“La guerre est déclarée” n’est pas seulement le titre du premier film de Valérie DONZELLI, sortie en salle il y quelque peu mais c’est aussi l’expression qui semble convenir le mieux pour définir les rapports entre les producteurs des deux “La Guerre des Boutons” pour cette rentrée 2011. En effet, pour la première fois dans l’histoire du cinéma français deux films adaptant la même oeuvre littéraire sortent quasiment en même temps à une semaine d’intervalle. Si Canal-Plus a souhaité produire l’un au détriment de l’autre, TF1 ne voulant guère se mêler à l’émulation, a au contraire soutenue les deux projets. Quoiqu’il en soit, une course effrénée opposait les deux producteurs pour terminer le film avant l’autre. Trois questions peuvent être soulevées afin de mieux comprendre ce phénomène unique dans l’histoire du cinéma :
Comment et pourquoi sont nés ces projets d’adaptation ? Cette concurrence peut-elle entrainer des dérives entachant l’oeuvre littéraire ? Pourquoi la célèbre réplique du “p’tit Gibus” tirée du premier film d’Yves ROBERT n’apparait-elle pas dans les scénarii des deux films en lice ? Une explication juridique met tout au clair.
– L’oeuvre de PERGAUD dans le domaine public
Il convient préalablement de rappeler que, comme dispose l’article L. 123-1 du CPI “les droits patrimoniaux d’une oeuvre survivent au décès de l’auteur au bénéfice de ses ayants droits, pendant l’année civile en cours et les 70 années qui suivent”. De la sorte, au terme de la protection légale des droits patrimoniaux, l’oeuvre entre dans le domaine public. Ainsi toute personne peut alors exploiter l’oeuvre sans requérir à une quelconque autorisation. C’est donc le caractère “public” de l’oeuvre littéraire “La guerre des boutons, roman de ma douzième année” écrite par Louis PERGAUD et publiée en 1912 qui est en l’espèce la raison principale pour ces soudaines adaptations cinématographiques. Toutefois, en application du droit en vigueur, comment les droits d’un auteur mort en 1915 peuvent-ils n’avoir été libérés qu’en 2011, alors qu’un bref calcule additionnant la date de la mort de l’auteur aux soixante-dix années requises par l’article L. 123-1 du CPI démontre que les droits de Louis PERGAUD auraient dû être libérés en 1985 ?
Tout s’explique dès lors que l’on se replonge dans les textes en vigueur à la mort de l’écrivain. Tout d’abord, à cette époque le droit de protection de l’auteur est de 50 ans (ancien article L 123-1 du CPI). Une durée qui court à partir du 1er janvier de l’année civile suivant le décès de l’auteur. Le délai de 70 ans n’a été introduit en France qu’en 1997, en application d’une Directive Communautaire en date du 29 octobre 1993 en vue d’une Harmonisation Européenne du droit d’auteur. Il y a lieu d’ajouter à cela, l’existence de différentes lois prévoyant des prorogations de guerres afin de compenser le manque à gagner subi durant les périodes des deux Guerres Mondiales 14-18 et 39-45.
Il convient en l’espèce de prendre en compte trois prorogations :
– la première résultant du rajout d’une protection de 6 ans et 152 jours pour les oeuvres qui n’étaient pas tombées dans le domaine public le 3 février 1919 et qui avaient été divulguées entre le 2 Août 1914 et le 31 décembre 1919.
– la deuxième prévoyant une protection complémentaire de 8 ans et 120 jours pour toutes les oeuvres qui n’étaient pas tombées dans le domaine public au 13 août 1941 et qui avaient été divulguées avant le 1er janvier 1948.
– enfin, une troisième prorogation de 30 ans attribuée pour les livres écrits par des “auteurs morts pour la France”.
Ces trois prorogations sont cumulables les unes aux autres.
Dans les faits, PERGAUD est mort pour la France. “La Guerre des Boutons” est parue en 1911. Ainsi, le livre a bien été divulgué entre le 2 août 1914 et le 31 décembre 1919 et donc avant le 1er janvier 1948. Enfin, paru en 1911, le livre n’était pas tombé dans le domaine public ni en 1919 ni en 1941. Ainsi en application des différentes règles de droit aux faits du cas concret il apparaît que le calcule à appliquer s’énonce comme suit : 1915 + 50 + 30 + 6 ans et 152 jours + 8 ans et 120 jours = 2009 et 272 jours.
Il faut en outre préciser que la modification du délai de droit commun par la Directive Européenne de 1993 a laissé néanmoins intacts les droits préalablement acquis des héritiers de l’oeuvre de PERGAUD ; le monopole des ayants-droit s’est donc bien perdu à la fin du mois de septembre 2010. Ainsi, pour économiser le paiement de droits d’auteur, tout producteur avait à attendre l’entrée de l’oeuvre dans le domaine public, sans pour autant tarder afin d’être le premier à produire le film. C’est ainsi que deux concurrents Marc du PONTAVIS et Thomas LANGMANN, sans doute fort bien conseillés par leurs avocats, se sont lancés en même temps dans l’adaptation de l’oeuvre littéraire en question.
