L’art évolue avec les sociétés, l’art contemporain s’éloigne ainsi des dictats de l’art traditionnel. Au milieu du XXème siècle l’art conceptuel et l’art minimal, montraient une autre façon d’appréhender l’œuvre d’art. Le cadre juridique colle mal aux évolutions artistiques, pour exemple, le ready-made irrite la définition de l’œuvre telle que retenue par le droit d’auteur. Si l’objet du droit d’auteur, l’œuvre de l’esprit, n’a certes pas de définition légale arrêtée elle se laisse appréhender par les conditions, jurisprudenciellement posées, auxquelles elle doit répondre, qui sont pour principales: l’originalité et la matérialité.
Afin de pallier à l’absence de définition légale, le législateur, à l’article L 112-2 du code de la propriété intellectuelle, dresse une liste non exhaustive des œuvres protégeables. Les œuvres désignées, seront considérées comme œuvres de l’esprit sous couvert de répondre à la condition d’originalité. Si l’article L 112-2, vise à son alinéa 13 les logiciels, l’œuvre d’art numérique, elle, n’est pas explicitement visée.
La révolution numérique que l’on connait dans nos sociétés, a un impact fort sur le monde de l’art. Les expositions d’art numérique se multiplient, et les initiatives le promotionnant également, on peut citer « The creator project », qui « réunit près de 200 artistes qui se servent de la technologie pour repousser les limites de leur expression créative. »
L’année dernière, la Fondation Yves-Saint-Laurent à Paris, proposait l’exposition « Fleurs Fraiches » sur Ipad, du génialissime peintre David Hockney. L’ère des écrans bouscule les codes de création et de consommation de l’art. La toile blanche fait place aux palettes graphiques, aux écrans LCD et autres bijoux de technologie. L’art numérique, pousse la définition de l’œuvre retenue par le droit d’auteur, dans ses retranchements. Ce n’est pas une œuvre d’art visuel, ce n’est pas une œuvre d’art vidéo, ce n’est pas un logiciel, c’est tout à la fois ! L’art numérique englobe différents courants artistiques : l’art génératif, l’art multimédia, et l’art participatif, de sorte qu’il est difficilement possible d’en poser une définition circonscrite.
L’art numérique, est selon Carine Le Mollet : « proche des sciences, de la robotique, de l’intelligence artificielle, ces œuvres ont la particularité de se créer dans le temps, en interaction avec le public ». L’œuvre d’art numérique est au croisement entre différentes disciplines, elle peut-être définie comme l’œuvre qui utilise comme mode de production ou de transmission, l’informatique.
Lorsque l’on confronte la conception de l’œuvre de l’esprit retenue pas le droit et l’œuvre numérique, différentes problématiques apparaissent. Nous les étudierons à travers le prisme de questions soulevées pas des créations contemporaines.
Le critère d’originalité de l’œuvre de l’esprit, est il adapté à l’œuvre numérique ?
L’artiste Ja Young Ku a créé un dispositif permettant au moyen d’une application de smart-phone d’interagir avec l’œuvre de l’artiste. Une fois devant l’écran LCD, qui constitue le support de l’œuvre, et l’application téléchargée, le visiteur va pouvoir modifier l’œuvre, en passant simplement le doigt sur l’écran de son téléphone portable. Si la condition de création de forme, nécessaire à la protection de l’œuvre par le droit d’auteur, est dans cet exemple existant, qu’en est-il de la condition d’originalité ? L’œuvre ici est le fruit d’une intervention de visiteurs au hasard, permise par une application sur un smart-phone. Rappelons que la conception classiquement retenue par le droit d’auteur du concept d’originalité, est l’impact de la personnalité de l’auteur sur son œuvre. Peut-on affirmer ici sans sourciller, que c’est le cas pour cette œuvre, que la personnalité de Ja Young Ku transparait à travers son installation ?
Le critère de la création de forme est-il raisonnablement applicable aux œuvres numériques ?
