Napoléon disait « un bon croquis vaut mieux qu’un long discours ». En l’occurrence, l’on optera en faveur d’une équation.
Soient A le programme télévisé préféré d‘une population p et q la somme d’argent qu’un individu est prêt à investir pour profiter de A.
Soient B une chaîne payante proposant de regarder A et C une chaîne payante insusceptible de programmer A puisque B détient l’exclusivité des droits y afférents.
Soit enfin I un site de communication au public en ligne permettant d’accéder illégalement mais gratuitement à A.
Dans un environnement composé d‘acteurs économiques rationnels,
q × p = x × B + y × I + O × C
Et si C était C Foot ?
La naissance de la première chaîne dédiée exclusivement au ballon rond
Le CSA vient d’accorder, ce mardi 14 décembre 2010, la dernière fréquence restée libre du multiplex R3 de la télévision numérique terrestre (TNT). C’est le projet de la Ligue de football professionnel (LFP) – soutenu notamment par l’omnipotent et omniscient président de l’Olympique de Lyon Michel Aulas – qui emporte la mise. La haute autorité le préfère à ses deux adversaires de circonstance : les chaînes Canal + Family et Select TV.
A priori, il s’agit d’un plébiscite puisque ce choix s’est fait à l’unanimité des neuf sages moins une voix. Alors que deux assemblées plénières devaient se tenir à une semaine d‘intervalle afin de décider de l‘attribution du canal, l’arbitrage a finalement été rendu dès le lendemain des auditions et de l‘évaluation des dossiers. S’il faut admettre que le CSA apparaît parfois tel un escargot institutionnel (voir notre article), la diligence dont il a fait montre en l’espèce marque avant tout l’indiscutable succès du football sur ses concurrents. « Ce projet contribue à la diversité des opérateurs et s’inscrit dans une volonté de donner un nouvel élan à la TNT payante » indiquait dans la foulée un communiqué de presse.
En effet, il semble que les Raymond Domenech et autres Éric Cantonna soient davantage porteurs que les programmes familiaux proposés par Canal + et les vidéos à la demande de Select TV, ceux-ci étant en outre déjà accessibles par le biais de différents services. Or si la TNT gratuite n’a pas tardé à acquérir ses titres de noblesse auprès du grand public, la TNT payante peine en revanche à prospérer ; si bien que deux chaînes ont rendu récemment leurs fréquences : Canal J et AB1.
L’on peut transposer à la télévision numérique le diagnostic en vigueur au sujet de la presse papier (voir notre article) : le nœud du problème résiderait en la qualité des contenus. Ainsi, il répond de la logique même qu’une personne préfère ce qui ne lui coûte pas à ce qui lui coûte dès lors que l’objet en cause s’avère identique. En conséquent, l’enjeu est de proposer sur la TNT payante des programmes introuvables sous la forme gratuite ; faute de quoi elle demeurerait dans cet état de sous-développement.
Le choix du CSA répond donc d’une logique et d’une cohérence inattaquables.
Cependant, l’on n’en dira pas autant quant à l’envie soudaine de la LFP d’éditer une chaîne de télévision, même si, afin de se défendre et éviter d’être dévorée toute crue par l’ogre Canal +, tous les coups semblent permis.
Une rentabilité improbable
Le bât blesse à de multiples endroits.
Tout d’abord, à l’heure actuelle – et a minima jusqu’à mi 2012 – la chaîne cryptée et Orange se partagent l’exclusivité des droits sur les matchs de Ligue 1. La nouvelle chaîne n’aura donc d’autre choix que de proposer, même à un prix plutôt abordable (10 euros par mois), des programmes accessoires tels que des reportages, des dessins animés ou des talk-shows, lesquels se révèlent déjà nombreux dans l‘espace télévisuel. Dès lors, il parait difficilement envisageable que C Foot rencontre un jour son public tant les matchs et leur diffusion constituent à la fois une grande richesse et la seule richesse liée au championnat national de football.
L’équation présentée en introduction montre que les téléspectateurs préfèreront à n’en pas douter payer plus cher un abonnement à Canal + ou regarder en streaming les matchs sur Internet.
Frédéric Thiriez, président de la LFP empreint d‘un gris optimisme, imagine néanmoins que sa chaîne sera bientôt « le point de ralliement de toute la famille du ballon rond ». Pourtant, créer une chaîne de football ne diffusant pas de matchs de football apparaît comme une ambition fort chaotique et les 3,5 millions d’abonnés espérés en 2014 relèvent tout bonnement d’une machiavélique et sourde utopie.
Orange Foot, qui diffuse de son côté des matchs de Ligue 1, ne parvient pas à dépasser la barre des 400 000 abonnés et, avant elle, TPS avait trop rapidement vu s’envoler ses illusions alors qu‘elle s‘était installée sur le marché emplie de certitudes et à grand renfort de marketing.
D‘aucuns redoutent déjà que C Foot ne fasse long feu sur les petits écrans, se remémorant ces professionnels de la télévision qui se cassèrent les dents sur le mur Canal + en tentant d’y dénicher une bride d’audience qui ne vint jamais.
Or la LFP n’a jamais édité de contenus audiovisuels et, bien qu’occupant un créneau porteur d’espoir, l’on sait que nulle place ne peut, dans ce milieu louvoyant, être laissée à l’improvisation. Les nombreux échecs tels que celui retentissant de La Cinq à la fin des années 1980 en témoignent.
Une seule lueur semble susceptible de percer ce ciel ténébreux et de combattre ce pessimisme : peut-être ces affirmations seront-elles contredites si, lors du prochain appel d’offre prévu en 2012, la LFP décide de s’arroger quelques droits portant sur les matchs de Ligue 1.
