L’extinction de la télédiffusion en mode analogique est prévu par la loi du 5 mars 2007 : elle s’effectue progressivement, par zones géographiques, dès le 31 mars 2008, et jusqu’au 30 novembre 2011. Or, en organisant le processus de transition de la radiodiffusion analogique à la radiodiffusion numérique, le législateur a porté atteinte aux droits acquis qui avaient été consentis aux éditeurs de chaines analogiques jusqu’au 5 décembre 2010 pour Canal +, 29 février 2012 pour TF1 et 15 avril 2012 pour M6. Le fait est que le Conseil d’Etat dans un arrêt « Strasbourg FM » du 10 octobre 1997 a estimé que les autorisations audiovisuelles sont des autorisations créatrices de droit ce qui veut dire qu’avant le terme de l’autorisation, on ne peut pas, sauf pour des motifs de sanction, abroger l’autorisation de la chaîne en question. En l’espèce nous ne sommes pas en présence de sanctions, donc ces chaînes sont victimes d’une atteinte injustifiée à leurs droits acquis.
Le législateur a donc choisi de compenser ces atteintes par la création de l’article 103 de la loi de 1986. Il dispose qu’à l’extinction complète de la diffusion par voie hertzienne en mode analogique d’un service national de télévision préalablement autorisé sur le fondement de l’article 30 de la loi de 1986, le CSA accorde à l’éditeur de ce service qui lui en fait la demande, un droit d’usage de la ressource radioélectrique pour la diffusion d’un autre de service de télévision à vocation nationale à condition que ce service ne soit lancé qu’à compter du 30 novembre 2011. Ces trois chaînes se voient donc accorder un « canal compensatoire » qui est en fait la contrepartie de l’atteinte portée à leurs droits.
Nous avons donc de fortes chances de voir apparaître dès la fin novembre 2011 trois nouvelles chaînes TNT appartenant respectivement à M6, TF1, et Canal +.
Nous avons appris le 24 mars 2011 dans une interview accordée au Figaro par Bertrand Meheut, PDG du groupe Canal +, que la chaîne bonus accordée à son groupe serait gratuite sous le nom de code de « Canal 20 ». Une nouvelle qualifiable de tremblement de terre médiatique dans le PAF.
Si certains on été surpris de cette nouvelle, celle-ci était prévisible car depuis plusieurs années, Canal+ expérimente la diffusion en clair, notamment avec le Grand Journal, qui rencontre un grand succès. De plus, passer d’une chaîne cryptée à une chaîne en clair est déjà moins complexe que l’inverse. Pour Canal + qui dispose de toute l’expérience et de l’infrastructure nécessaire, le pari ne paraît donc pas trop risqué et le groupe n’a pas laissé passer l’occasion donnée par le législateur avec ce « canal compensatoire ».
Bertrand Meheut a annoncé que Canal 20 sera une chaîne « généraliste, ambitieuse, avec une ligne éditoriale très qualitative qui s’adressera à un public large mais exigeant. Elle sera dans la lignée de Canal +, centrée sur le cinéma, la création originale et présentera aussi des magazines culturels et éventuellement un nombre très limité d’événements sportifs. Pour le monde de la création, elle offrira un financement complémentaire à celui de Canal + ».
Officiellement la volonté du groupe Canal est de renforcer l’offre de la TNT gratuite avec des chaînes de qualité, d’occuper le terrain face nouveaux acteurs « connectés » comme Google TV, Apple TV, Hulu ou Netflix. Une évolution « inéluctable » selon B. Meheut qui estime que « les chaînes qui concentrent leur offre éditoriale sur des séries américaines seront particulièrement affectées par les nouveaux acteurs de l’internet ».
Par ailleurs le PDG a annoncé un investissement de 100 millions d’euros dans la chaîne dès la première année, soit un montant beaucoup plus important que ce qui est généralement investi dans les nouvelles chaînes de la TNT. Qui plus est, ce montant sera complété par une mutualisation des coûts entre Canal + et Canal 20. De quoi « bouleverser le paysage de la télévision française » selon Conor O’Shea analyste médias chez Kepler Capital Markets.
En effet TF1 et M6 mais aussi les autres chaînes TNT craignent pour leurs recettes publicitaires, dans un marché ou celles-ci se font de plus en plus rares, mais pas seulement. Selon Bertrand Meheut ces craintes ne sont pas justifiées car « la ligne éditoriale et la cible publicitaire de Canal 20 seront très différentes des leur »
Malgré ces paroles rassurantes, cela aura forcément un impact sur leurs chiffre d’affaires. Un impact qui sera encore plus important pour TF1 dont les marges sont moins importantes que celles de M6. En effet, il n’y aura probablement pas autant de différences entre les cibles de M6 et de TF1 et celles de Canal 20. Pour le comprendre, il suffit de regarder avec quoi TF1 et M6 font de l’audience : en grande partie grâce aux séries américaines de type Dr House, Desperate Housewives.
Par ailleurs, un autre risque pour ces chaînes est de perdre une partie de leurs droits de rediffusion. Aujourd’hui TF1 et M6 programment très souvent en première partie de soirée des séries américaines, sur lesquelles elles obtiennent des exclusivités sur de courtes durées. Or Canal +, qui connait très bien les studios américains, pourrait facilement obtenir les droits de diffusions de ces programmes. Grâce à la puissance que lui confère à sa chaîne payante (2 milliards investis sur sa grille contre 1 milliard pour TF1), Canal pourrait par exemple reprendre à M6 la diffusion en clair de Desperate Housewives.
Et si Canal 20 faisait de l’ombre à Canal + ? Selon Conor O’Shea « il y a peu de chance. En effet, cette chaîne gratuite ressemblera à TF1 ou M6. Au mieux, elle affichera une qualité un peu supérieure. Mais ce qu’il faut bien comprendre c’est qu’aujourd’hui l’offre gratuite existe, et que les gens continuent à s’abonner à Canal +. Pour réussir son pari, le groupe n’aura donc qu’à équilibrer intelligemment ses programmes entre ses chaînes gratuite et payante ». Bertrand Meheut estime pour sa part que « Les deux chaînes n’auront pas les mêmes exclusivités dans le sport ni la même temporalité sur le cinéma ou les fictions ». Il estime même que « Canal 20 suscitera l’envie de s’abonner à la télévision payante ».
Bref, Canal + se lance dans le gratuit et devrait, à n’en pas douter, booster l’offre TNT en place et pousser ses concurrents à réagir rapidement sous peine de voir leurs chiffre d’affaires en pâtir prochainement.
Antoine Dibon
Sources :
http://television.telerama.fr/television/canal-20-canal-bluff,67104.php
http://humanite.fr/29_03_2011-canal-20-la-cha%C3%AEne-%C2%AB-bonus-%C2%BB-fait-causer-468925
http://www.ecrans.fr/Canal-veut-se-decliner-en-gratuit,12339.html