A l’instar du match franco-français opposant début septembre les producteurs des deux films “La Guerre des Boutons” il convient d’évoquer le véritable derby euro-américain qui se joue entre les deux chaînes Canal Plus et Showtime. Il semblerait, en effet, que l’accession au pouvoir du cardinal catalan Rodrigue Borgia et de son clan pour instaurer une dynastie ait inspiré les studios de cinéma.
La chaîne de télévision Canal Plus a lancé en octobre 2011 la nouvelle série “Borgia” en co-financement avec le distributeur Allemand BetaFilms. Le projet, produit par Canal Plus ainsi que par le Groupe Lagardère via sa filiale Atlantiques Productions, a été créé par Tom FONTANA, réalisateur à succès de séries américaines. Le but de cette création de prestige est, comme le défend Rodolphe BELMER, le directeur général de Canal Plus, de développer la fiction française à l’international. Pour autant, entrer en concurrence directe avec les grandes productions américaines s’avère malaisé, d’autant plus que la chaîne câblée américaine Showtime diffuse, outre atlantique, une série sur le même thème intitulé “The Borgias” avec l’ambition de l’exporter sur le vieux continent.
Ajoutons notamment pour la chaîne “yankee” qu’un impressionnant casting réunit à la fois un monstre sacré, l’acteur Jeremy IRONS, le brillant réalisateur irlandais Neil JORDAN (Entretien avec un vampire, Mona Lisa…) et le scénariste Michael HIRST, créateur de la célèbre série “The Tudors”. C’est un point marqué par “The Borgias” qui ouvre le score avec l’annonce d’une distribution très haute gamme alors que “Borgia” a engagé des acteurs inconnus.
Précisons toutefois que les deux séries concurrentes auraient pu être dans la même écurie et n’en former qu’une, puisque la chaîne américaine Showtime avait proposé aux producteurs européens la fusion des deux projets. Cependant ce fut un échec, à cause des différences artistiques des deux équipes et du retard dans la production de la chaîne Showtime qui n’en était qu’à l’état de pilote pour sa série alors que Canal Plus avait déjà écrit les douze premiers épisodes. Un terrain d’entente sembla pourtant trouvé lorsque la chaîne Showtime proposa à Canal Plus de conserver le scénario de la série française à condition de travailler avec le réalisateur Neil JORDAN du casting de la chaîne américaine. Le président de Lagardère Entertainment, Takis CANDILIS, conclut l’accord jusqu’à ce que la chaîne Showtime se ravise au dernier moment. Le groupe Franco-Allemand pensa avoir définitivement perdu le marché outre-atlantique, et l’espoir d’être rentable, jusqu’à ce que Netflix, premier distributeur de vidéos via Internet aux Etats-Unis, achète les droits pour la diffusion américaine de “Borgia”. Il semblerait que Canal Plus ait ainsi marqué un point grâce à cet achat.
Paradoxalement, alors qu’il produit “Borgia”, le producteur français rachète pour plus de deux millions d’euros les droits de diffusion en France de son concurrent “The Borgias” et coiffe ainsi au poteau Orange qui voulait diffuser la série pour sa chaîne Orange cinéma Séries, ainsi que la chaîne M6 qui aurait longtemps négocié avec Showtime. En réalité, ce rachat de “The Borgias” a pour but d’empêcher sa diffusion en France afin de promouvoir son “nouveau-né”. Si certains jugent cela comme un manque de fair-play de la part de la chaîne cryptée, leurs supporters au contraire pourraient y voir un juste retour de bâton contre la chaîne Showtime qui avait fait défaut au consensus trouvé pour un projet unique.Toutefois, ce rachat des droits pour contrôler et limiter le passage de la série en France pourrait être assimilé à la la situation à l’origine de l’arrêt de la Chambre Commerciale de la Cour de Cassation du 22 octobre 1996, dit “Arrêt Chronopost”. Effectivement, conclure un contrat de rachat des droits de diffusion dans l’unique dessein de limiter, voire de ne pas diffuser la série américaine, ne s’apparente-t-il pas à un manquement à l’obligation essentielle du contrat ?. Corrélativement, dans le système dit de “Copyright”, le principe fondamental est le droit d’accès du plus large public à l’oeuvre américaine. En effet, aux Etats-Unis, l’oeuvre est avant tout destinée à la diffusion au public. Il convient donc de constater que cette tactique, dont la légalité quant au respect du droit de la concurrence laisse à désirer, conduit Canal Plus à mener au score, de deux points à un, contre “The Borgias”.
Le comble de l’ironie est qu’il a été fait savoir, dans les dernières minutes de la préparation de cet article, qu’il existerait plusieurs “Borgia” au sein même de la production Franco-Allemande. En effet, Takis CANDILIS a déclaré sur le plateau de LCI “la production a créé cinq versions différentes pour adapter le contenu aux différents pays où il serait diffusé”. Par conséquent, si pour les abonnés de Canal Plus c’est une version sans aucune censure qui est diffusée comme le souhaitait le réalisateur Tom FONTANA, le DVD de la série sera, en revanche, un peu épuré de sexe et de violence. De la même manière, en Allemagne, la diffusion sur une chaîne en clair a eu pour contrecoup l’obligation de sacrifier beaucoup de scènes pouvant porter atteinte à la sensibilité des plus jeunes. Enfin, aux Etats-Unis, la société Netflix a dû supprimer des chapitres entiers de la série puisque l’actrice qui interprète Lucrèce Borgia était mineure au moment du tournage de certains épisodes. Drastique, cette décision à quelque peu ébranlé le “team” Lagardère Entertainment qui avait cahin-caha réussi à vendre la série à l’international.
En conclusion, force est de constater un score nul de deux à deux, par décision d’arbitre, dans cette rencontre “Borgia – The Borgias”. La rivalité d’aujourd’hui est tout aussi cruel que celle qui opposa le Pape Alexandre VI et le cardinal Giuliano Della Rovere comme le dépeignent les scénarii des deux séries.
Sources :
. http://teleobs.nouvelobs.com/articles/borgia-la-serie-record-de-canal
. http://www.ozap.com/actu/canal-plus-serie-borgias-tps-star-showtime/421638
. www.lemonde.fr/…/apres-la-guerre-des-boutons–celle-des-borgia_15