L’année 2011 a indéniablement été une année importante dans l’histoire du streaming musical. En effet, cette année a vu s’effriter le modèle proposé jusqu’alors par les principaux sites de streaming musical, c’est à dire une offre de streaming gratuite (appelée freemium), illimitée et rémunérée uniquement par la publicité.
Si le streaming musical a eu autant de succès ces dernières années c’est parce qu’il s’est révélé comme une excellente alternative au téléchargement illégal. Les internautes y trouvent leur compte en pouvant écouter gratuitement un catalogue de musique important et varié ainsi que les producteurs et les maisons de disques qui autorisent la diffusion de la musique en contrepartie d’une rémunération calculée sur la publicité. Il semble cependant, que la rémunération perçue ne satisfasse plus ces derniers, notamment les majors, ce qui s’est traduit dans les négociations des nouveaux contrats de licences d‘exploitation des catalogues de celles-ci.
Pourtant, l’année 2011 avait bien commencé avec la signature des 13 engagements pour la musique en ligne en janvier mais ce n’était qu’une entente de façade dissimulant un conflit qui allait rythmer les mois à venir et révolutionner le modèle du streaming gratuit.
Les principaux protagonistes de cette révolution sont Spotify et Deezer (dont l’éditeur est Blogmusik) les deux sites d’écoute de musique en diffusion continue qui sont leaders respectueusement du marché européen et du marché français, ainsi qu’Universal music première major au monde.
Tout d’abord, c’est le principe de l’écoute illimitée qui a été remise en cause au début de l’année par Spotify qui est passé en avril 2011 à une limitation de 10 h par mois et de 5 écoutes par morceau (sauf pour les nouveaux inscrits qui profitent pendant 6 mois d’une offre illimitée et gratuite).
Deezer passera quelques mois plus tard, en juin 2011, à la limitation de son offre : les inscrits qui ont un compte gratuit ne peuvent écouter que 5 h maximum de musique par mois (les non-inscrits ayant droit à une écoute de 5 titres). Cette décision de Deezer fait suite aux tractations interminables avec Universal music France qui se déroulaient depuis le mois de novembre de l’année dernière, suite à l’extinction, en décembre 2010, du contrat de licence d’exploitation du catalogue de la major. Après avoir refusé dans un premier temps les contrats et les conditions d’Universal music France, Deezer cède et décide de limiter le temps d’écoute. Cette concession a plusieurs origines : la première résulte de la mise en demeure en date du 16 mai 2011 adressée par Universal à l’encontre de Deezer lui notifiant de cesser toute exploitation du catalogue. La deuxième est relative à Spotify, Deezer s’aligne sur son concurrent qui a lui accepté les conditions d’Universal et qui, par conséquent, continue d’exploiter le catalogue.
Cependant, Universal music France ne revendique pas une simple limitation de la durée des écoutes. En effet, la major veut aussi et surtout limiter l’écoute d’un même morceau, en témoigne cette phrase prononcée par son PDG, Pascal Nègre, lors de son passage à l’émission Univox sur Radio Campus en janvier 2011 et retranscrite par Rue89 : « Quand on voit des gens qui écoutent 35 fois la même chanson, vous vous dites qu’au bout d’un moment, le gars, il faut qu’il aille acheter le titre ».
Ainsi, peu satisfait de la dernière concession de Deezer, Universal music France saisit le 10 juin 2011 en référé le Tribunal de grande instance de Paris arguant de la contrefaçon présupposée de Blogmusik, l’éditeur du site Deezer, dans l’utilisation de son catalogue sans autorisation de la major.
Pour sa défense, Deezer invoque le droit de la concurrence et considère que l’attitude d’Universal music France est constitutive d’un abus de position dominante rendant inopérable l’action en contrefaçon de la major.
Dans une ordonnance de référé rendue le 5 septembre 2011, le juge rend une décision intéressante mais pas nouvelle. Le juge a en effet fait primer le droit de la concurrence sur le droit d’auteur arguant que Deezer a suffisamment établi « la possibilité que la société Universal music France ait commis un abus de position dominante qui a pour effet de la priver de revendiquer des mesures d’interdiction fondées sur le droit d’auteur qu’elle revendique puisqu’aucun trouble manifestement illicite ne peut être allégué ». D’après le juge, Universal music France, qui pèse entre 35 et 45% du marché, est en position dominante sur le marché français de la musique en ligne en ce que son catalogue représente un « élément incontournable et donc indispensable pour la taille et la couverture de la plateforme ».
Immédiatement, afin de maintenir Deezer sous pression, Universal fait savoir par le biais d’un communiqué qu’ « en raison de l’importance fondamentale de cette question pour les ayants droit de la musique, il importe que la juridiction du fond qu’Universal va saisir se prononce ».
Mais, nouveau rebondissement dans cette affaire qui restera dans les annales : fin septembre plusieurs sites spécialisés annoncent qu’un accord a été conclu entre Deezer et Universal music France dans lequel Deezer accepte finalement toutes les conditions exigées par la major, à savoir une limitation à 5 écoutes maximales par morceau. Cette limitation devrait rentrer en vigueur en 2013 à la condition que Deezer convainc de nouvelles personnes à prendre un abonnement payant, ce qui est loin d’être gagné : le taux de conversion en abonnés payant étant inférieur à 10% selon une étude de la SACEM relayée par les Inrocks.
Le streaming musical payant semble désormais être le nouveau modèle de streaming musical alors que le streaming musical gratuit est amené à ne plus servir que de faire valoir au streaming payant. En témoigne l’ouverture de Spotify au marché américain qui propose aux nouveaux abonnés 6 mois de streaming gratuit et illimité dans l’unique but de séduire l’internaute et de l’amener à souscrire à la formule payante à la fin de la période gratuite.
Si cette formule contente les majors, il n’est pas du tout acquis qu’elle séduise les internautes. Au contraire, il se peut que cette formule ait pour effet de relancer le téléchargement illégal, qui était en forte baisse grâce au streaming musical gratuit, et ainsi de signifier la mise à mort du streaming payant par le report des internautes non pas seulement sur le téléchargement illégal mais aussi sur d’autres types de streaming comme les sites YouTube et Dailymotion. Un cercle infernal.
Sources :
http://www.legalis.net/spip.php?article3226
http://www.murielle-cahen.com/publications/p_deezer.asp
http://www.pcinpact.com/actu/news/64093-limite-5h-ecoute-deezer-explique.htm?vc=1&p=2
http://www.numerama.com/magazine/19713-pourquoi-universal-a-perdu-contre-deezer-en-refere.html