Si la Toile est devenue en l’espace de quelques années seulement le support d’interactions entre individus, comme tout lieu-dit d’échanges à part entière, elle s’est parallèlement transformée en un outil de dérives exploitables par les esprits malveillants.
La Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL), autorité de régulation chargée entre autres de veiller au respect des libertés et de la vie privée, a vu son rôle considérablement renforcé dans cette nouvelle ère du numérique. Conformément à la mission générale d’information dont elle est investie, elle a jugé utile de prévenir l’ensemble des citoyens des dangers de plus en plus fréquemment rencontrés sur Internet.Suite aux plaintes auxquelles elle s’est retrouvée confrontée, elle a fait le constat d’une nette progression ces derniers mois de ce que l’on nomme plus communément le « lynchage ». En terme plus juridique, on parle de « cyberbullying », « cyberharcèlement » ou « harcèlement virtuel. »
Si le phénomène de harcèlement, qu’il soit moral ou sexuel, existe depuis fort longtemps au sein de la société traditionnelle, la mutation du support est quant à elle un phénomène émergent. Or cette fois, il a gangrené la Toile de manière particulièrement alarmante. L’objectif de cette cyber-intimidation est d’effrayer sa victime par l’emploi d’une technique verbale que la langue de Molière n’apprécierait guère. Il touche un large public, aussi bien les jeunes que les adultes.
Statistiquement, la CNIL relève que ce type d’infraction est davantage le résultat de propos émanant de mineurs à mineurs, d’élèves envers leurs professeurs, voire même de collègues de travail entre eux. Pour autant, les employeurs ne semblent pas non plus épargnés par ce procédé d’attaques virtuelles.
Afin d’illustrer une forme de cyberbullying, la CNIL utilise à titre d’exemple le fait de pirater un compte de quelque nature que se soit, de façon à envoyer des messages aux internautes en se faisant passer pour une autre personne. Certes, il n’y a là que des propos verbaux et non physiques. Pour autant, il ne faut pas prendre ces manœuvres comme étant des pratiques anodines puisque ces bravades sont susceptibles d’engendrer des conséquences dramatiques notamment en présence de personnes fragilisées psychologiquement. Une perte de confiance en soi et un enfermement dans un « mutisme social » peuvent amener l’individu dans de rares cas à commettre l’irréparable. C’est en l’occurrence l’atteinte à l’intégrité de la personne, à sa vie qui est au cœur du débat. On comprend bien alors l’enjeu de voir de tels agissements sanctionnés.
L’avantage de cette communauté participative du Web 2.0 réside dans cette grande facilité d’inter communications entre les individus. Toutefois, elle ouvre également la voie à quelques dérapages, tels que des injures, moqueries, attaques, fausses rumeurs, menaces verbales, pouvant même conduire à d’éventuelles menaces de nature, cette fois physique. Les divers réseaux sociaux (tels Facebook, Twitter …) et autres forums de discussions sont devenus de véritables défouloirs, exutoires, où se mêlent haine, acharnement et violence, sous couvert bien évidemment d’un anonymat garanti. Quoi de plus facile pour les auteurs que de proférer des attaques à visage couvert. Il semble évident que ceux-ci présentent rarement leur identité dans de telles circonstances. Faux noms ou usage de pseudonymes constituent la recette parfaite pour bien réussir son leurre. A juste titre, ceci relance le débat concernant l’anonymat sur Internet. Faut-il révéler sa vraie identité sur Internet ?
Tout du moins, il est incontestable que le cyberbullying favorise la propagation de ce nouveau phénomène ; il pourrait même constituer un argument en faveur de la thèse du sénateur Jean-Louis Masson qui prônait fermement une levée de l’anonymat pour les blogueurs. Le débat fait rage car bon nombre estiment qu’il s’agirait là d’une atteinte à leur vie privée et que cette obligation de révélation d’identité réduirait leur liberté d’expression.
En France, on ne peut se targuer du fondement de la liberté d’expression pour se permettre de dire tout sur n’importe quoi. L’antithèse de la censure ne signifie pas liberté d’expression sans limite. Puisqu’en effet, cette liberté fondamentale se définit comme la possibilité d’exprimer librement ses opinions sans être inquiété par autrui sous réserve d’abus. C’est ici toute la difficulté d’Internet qui nécessite une adaptation de la liberté d’expression face à l’apparition de ces modes de communications de masse. Le danger serait de croire qu’Internet n’étant que virtualité, aucune limite n’existe puisque finalement tout n’est qu’immatérialité. Mais prudence, Internet ne constitue aucunement une zone de non droit.C’est justement parce que les victimes sont pour la plupart ignorantes des recours dont elles disposent face à ce genre d’actes, que la CNIL a jugé bon d’émettre un appel à la vigilance tout en informant les internautes des démarches à effectuer en présence de cyberbullying. Dans la mesure où aucune infraction n’existe à ce titre actuellement pour sanctionner ce type d’agissement, les victimes ont la possibilité de déposer une plainte près du Procureur de la République pour harcèlement moral, étant précisé que la preuve devra être rapportée pour que l’infraction soit caractérisée et l’auteur sanctionné.
On perçoit parfaitement, au travers de cette recommandation à la plus grande prudence, la nécessaire adaptation du droit en fonction des nouvelles technologies. La création de nouvelles infractions pénales applicables au support Internet représente les nouveaux enjeux du législateur. L’entrée en vigueur de la Loi d’Orientation et de Programmation pour la Performance de la Sécurité Intérieure plus connue sous le nom de LOPPSI 2, constitue une porte ouverte vers la création de nouvelles infractions sur le Web puisque l’usurpation d’identité sur des services de communication au public en ligne représente désormais un délit. En effet, avec le développement d’Internet et l’émergence des réseaux sociaux, on assiste aujourd’hui à une recrudescence du nombre de cas d’usurpation d’identité en ligne auquel le législateur a souhaité fournir une lutte sans merci.
Récemment inséré dans notre arsenal pénal par la LOPPSI 2, promulguée le 14 mars 2011, le nouveau délit d’usurpation d’identité est prévu à l’article 226-4-1 du Code pénal. Ainsi, « le fait d’usurper l’identité d’un tiers ou de faire usage d’une ou plusieurs données de toute nature permettant de l’identifier en vue de troubler sa tranquillité ou celle d’autrui, ou de porter atteinte à son honneur ou à sa considération, est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende. Cette infraction est punie des mêmes peines lorsqu’elle est commise sur un réseau de communication au public en ligne. »
Si l’on part de la définition selon laquelle le droit constitue un ensemble de lois et de coutumes destinées à régir un peuple et organiser la vie en société, cela peut nous amener à se poser une problématique.
L’environnement numérique représenté par Internet, de plus en plus contrôlé à travers l’existence de lois, ne serait-il pas devenu une société parallèle ? Poussons encore l’idée à son paroxysme, ne serait-il pas sur le point de devenir une société à l’intérieur de la société.
Stéphanie CHROSTEK
Sources :
http://www.cnil.fr/vos-libertes/plainte-en-ligne/
http://www.20minutes.fr/article/621355/societe-le-cyberbullying-type-harcelement-inquiete-cnil
http://www.memoclic.com/1365-cnil/13100-cyberbullying-cnil.html
http://www.lepetitjournal.com/homepage/a-la-une/67668-cyberbullying–le-harcelement-sur-internet.html