La Chambre italienne des députés examine actuellement un projet de loi, qui prévoie notamment la faculté pour tout internaute d’obtenir, sous 48 heures, le retrait ou la modification d’un contenu, portant atteinte à son honneur. Afin de protester contre ce qu’elle considère comme « une entrave inadmissible à la liberté et à l’indépendance » de son site, l’encyclopédie Wikipédia a, durant 48 heures, fermé symboliquement son site aux utilisateurs italiens.
Wikipédia est une encyclopédie participative qui a su susciter l’engouement des internautes durant ses dix ans d’existence, au point d’être entrée dans les usages du web. En effet, au-delà des critiques qu’elle cristallise, eu égard à la qualité de ses contenus, nul ne peut nier que son recours est devenu un réflexe pour quiconque souhaite obtenir des informations rapides sur un sujet.
Les 4, 5 et 6 octobre derniers, Wikipédia a adopté une attitude jusqu’alors inédite sur la toile. Elle a rendu inaccessible l’ensemble des contenus de sa version italienne, pour manifester son opposition à l’égard d’une disposition d’un projet de loi (article 1 alinéa 29 a), en ce moment débattu au palais Montecitorio. Seul fut visible durant 48 heures un communiqué, dans lequel l’encyclopédie exprimait sa crainte de voir à terme remis en cause ses principes de fonctionnement, si ce texte venait à être adopté.
Que dit l’alinéa 29 a) ?
L’alinéa 29 est contenu dans le projet de loi relatif aux interceptions téléphoniques, électroniques et environnementales, qui contient un article unique composé de 49 alinéas. Le a) de l’alinéa 29 vient compléter la loi du 8 février 1948 n°47, en son article 8. Ce dernier dispose que, tout individu a la faculté d’obtenir d’un journal, quotidien ou périodique, ou d’une agence de presse la publication d’une déclaration ou d’une rectification, dès lors que le contenu ou les images du sujet lèsent la dignité ou sont contraires à la vérité. La disposition du projet de loi vient, notamment, élargir cette faculté aux « sites informatiques, y compris les quotidiens, les périodiques diffusés par voie électronique » ; et prévoie qu’il doit être fait droit à la demande de l’internaute dans les 48 heures.
Sur quels aspects portent les critiques formulées par Wikipédia?
Dans son communiqué du 4 octobre, son argumentation reposait sur quatre éléments: l’atteinte n’est pas évaluée, par « un juge tiers et impartial » ; la demande est accueillie « indépendamment de la véracité des informations considérées comme offensantes » ; la mise en œuvre de la demande conduit soit au retrait du contenu contesté, soit à sa substitution par une « rectification ». Enfin, les intérêts que le texte entend protéger le sont déjà par la législation sur la diffamation (article 595 du code pénal). Pour Wikipédia, cela revient à laisser « l’arbitraire des gens », motivés par « la défense de leur propre image et de leur propre dignité, envahir la sphère des intérêts légitimes d’autrui » et, conduit, à terme, à ne pas traiter de certains sujets pour « ne pas avoir de problème ».
Les craintes émises par Wikipédia sont-elles justifiées?
On peut tout d’abord relever que le fait même de pouvoir agir sur plusieurs terrains aux fins de défendre un droit, et que le cas échéant l’un d’entre eux appartienne à la sphère extrajudiciaire (c’est-à-dire ne nécessite pas la sollicitation d’un juge) n’est pas quelque chose d’anormal ou de contestable (contrairement à ce que semble penser Wikipédia). De plus, le dispositif de l’alinéa 29 relève du mécanisme de droit de réponse, qui constitue une exigence européenne (art 8 Convention européenne relative à la télévision transfrontière de mai 1989).
Néanmoins, il existe un vrai risque que la mise en œuvre de l’alinéa porte atteinte au respect de la liberté d’expression (art 21 Constitution du 22 décembre 1947). En effet, la réponse du plaignant ne vient pas s’ajouter au contenu contesté : soit elle s’y substitue, soit elle conduit à son retrait. Dans les deux cas, le contenu originel disparaît et avec lui la possibilité d’une confrontation. On perçoit alors vite la tentation que pourrait avoir certains d’utiliser ce droit afin de modifier tout sujet les concernant, dont le contenu leur déplairait. Une dérive d’autant moins fictionnelle que Silvio Berlusconi, hasard du calendrier, se retrouve à nouveau dans la tourmente, impliqué dans le scandale dit des écoutes téléphoniques.
L’initiative de Wikipédia a eu un tel retentissement auprès de la population qu’un amendement visant à modifier l’alinéa 29 a) a été déposé le 6 octobre par des députés. Celui-ci substitue le terme « journaux quotidiens ou périodiques diffusés par voie électronique et soumis à l’obligation d’enregistrement au sens de l’article 5 » à celui de« sites informatiques ». Ce qui signifie qu’en l’état actuel des choses, seuls les sites professionnels, par opposition aux sites amateurs comme les blogs, ou Wikipédia par exemple, sont concernés par la disposition. Le vote du texte, initialement prévu le 12 octobre, a été repoussé à une date inconnue.
Pour conclure, on relèvera que si Wikipédia vient de remporter une bataille,l’ensemble des questions que suscitent le projet de loi n’en sont pas pour autant réglées. Il est d’ailleurs peu probable qu’elles débouchent sur une mobilisation comparable à celle qu’a su généré l’encyclopédie autour de son cas particulier et donc, qu’elles empruntent une issue similaire.
Sources:
E. DERIEUX (E.), dir. AUVRET (P.), Les médias et l’Europe. Le contenu de l’information : entre errance et uniformisation, p241 à 247, LARCIER, 2009
http://blog.wikimedia.fr/la-wikipedia-en-italien-innaccessible-en-protestation-contre-une-loi-3705
http://www.atlantico.fr/pepites/wikipedia-suspendu-italie-site-projet-loi-196605.html
http://www.journalisme.sciences-po.fr/index.php?option=com_content&task=view&id=1401&Itemid=137
http://fr.myeurop.info/2011/10/06/wikipedia-l-encyclopedie-qui-fait-reculer-berlusconi-3504
http://www.ecrans.fr/L-Italie-a-failli-perdre-sa,13351.html
http://www.liberation.fr/medias/01012364227-italie-wikipedia-tire-le-rideau-contre-une-loi