Le statut des hébergeurs est réellement un cas à part, qui depuis les années 2000 et la directive « commerce électronique », fait tourner de l’œil tous les acteurs du web, les internautes, les gouvernements, et les ayants droits. C’est un serpent de mer. On peut tout aussi bien dire que c’est un serpent qui se mort la queue, la lutte du pot de terre contre le pot de fer… les expressions ne manquent pas pour souligner la redondance malsaine de cette question.
Un petit résumé s’impose. La loi LCEN du 21 juin 2004 qui transpose cette directive fixe le régime de responsabilité des contenus en ligne comme il suit. Il reconnaît les éditeurs, les hébergeurs et les fournisseurs d’accès à internet. Les deux derniers sont des prestataires techniques, dont le rôle n’est pas, à l’origine, celui de mettre en ligne des contenus. Les éditeurs sont ceux qui les mettent.
La loi pose le principe que c’est l’éditeur qui est responsable. On est responsable des contenus mis en ligne. C’est la mise en ligne du contenu qui détermine à quelle catégorie on appartient. Les prestataires techniques sont subsidiairement responsables. « L’hébergeur est celui qui fournit, gratuitement ou non, un service permettant la mise en ligne et à la disposition du public un contenu, l’éditeur est celui qui rédige/construit un contenu, et décide de le mettre à disposition du public via les services d’un hébergeur » (citation issue de l’interview de Nicolas Poirier).
Le mécanisme de responsabilité repose sur l’idée que l’éditeur est responsable, donc c’est à lui que l’on doit demander de retirer le contenu illicite. S’il n’est pas identifiable, refuse de répondre ou refuse tout simplement de s’exécuter, alors on pourra demander aux hébergeurs d’agir. Le mécanisme qui suit est celui de la notification. On va signaler le contenu manifestement illicite, et il devra le retirer dans un prompt délai. Il faut noter qu’il y a un risque considérable avec les notifications abusives : « seul le titulaire de droit a la connaissance de ses droits » disait Nicolas Poirier.
Sans pousser plus loin l’analyse du statut actuel des hébergeurs, il faut bien se rendre compte que le net a évolué. On parle de Web 2.0. En fait il y a une confusion de plus en plus marquée entre les différentes catégories juridiques, les prestataires techniques deviennent de plus en plus éditeurs. Ainsi la frontière devient floue, et incompréhensible. Le deuxième problème de ce web 2.0 est que les abus à la propriété intellectuelle se sont considérablement aggravés avec le temps. Le système de responsabilité ne semble plus en mesure d’assurer la défense du droit d’auteur, ou du moins il ne colle peut être plus avec la réalité technologique. Mais c’est avant tout un choix politique qui s’imposera sur cette question.
Du côté de la jurisprudence on a assisté à des changements fréquents, qui ont provoqué une instabilité juridique. Cela c’est arrangé depuis 2010 avec des décisions comme celle concernant Dailymotion (Cour de Cassation 17 février 2011). En effet, en 2010 un arrêt dit « Tiscali » de la Cour de Cassation du 14 février est venu affirmer que le fait de faire de la publicité rendait les hébergeurs et FAI, non plus des prestataires techniques mais des éditeurs. L’arrêt « Dailymotion » est venu mettre à mal cet arrêt. Mais le comble reste quand même que la loi LCEN précise clairement que le fait de mettre à disposition d’un éditeur un service d’hébergement peut être un service gratuit ou payant. On à même de la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne qui vient préciser le statut des hébergeurs et le conforter (arrêt du 23 mars 2010 sur l’affaire Vuitton).
Cependant, la polémique ne s’est pas arrêtée avec ces arrêts, bien au contraire. Deux sénateurs Laurent BÉTEILLE et Richard YUNG ont proposé de créer une troisième catégorie, qui serait hybride entre l’éditeur et le prestataire technique : l’éditeur de service.
Ce tableau résume bien la situation quand aux obligations des différents acteurs du net : le régime nouveau et actuel de la responsabilité sur internet . Le but caché de tout ceci est bien sûr de venir empêcher les atteintes à la propriété littéraire artistique, c’est-à-dire en partie la lutte contre le téléchargement, le détournement des œuvres en ligne… Ce projet totalement incompatible avec le droit communautaire, a finalement été retiré assez rapidement.
Que de cacophonie sur cette question.
A défaut d’alourdir leur responsabilité, il a fallu explorer d’autres pistes. Ces dernières sont pour la plupart liées au blocage de sites en ligne, par le biais de procédures rapides et administratives orchestrées par des décrets… Le serpent de mer n’est jamais loin.
En effet, il existe deux courants de pensées concernant la répression de la mise en ligne de contenus contrefaits : le Notice and Stay down (quand un contenu est notifié à un intermédiaire, il ne doit plus réapparaitre en ligne) et le Notice and Take Down (on notifie une URL, un contenu illicite, on le supprime). La première est beaucoup plus lourde que la seconde. C’est toute la problématique du filtrage et du blocage a priori des contenus. Ce sont des problèmes à n’en plus finir, car il faut une nouvelle fois se poser les mêmes questions : qui va financer ces procédures, comment les mettre en place, quel marquage des œuvres va-t-on adopter, est-ce que tout ceci sera efficace ? … Tout cela à un coût, et il risque non pas de reposer sur les gros acteurs du net, mais sur les petits. Quand on sait que l’internet a permis de doper significativement la croissance française, on est moins enclin, en ces temps difficiles, de limiter cette manne céleste. Au-delà de ces questions, le blocage peut porter atteinte à la liberté d’expression, et on a pu apercevoir à quel point elle était cruciale durant les Révolutions de Printemps.
