce n’est pas à une autorité administrative d’effectuer le travail des rédactions et de rechercher la fiabilité des messages journalistiques. Ce sont des dizaines de faussaires en liberté pour un derrière les barreaux.
Sur le ton de l’ironie, l’on retiendra encore deux choses.
Premièrement, réside en cette décision du CSA un moyen tout à fait novateur de soutenir la production cinématographique et audiovisuelle nationale et européenne puisque l’amende sera reversée par France 2 au sein du compte de soutien entretenu par le CNCIA. Est donc confirmé que la France est un des pays au monde parmi les plus actifs en matière de protection de l’économie du septième art et que les chaînes comptent bien au nombre des premiers contributeurs au financement des œuvres.
Secondement, à l’aune du fait que le CSA a été saisi en 2009 de plus du double de dossiers portant sur la question de la déontologie des journalistes qu’en 2008, l’on peut craindre que, avec un policier de l’information aux aguets et intransigeant, la suppression de la publicité en journée sur les chaînes publiques – qui vient pourtant d’être votée par la commission mixte paritaire (voir notre article) – devienne définitivement impossible à légitimer financièrement.
« Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras »aurait soupiré La Fontaine.
Sources :
http://www.lefigaro.fr/medias/2010/12/09/04002-20101209ARTFIG00759-france-2-gravement-sanctionnee-par-le-csa.php
http://www.lepoint.fr/fil-info-reuters/france-2-condamne-a-une-amende-pour-manquement-a-la-deontologie-09-12-2010-1273223_240.php
http://television.telerama.fr/television/france-2-condamnee-a-100-000-d-amende-pour-manquement-deontologique,63480.php