– Respect de l’intégrité de l’oeuvre et Droit d’Adaptation
Il apparait une deuxième question juridique dans cette affaire : comment les réalisateurs se sont-ils distingués l’un de l’autre sans dénaturer l’oeuvre originale ?
Au regard du droit, l’article L 121-1 du CPI énonce que “le droit moral est un ensemble de droits extra-patrimoniaux attachés à la personne de l’auteur (ou à ses héritiers) qui lui permet de conserver et défendre son oeuvre et sa personne dans les rapports entretenus avec les utilisateurs”. Dans les différents droits que contient le droit moral il convient de retenir tout particulièrement le droit au respect et à l’intégrité de l’oeuvre. En effet, comme l’a retenu le TGI PARIS en date du 19 octobre 2007 “l’auteur (ou ses héritiers) peut empêcher toute dénaturation ou altération afin de préserver l’expression authentique de celle-ci”. En l’espèce, même si les deux films se passent au 20 ième siècle et non au 19 ième siècle comme dans l’oeuvre première, l’adaptation enfantine, sincère et sans enjeux financiers de Marc du PONTAVIS apparaît plus proche du livre de PERGAUD que celle de Thomas LANGMANN. En effet, ce dernier, afin de se démarquer, a clairement modifié l’univers de l’histoire ; plusieurs éléments, inexistants dans le manuscrit, ont été rajoutés, comme par exemple le parallèle entre “la guerre des enfants des deux villages” et “la seconde guerre mondiale”, ou encore la création du personnage de la petit fille juive (ressemblant étrangement à Anne FRANCK) réfugiée dans le village de LONGEVERNE.
Toutefois, il convient de s’interroger sur le fait de savoir si l’adaptation d’une oeuvre littéraire au cinéma est ou non concernée par le droit au respect et à l’intégrité de l’oeuvre ?
Si l’esprit “récréation” du livre n’est plus aussi présent, puisque son adaptation se veut aussi grave et dramatique, le producteur Thomas LANGMANN semble néanmoins être tout à fait dans son droit. En effet, la Cour de Cassation en date du 30 janvier 2007 et la Cour d’Appel de Paris en date du 19 décembre 2008, s’agissant de l’oeuvre “Les misérables”, ont retenu que “la rédaction de la suite d’une oeuvre entrée dans le domaine public relève du droit d’adaptation, et ne constitue pas une atteinte à son respect et à son intégrité”. Il convient donc de constater que l’adaptation jouit d’un régime particulier, d’autant qu’au regard du droit et d’une Jurisprudence de la Cour de Cassation en date du 12 juin 2001 “l’adaptation implique une certaine marge de liberté, comme la création de personnages nouveaux et peut, en soit, constituer une oeuvre dérivée si elle présente une originalité propre”. Ce fut le cas, en l’espèce, de la toute première adaptation cinématographique du livre, en 1961, par le réalisateur Yves ROBERT.
L’adaptation du livre par ce dernier a ainsi fait l’objet d’un autre point de droit dans l’affaire des deux films “La Guerre des Boutons” produits récemment : le droit dérivé.
– L’oeuvre dérivée et ses droits
Il semblerait que le producteur Thomas LANGMANN ait été plus inspiré par l’adaptation d’Yves ROBERT, qui connut un énorme succès à sa sortie en salle, que par l’oeuvre littéraire elle-même. Ainsi, il aurait avec son associé Emmanuel MONTAMAT tenté de s’en procurer les droits pour en utiliser certains dialogues, dans l’unique but de surfer sur la popularité du premier film et ainsi de maximiser ses ventes de tickets au détriment du film de Marc du PONTAVIS .
L’article L 122-4 du CPI énonce que “toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droits est illicite. Il en est de même pour la traduction, l’adaptation ou la transformation, l’arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque.”
Ainsi, l’oeuvre d’Yves ROBERT est une oeuvre en elle-même puisqu’elle est dérivée; elle n’est pas libre de droit et ses ayants droit ont refusé de les céder.
Thomas LANGMANN n’a donc pu se servir autant qu’il l’avait prévu de l’adaptation du film d’Yves ROBERT pour se démarquer de Marc du PONTAVIS et satisfaire au désir des spectateurs en attente des célèbres répliques d’Yves ROBERT. A défaut, pour tenter de rester dans la course et flatter son égo, Thomas LANGMANN a fini par accélérer la postproduction au détriment de son film afin d’en avancer la date de sortie. Les cinéphiles s’en indignent déjà, et considérant le film bâclé, d’aucuns diront peux-être à son propos “si j’aurais su, j’aurais pô v’nu” le voir.
Ce n’est pas la cas du film de Marc du PONTAVIS qui, en plus de recevoir le césar du plus Fair Play, signe une oeuvre poétique qui fleure bon les Carambars et le Mercurochrome.
Dans quelques mois les deux films se retrouveront à la télévision, l’issue du match télévisé sera-t-elle identique à celle qui se joue en salles ? Affaire à suivre…
Sources :
. http://www.rue89.com/2011/09/06/la-guerre-des-guerre-des-boutons-peut-avoir-lieu-220790
. http://tempsreel.nouvelobs.com/culture/20110913.OBS0246/cinema-la-gueguerre-des-boutons.html