La Société Générale vient d’assigner en diffamation publique le site internet ElectronLibre pour des propos tenus dans une brève intitulée « Exclusif : la Société Générale est écartée du marché interbancaire ». Face aux profonds bouleversements économiques et à la fragilité des marchés, la Société Générale n’a pas souhaité laisser passer une fausse information, pour ne pas dire une rumeur, qui aurait pu lui coûter très cher. En l’occurrence, l’addition risque de revenir au site accusé.
Le site ElectronLibre, édité par la société El Publishing et dirigé par Emmanuel Torregano, n’a semble t-il pas vraiment tenu compte du devoir de vérification des informations concernant l’article paru le 7 septembre 2011 et concernant l’état économique de la Société Générale. Alors que la banque essuie déjà des rumeurs récurrentes depuis l’été 2011, qui ont impactées sur sa réputation en faisant chuter son cours en bourse, l’article, qui se veut sensationnel à la vue du titre choisi, n’a pas amélioré son cas. Ainsi, suite à sa publication, qui explique que la Société Générale n’est plus solvable, et qui poursuit en affirmant que « selon un dirigeant d’une grande banque française, les banques ne prêtent plus à la Société Générale sur le marché interbancaire », la réaction ne s’est pas faite attendre. Face à une telle affirmation, la Société Générale a assigné mercredi 19 octobre le site devant le Tribunal de Grande Instance de Paris sur le fondement de diffamation publique, et réclame « une sanction lourde », soit 100.000 euros de dommages et intérêts.
Dès l’assignation, les avocats des deux parties adverses se sont opposés quant à la véracité des propos incriminés. L’avocat de la Société Générale, Jean-Yves Dupeux, affirme que “dans le contexte actuel, la propagation d’une telle rumeur est particulièrement irresponsable, compte tenu des dommages à l’économie que cela est de nature à engendrer” Bien entendu, la partie adverse écarte toute hypothèse de propos calomnieux, et dit s’être pliée aux faits, et pas à une simple supposition. Me Hasna Boulet, avocate du site ElectronLibre, nuance les accusations en affirmant que l’article n’a « jamais dit que c’était la seule banque française à avoir ces difficultés » et que la banque elle même a été « la première à reconnaître (…) qu’elle avait des problèmes de liquidités ».
Au delà des contradictions sur le fond du litige, l’affaire porte en elle une question d’ordre déontologique quant à la responsabilité des acteurs de l’information face à un climat économique très perturbé. En effet, depuis la crise des subprimes mortgages, qui a enflammée les prêts hypothécaires aux Etats Unis en 2008, les Etats se retrouvent en partie créditeurs du système bancaire, sans parvenir réellement à enrayer la succession de crises économique, financière et sociale que connaissent la plupart des pays industrialisés. Dès lors, l’imprévisible fluctuation des marchés entraine une méfiance des investisseurs et une inquiétude constante quant au maintien de l’équilibre des cours boursiers.
Quel rapport avec la presse et plus généralement l’information ? C’est précisément de la notion de confiance qu’il s’agit dans cette affaire. Face à la fragilité extrême du marché mondial, où tous les acteurs économiques sont plus que jamais liés les uns aux autres, l’information devient du phosphore pouvant à tout moment embraser une nouvelle situation de crise. L’exemple le plus évocateur est le rôle que jouent les agences de notations, qui selon la réévaluation ou la dévaluation des notes de fiabilité qu’elles attribuent aux Etats et aux banques, font grimper ou chuter les cours boursiers de façon irréaliste. Ainsi, la responsabilité des journalistes quant aux informations diffusées et leurs conséquences prend ici une tournure très délicate, car elle impact immédiatement la conjoncture. Il n’est pas improbable de penser qu’ElectronLibre serve d’exemple, selon la décision que prendra prochainement le TGI de Paris.
La voie de la diffamation empruntée par les avocats de la Société Générale est elle la plus judicieuse ?
Si l’affaire a entaché la réputation de la Société Générale, il semble toutefois que la voie de la diffamation publique ne soit pas la plus prompte à rétablir la situation dans un délai raisonnable. L’article 29 de la loi du 21 juillet 1881 dispose que « Toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. » Si la diffamation semble être la procédure la plus adaptée au niveau des peines encourues et de l’aspect pécuniaires qu’entraînent les dommages et intérêts, le droit de réponse aurait sans doute été plus adapté à la situation d’urgence d’un démenti.
En effet, dans le cadre de la communication au public en ligne, le droit de réponse s’exerce de la même manière que pour la presse écrite. Selon l’article 6 IV alinéa 1 de la Loi de Confiance dans l’Economie Numérique de 2004, ce droit s’exerce dans les trois mois suivant la mise à disposition du message au récepteur. Cette option apparaît plus adaptée pour deux raisons. La première est que l’erreur aurait pu être directement corrigée sur le site dans les trois jours et ne pas entrainer une procédure longue et coûteuse en raison des voies de recours. La seconde raison est que par ce biais la Société Générale aurait sans doute évité une trop grande médiatisation de ce litige, qui peut toujours lui porter préjudice si jamais la décision du Tribunal venait à la contredire. La réaction assez radicale peut également s’interpréter comme un aveu de faiblesse. A moins que l’aspect symbolique de la sanction pour diffamation n’ait été privilégié. Affaire à suivre.
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