L’œuvre générative, participative est éphémère, elle évolue d’un visiteur à un autre, peut-être transposée sur divers supports, elle est finalement abstraite. Si on pousse le raisonnement, lorsque l’œuvre n’est pas projetée, elle n’est que l’encodage d’un concept, d’une idée. Or, le droit ne protège pas les idées, elles sont dites de libres parcours. Le caractère provisoire de l’œuvre d’art numérique, apparait comme un frein à la protection du droit d’auteur. L’œuvre n’a pas de forme à proprement parlé, elle n’est pas palpable, elle est plus proche du concept que de la réalité concrète. L’œuvre réagit aux déambulations du visiteur, de sorte que sans ce dernier, elle ne véhicule pas le message que l’artiste voulait transmettre. La gaité lyrique à Paris, antre de la révolution numérique, a organisé du 30 septembre au 13 novembre, l’exposition « Trackers » de l’artiste mexico-canadien, Rafael Lozano-Hemmer. Les œuvres de cet artiste illustrent parfaitement la problématique entre l’articulation de la définition de l’œuvre d’art retenue par le droit d’auteur, et les créations de l’art numérique. L’artiste a utilisé le système de surveillance vidéo dans ses œuvres, de sorte que se produise une interaction entre le visiteur et l’œuvre. Avec l’installation, « Frequency & volume » le corps de chaque visiteur devient une sorte d’antenne vivante, un spot placé au fond de la salle permet de projeter leurs ombres, et selon leur position ils capteront telle ou telle station de radio. Sans le visiteur l’œuvre est ici réduite à néant, l’œuvre devenant concrète uniquement grâce aux allers et venus des visiteurs.
Qu’elle est la qualification juridique de l’œuvre numérique ?
Pour connaitre le titulaire du droit d’auteur il faut pouvoir identifier l’auteur de l’œuvre de l’esprit. L’article L 113-1 du code de la propriété intellectuelle, dispose : « la qualité d’auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l’œuvre est divulguée». Cette identification parait simple à réaliser, mais reste un problème de qualification quant au rôle joué par les visiteurs dans une exposition d’art participatif. L’art numérique révolutionne le mode de création, le visiteur est actif, l’œuvre évolue grâce à ce dernier ; de sorte qu’on pourrait légitiment se demander si le visiteur ne pourrait pas revendiquer la qualité de co-auteur. L’artiste Minha Yang avec son œuvre « Meditation » illustre cette interactivité, l’artiste dit lui-même « je veux immerger le public afin qu’il devienne l’œuvre ». Sans le visiteur, l’œuvre d’art participative n’existe pas, elle ne prend vie qu’avec lui. L’article L 113-2 du même code, pose qu’ « est dite de collaboration l’œuvre à la création de laquelle ont concouru plusieurs personnes physiques » et l’article L 113-3 dispose que l’ « œuvre de collaboration est la propriété commune des coauteurs ». D’où le fait que la qualification juridique du visiteur, dans une exposition d’œuvre participative, soulève des interrogations.
Afin de prendre le pouls de la création dans l’art numérique, évidemment le mieux est de se rendre à une exposition! L’association« M2F Créations » propose la septième édition du festival des arts multimédia GAMERZ à Aix-en-Provence jusqu’au 26 novembre 2011, alors participons tous à la révolution que le monde de l’art connait actuellement!
SOURCES :
Maligorne C., « C’est quoi l’art numérique? » , mis en ligne le 22 septembre 2010, consulté le 10 novembre 2011, http://www.lexpress.fr/culture/art/c-est-quoi-l-art-numerique_921082.html
Baik K., « Constructing A Space For Meditation At Our Creators Project NY Event », mis en ligne le 10 octobre 2011, consulté le 9 novembre 2011, http://thecreatorsproject.com/blog/constructing-a-space-for-imeditationi-at-our-creators-project-ny-event
Baik K., « De l’art collaboratif sur smartphone », mis en ligne le 10 mars 2011, consulté le 9 novembre 2011, http://thecreatorsproject.com/fr/blog/de-lart-collaboratif-sur-smartphone
Kehayoff G., « Lozano-Hemmer, créateur à perpétuité », mis en ligne le 22 juillet 2011, consulté le 9 novembre 2011, http://www.artnet.fr/magazine/portraits/kehayoff/lozano-hemmer.asp
Blog,« Qu’est-ce que l’art (aujourd’hui) ? », mis à jour le 13 novembre 2011, consulté le 10 novembre 2011, http://lucileee.blog.lemonde.fr/
Code de la propriété intellectuelle