Un casse-tête juridique
Au moment de défendre ses intérêts, le lundi 13 décembre dernier, Frédéric Thiriez expliquait à l’autorité de régulation qu’il s’agit notamment pour la Ligue de « rendre le football français un peu moins dépendant face à un climat concurrentiel de plus en plus fermé ». En effet, le retrait certain de l’opérateur Orange et de sa chaîne Orange Foot – qui apportent actuellement la bagatelle de 200 millions d’euros annuels à la LFP – annonce la disparition du seul concurrent à Canal +, celui qui engendrait une envolée des prix un peu plus folle à chaque appel d’offre. Ainsi, le président argue-t-il que « le football professionnel a besoin d’une sécurité financière qu’il n’a pas aujourd’hui puisqu’il est soumis tous les trois ans aux résultats aléatoires des appels d’offres de la vente de la diffusion des matchs ».
Cependant, la Ligue attribuant les droits de retransmission télévisée et candidatant tout à la fois à leur obtention, le conflit d’intérêts semble patent. Trivialement, c’est un peu comme si le CSA décidait de diffuser une chaîne CSA TV sur la TNT. Qu’en est-il du point de vue du droit ?
M. Thiriez s’est défendu devant le Conseil d’un tel danger : « lors de chaque négociation, je dépose le prix de réserve chez un huissier. Croyez-vous que j’ai intérêt à proposer un prix qui soit motif à litige ou tenter d’empêcher la commercialisation de droits en les surévaluant ? »
Toutefois, un différend apparu récemment témoigne topiquement des risques afférents à cette double casquette : les tribunaux auront à décider, en janvier 2011, du conflit opposant Ma Chaîne Sport à la LFP à propos des droits relatifs à la Ligue 2. La première se plaint en effet du fait que la seconde ait refusé de lui communiquer le prix de réserve, ce qui l’aurait empêchée de proposer une offre réfléchie et adéquat.
Par ailleurs, la Ligue a le statut d’une association loi de 1901 et sa mission consiste en « l’organisation de compétitions sportives et la centralisation de la commercialisation des droits afin d’en maximiser les recettes puis les répartir entre les clubs professionnels et le football amateur ». Éditer et distribuer une chaîne de télévision ne parait donc guère entrer dans le cadre de son objet social.
Enfin, la procédure enjoignait la chaîne candidate de communiquer au CSA une description précise des programmes qui seraient les siens, ce qui, de facto, était impossible puisque ceux-ci dépendent en grande partie du résultat de l’appel d’offre et de l‘attribution des droits.
Le Conseil aura finalement peu goûté à ces diverses incertitudes et problématiques et les aura dépassé sans coup férir, privilégiant l‘apport à la TNT de la popularité du football.
Au sens de Catherine Laborde, « nous sommes absolument dans le respect du droit et il n’y a aucune espèce de début de doute ou de discussion là-dessus ». Il n’existerait donc juridiquement aucune forme d’incompatibilité entre les statuts de la LFP et l’édition d’une chaîne de télévision, d’autant plus que ce choix se voit conforté par le soutien du Gouvernement et de la Ministre des sports Chantal Jouanno qui considère que « c’est toute la famille du football qui confirme sa place dans la réalité économique d’aujourd’hui ».
Nonobstant ce renfort de choix, il ne fait aucun doute, d’un point de vue pragmatique, que la situation mènera inexorablement à un surcroît de tension entre la Ligue et son principal financeur Canal +. Celui-ci, en cherchant à supplanter cette première lors de l’attribution de la fréquence TNT, espérait sans doute bénéficier de l’accès à un monopole de fait le plaçant dans une position dominante et lui ouvrant la voie royale vers des négociations maîtrisées. On comprend que la LFP ait cherché à tout prix à éviter cette situation de faiblesse et de dépendance et à ne pas laisser les armes en les seules mains de la chaîne à péage. Pour rappel, Canal + contribue à hauteur de 500 millions d’euros annuels au budget de la Ligue.
Économiquement, l’attitude de la LFP est donc paradoxale. Créer une chaîne concurrente à Canal + était la seule solution susceptible de mettre un frein à son hégémonie ; mais, en elle-même, C Foot s’annonce difficilement viable.
Elle débutera la diffusion de ses programmes durant l’été 2011, au cœur d’un paysage marqué par l‘incertitude, le doute et l‘impuissance.
Dans un univers économique où les acteurs sont rationnels et raisonnables, on n’imagine en aucune façon qu’une chaîne payante dédiée au football mais ne diffusant pas de matchs de football puisse trouver un équilibre pérenne.
q × p = x × B + y × I + O × C Foot.
Sources :
http://www.csa.fr/actualite/communiques/communiques_detail.php?id=132158
http://www.lefigaro.fr/medias/2010/12/14/04002-20101214ARTFIG00568-le-csa-choisit-la-chaine-cfoot.php
http://www.lefigaro.fr/medias/2010/12/08/04002-20101208ARTFIG00755-la-candidature-de-la-chaine-foot-de-la-lfp-en-question.php
http://www.lemonde.fr/sport/article/2010/12/14/canal-et-la-ligue-de-football-se-disputent-une-frequence-de-la-tnt_1453068_3242.html#ens_id=1446798
http://www.lesechos.fr/entreprises-secteurs/tech-medias/actu/reuters_00306325-tnt-payante-le-csa-retient-la-chaine-cfoot.htm
http://www.lefigaro.fr/medias/2010/12/15/04002-20101215ARTFIG00552-francoise-laborde-invitee-du-buzz-media-orange-le-figaro.php