Œuvre provocatrice, « L’origine du monde» de Gustave Courbet ne cesse, aujourd’hui encore, de choquer les esprits , restant ainsi source de controverses. L’utilisation du tableau , représentant en gros plan le sexe d’une femme, comme photographie de profil, est à l’origine de la suppression d’un compte utilisateur par le réseau social Facebook. Il convient d’ores et déjà de préciser que ce litige fait écho à une précédente affaire où un artiste danois avait vu son compte désactivé après avoir lui aussi publié un visuel de la toile sur son profil. Les modérateurs du réseau social au Danemark avaient motivé leur décision par l’existence d’un règlement prohibant la nudité pour ne pas heurter les enfants.
Le 27 Février 2011, un autre utilisateur constata la suppression de son compte, lui-même ayant, en guise de photographie de profil, utilisé l’œuvre scandaleuse. En avril, l’avocat de l’internaute mettait en demeure Facebook de réactiver le compte litigieux et d’indemniser le plaignant, celui-ci arguant d’un préjudice moral.
La société n’ayant fait droit à ces réclamations, le requérant este aujourd’hui en justice devant le Tribunal de Grande Instance de Paris. La défense appuie ses demandes sur deux point. Tout d’abord, les conditions d’utilisation de la Charte du réseau social porteraient atteinte à la liberté d’expression de ses utilisateurs. Elle considère plus encore, une des clauses de ladite charte, comme abusive en ceci qu’elle prévoit que la responsabilité de Facebook ne peut être engagée qu’exclusivement devant les tribunaux de Santa Clara, en Californie. Le requérant demande ainsi 20 000 euros de dommages-intérêts ainsi que 1000 euros d’astreinte par jour de retard dans le réactivation du compte utilisateur.
S’agissant tout d’abord de l’atteinte à la liberté d’expression avancée par le requérant, celle-ci s’est matérialisée par la suppression du compte de ce dernier du fait de l’utilisation de « L’origine du monde » comme photographie de profil.
Pour examiner la recevabilité de cet argument, il faut nécessairement le confronter à la Charte d’utilisation du réseau social. Celle-ci prévoit d’une part dans sa section consacrée à la sécurité en son paragraphe 3, que l’utilisateur ne peut publier de contenus « incitant à la haine ou à la violence, menaçant, à caractère pornographique ou contenant de la nudité ou de la violence gratuite » et d’autre part en son paragraphe 14 que dans le cas où l’utilisateur enfreindrait « la lettre ou l’esprit de cette Déclaration », le site s’aménagerait le droit d’arrêter de « fournir tout ou partie de Facebook ».
Concrètement, il est donc clairement prévu que Facebook s’accorde la possibilité de désactiver un compte dans certains cas énumérés par la Charte. Cependant, en l’espèce, le problème ne réside pas tant sur les fondements qui accordent ce droit au réseau social que sur l’appréciation des modérateurs de la plateforme qui ont associé une œuvre reconnue, exposée au Musée d’Orsay et visible par tout public, y compris le plus jeune, à une œuvre pornographique.
Toutefois, si cela est contestable, la société Facebook n’en demeure pas moins libre de déterminer les conditions d’utilisation de l’outil qu’elle met à disposition du public. En effet, qu’est-ce donc que cette « Charte » sinon un contrat parfaitement formé en tant que résultant d’une rencontre de deux volontés (celles de Facebook et de l’internaute) autour d’une offre claire et précise : l’utilisation gratuite et encadrée d’un service numérique ?
S’agissant de la responsabilité de Facebook, il faut partir du constat suivant: elle n’est que très rarement engagée. Le réseau social a pris le soin de créer ce qu’on peut appeler un paravent juridique afin de s’exonérer de sa responsabilité.
En effet dans le premièrement du paragraphe 15 de la section « Litiges », il est prévu que « toute plainte afférente à cette Déclaration ou à Facebook [devra être exclusivement portée] devant les Tribunaux d’Etat et fédéraux situés dans le comté de Santa Clara en Californie. Le droit de l’Etat de Californie est le droit appliqué à cette Déclaration, de même que toute action entre [ l’utilisateur et le réseau social], sans égard aux principes de conflit de lois. [L’utilisateur accepte] de respecter la juridiction des Tribunaux du comté de Santa Clara, en Californie, dans le cadre de telles actions ».
A la lecture de cet extrait, et même si cela est tentant, mal nous prendrait de conférer aveuglément une immunité juridictionnelle à la multinationale. Il convient de préciser que si la société mère est située aux Etats-Unis, il existe une société filiale, « Facebook France » dont le siège est situé à Paris. Contrairement à une succursale, la filiale est juridiquement indépendante de la société mère, sa responsabilité peut donc être engagée.
Par ailleurs et fort logiquement, les conditions générales d’utilisation d’un service quelconque ne sauraient limiter la responsabilité d’une société propriétaire. Cependant, le régime de responsabilité dépend de la qualification juridique de la plateforme. Or récemment, il semble que la jurisprudence, après un temps d’ incertitudes, tend à reconnaître la qualité d’hébergeur au site communautaire. Reste à savoir si la justice française s’engagera dans cette voie.
« L’exil, c’est la nudité du droit », Victor Hugo
http://www.legavox.fr/blog/maitre-anthony-bem/recours-contre-publication-contenus-litigieux-2242.htm