Seulement, il y a une tendance de plus en plus forte de vouloir recourir au blocage des sites. On a pu voir cela avec l’ARJEL pour la lutte contre les sites de jeux d’argent en ligne illégaux, puis avec la LOPPSI pour les sites pédopornographiques. A ce titre, la décision du Conseil Constitutionnel sur la conformité de cette loi est particulièrement révélatrice. Il insiste bien sur le fait que le blocage est possible, mais ne peut se faire par l’administration pour des objectifs liés à la propriété intellectuelle, sans l’intervention du juge. Il faut avoir une lecture combinée de ces décisions n° 2009-580 DC du 10 juin 2009 sur HADOPI 1 et Décision n° 2011-625 DC du 10 mars 2011 sur la LOPSI 1 .
La dernière nouveauté est le projet de décret, qui fut présenté au Conseil National du Numérique durant la deuxième quinzaine de juin 2011. Cette fois-ci, l’idée pour instaurer d’autres mesures de blocages fut de passer par l’article 18 de la loi LCEN, article méconnu. En effet, le but de cet article est d’autoriser la restriction du commerce électronique par une autorité administrative dans toute une série d’hypothèses. Or tout ce qui est sur internet est du commerce électronique. L’article 14 de la LCEN nous renseigne en effet qu’« entrent également dans le champ du commerce électronique les services tels que ceux consistant à fournir des informations en ligne, des communications commerciales et des outils de recherche, d’accès et de récupération de données, d’accès à un réseau de communication ou d’hébergement d’informations, y compris lorsqu’ils ne sont pas rémunérés par ceux qui les reçoivent ».
Ce décret était une véritable usine à blocage, l’arme ultime pour, enfin, tenter de règlementer internet. Cependant, et dans des délais records, le CNN est venu magistralement condamner ce projet. Rapidement le gouvernement l’a retiré, pour le réétudier. L’affaire est au point mort depuis ce jour.
Mais ce n’est pas fini pour autant. Le serpent de mer court toujours. En effet, l’OCDE vient d’ouvrir la voie, ce mercredi 29 juin aux dérives citées ci-dessus. Il prône l’autorégulation, c’est-à-dire un filtrage/blocage sans le recours au juge et par l’action des acteurs du net. C’est un encouragement à durcir les législations nationales par le biais de mécanismes tels que la riposte graduée (de plus en plus condamnée d’ailleurs), le filtrage, l’incorporation dans ce système des prestataires techniques, c’est-à-dire le fameux le troisième statut des éditeurs de services par exemple.
Le statut des hébergeurs, véritable serpent de mer qui revient inlassablement à la charge, ne pourra pas se définir dans la paix et la tranquillité compte tenu des enjeux économiques liés à la propriété intellectuelle. C’est réellement deux conceptions qui s’affrontent, et qui au final ne pourront jamais trouver de point de conciliation.
Jérémy Ferrarin
Sources :
http://www.pcinpact.com/affichage/61904-statut-hebergeur-editeur-service-ligne/94699.htm
http://www.pcinpact.com/actu/news/64380-hadopi-streaming-ftp-newsgroups-direct-download.htm
http://www.pcinpact.com/actu/news/64121-cnn-blocage-fai-hebergeur-editeur.htm
http://www.pcinpact.com/actu/news/63704-eg8-g8-nicolas-sarkozy-internet-civilise.htm
http://www.pcinpact.com/actu/news/63594-cnil-cada-pcinpact-avis-hadopi.htm
http://www.pcinpact.com/actu/news/62905-asic-lcen-acta-liberte-expression.htm
http://www.pcinpact.com/actu/news/62883-asic-lcen-decret-conservation-donnees.htm
http://www.pcinpact.com/actu/news/62021-lcen-hebergeur-editeur-benoit-tabaka.htm
http://www.pcinpact.com/actu/news/62403-loppsi-blocage-juge-sites-pedopornographie.htm
http://www.pcinpact.com/actu/news/62243-conservation-donnees-decret-big-brother.htm
http://www.pcinpact.com/actu/news/62018-lcen-hebergeur-editeur-nicolas-poirier.htm
http://www.pcinpact.com/actu/news/61999-cour-cassation-lcen-dailymotion-joyeux-noel.htm
http://www.pcinpact.com/actu/news/61904-statut-hebergeur-editeur-service-ligne.htm
http://www.pcinpact.com/actu/news/61457-lcen-tiscali-dailymotion-ouest-france-cassation.htm
http://www.pcinpact.com/actu/news/64121-cnn-blocage-fai-hebergeur-editeur.htm
http://www.pcinpact.com/actu/news/63704-eg8-g8-nicolas-sarkozy-internet-civilise.htm
http://www.pcinpact.com/actu/news/62905-asic-lcen-acta-liberte-expression.htm