Le 1er février dernier, est diffusé en prime time sur la chaîne M6, le relookage d’une maison effectué l’hiver précédent par l’équipe de Valérie Damidot. Le principe de l’émission « D&Co » est de choisir une famille « méritante » pour leur offrir la rénovation intégrale de leur maison et cela en sept jours.
En l’espèce, il s’agit d’un couple accompagné de ses cinq enfants et de leur tante. Le père, suite à un accident, perd son emploi et ne peut plus engager les travaux nécessaires à la rénovation de leur maison. L’équipe « D &Co » intervient alors et réalise un véritable conte de fée en transformant la « maison-citrouille » en véritable « demeure-carrosse ».
Coup de théâtre, les douze coups de minuit se mettent à sonner pour Valérie Damidot et son équipe. Le lendemain de la diffusion, la maison est repérée sur un site de ventes immobilières « seloger.com ». L’annonce propose une « magnifique maison […] entièrement refaite et décorée par un architecte d’intérieur » pour 755 000€.
Hasard ou coïncidence ?! La réponse semble évidente pour la chaîne, l’animatrice et son public. Le scandale éclate alors. La présentatrice exprime sa déception. La chaîne pense assister là à un véritable détournement de son concept d’émission. La famille n’aurait pas du se tourner vers Valérie Damidot mais plutôt vers Stéphane Plaza qui présente les émissions « Maison à vendre » sur la même chaîne et dont le concept est également la rénovation de biens mais pour réussir leur vente.
Même si la présentatrice s’est exprimée sur le refus de contacter la famille, il est tout de même intéressant de se poser la question quant la protection des éventuels droits patrimoniaux et/ou moraux de l’équipe D&Co sur le « relookage » de cette maison.
En effet, selon l’article L. 112-2 du Code de la propriété intellectuelle, sont considérées comme des œuvres de l’esprit « […] les œuvres de dessin, de peinture, d’architecture, de sculpture […], les plans, croquis et ouvrages plastiques relatifs […] à l’architecture […] ». Les plans, croquis et édifices eux même sont donc soumises à protection. La jurisprudence a apporté une précision en considérant comme œuvres protégées : « les travaux de restauration et de réaménagement dès lors qu’ils ne relèvent pas de la seule nécessité mais traduisent un choix esthétique spécifique et confèrent à l’ensemble réalisé un caractère original » (CA Paris, 4e ch. A, 30 octobre 1996, Rachline/Société d’encouragement à l’élevage du cheval français – CA Paris, 4e ch., 20 novembre 1996, Bourgeois/Doueb – TGI Paris, 3e ch. 2e sect., 10 mai 2002, n°00/05562, Duchêne/SA Mauboussin).
En l’espèce, on ne peut contester la présence d’un « choix esthétique spécifique» dans les différents travaux réalisés par l’équipe D&Co. Et même si la fille veut une chambre « urbaine » avec des tons « noir, gris et rouge », le fils, une chambre sur le thème de la musique… et que chaque membre de la famille exprime ses envies et ses gouts, D&Co reste totalement libre d’interpréter les souhaits de la famille en faisant son propre « choix esthétique spécifique » puisque l’objectif premier du concept de l’émission est de créer une véritable surprise au retour de la famille. La rénovation effectuée par D&Co serait donc bien protégée par le Code la propriété intellectuelle.
Se pose donc la question de savoir si l’opération de mise en vente de cette maison par ses propriétaires peut être considérée comme une atteinte aux droits de l’architecte. Ici le droit de la propriété s‘oppose donc au droit d’auteur.
En effet, la famille est tout de même propriétaire de la maison et à ce titre « a le droit de jouir et de disposer du bien de la manière la plus absolue pourvu qu’elle n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ». L’article L 111-3 du code de la propriété intellectuelle pose également le principe de l’indépendance du droit d’auteur et du droit de propriété. Ainsi la vente du support de l’œuvre ne vaut pas cession des droits d’exploitation et le propriétaire a la maîtrise de l’objet et peut refuser à l’auteur l’accès à l’œuvre.
Cependant, seule la destruction, modification, ou transformation entrainant la dénaturation de l’œuvre peut être considérée comme une atteinte au droit moral de l’architecte.
Donc, a priori, rien n’empêche le propriétaire de l’immeuble de céder le bien à un tiers si il n’a pas subi de modifications. La seule limite alors resterait « l’abus de droit ».
Est-ce le cas en l’espèce ? La réponse n’est pas évidente et ne pourrait être donnée que par les juges qui devraient s’appuyer sur les circonstances de la vente pour la qualifier ou non d’abus de droit et déterminer une éventuelle intention de nuire :
-
vente d’un immeuble à l’encontre de l’intention de l’architecte : rénover à titre gracieux pour améliorer le cadre de vie d’une famille en difficulté expressément choisie par l’architecte lui même
-
utilisation du passage à la télévision de la maison rénovée avec utilisation donc de la renommée de l’architecte pour sa mise en vente (publicité gratuite)
-
bénéfice, par les propriétaires exclusivement, de la plus value issue de la rénovation
Pour obtenir une protection plus certaine, il conviendrait alors d’engager la responsabilité contractuelle de la famille mais, a priori, rien dans le contrat conclu entre cette famille et « D&Co » ne leur interdit de vendre cette maison. Et, D&Co ne semble pas vouloir l’envisager pour les rénovations à venir.
http://www.deco.fr/emission-deco/emission-du-1er-fevrier-2011-558.html
http://www.programme-tv.net/news/tv/13462-valerie-damidot-je-me-sens-un-peu-trahie/
http://magimmo.seloger.com/157815/219211/page.htm
http://www.lexpansion.com/patrimoine/m6-piege-par-des-participants-de-d-co_248269.html
http://www.leparisien.fr/tv/la-maison-relookee-par-m-6-est-a-vendre-04-02-2011-1299078.php
http://www.lefigaro.fr/conjoncture/2011/02/02/04016-20110202ARTFIG00640-m6-devient-agent-immobilier-a-l-insu-de-son-plein-gre.php