L’année 2011 marqua un tournant pour une poignée de pays du pourtour méditerranéen. Leurs habitants ont eu le courage de briser leurs chaînes, démontrant au passage la force de l’internet. En vue d’accompagner ce mouvement, l’Union européenne (UE) se propose de soutenir le réseau comme outil de liberté. Des actes sont présentement à l’ordre du jour.
« Les printemps arabes ont été un véritable réveil »
A l’aune de ce fait d’actualité majeur, Neelie KROES, Commissaire européenne en charge de la société numérique, règle son pas sur celui d’Hillary CLINTON, Secrétaire d’Etat américaine.
Mi-février, quand le bouillonnement apparu au Maghreb gagnait le Moyen-Orient, l’ancienne Première dame des Etats-Unis discourait déjà sur le « droit de se connecter ». Ce concept nébuleux jetait directement l’opprobre sur les régimes autoritaires bâillonnant sans ménagement les protestataires sur la Toile. Toutefois, le gouvernement américain se bornait à des réprimandes verbales sans amorcer d’actions concrètes.
Mi-décembre, dans le prolongement de cette prise de position, la Commission européenne levait enfin le voile sur sa nouvelle stratégie « No Disconnect ». Cette démarche moins précipitée accouchait d’une approche dynamique. Au lieu de vertement tancer les « ennemis de l’internet », l’Europe aidera désormais les populations opprimées à contourner la censure et la surveillance qu’elles subissent.
Ce plan tire les leçons des revirements géopolitiques qui ont émaillé l’année. Le mode opératoire issu de cette réflexion est fractionné en quatre axes, chacun se concentrant sur un aspect précis de la problématique.
Une politique en faveur de l’émancipation des peuples tiers
Le premier étage du procédé s’attarde sur la protection de la vie privée et la sécurité des populations qui utilisent des technologies de l’information et de la communication (TIC) dans des régimes non démocratiques. Les cyberdissidents en sont les bénéficiaires au premier chef. Ces individus qui osent dire tout haut ce que leurs concitoyens pensent tout bas déploient des trésors d’ingéniosité pour conserver leur anonymat dans le cyberespace. Ils jouent au chat et à la souris avec les autorités mais la partie de cache-cache tourne souvent court. Le matou étant mauvais joueur, il suit à la trace le rongeur pour l’empêcher de s’exprimer. L’UE aspire à ce que les insoumis continuent de miner l’oppresseur par leur travail de sape.
Le deuxième étage du procédé se rapporte à l’éducation et à la sensibilisation des militants quant aux possibilités et aux risques inhérents aux TIC. Les révolutionnaires et les contestataires se sont notamment servis des réseaux sociaux pour coordonner leurs rassemblements. En sus de propager l’information, l’internet est devenu un puissant relais pour appeler à la mobilisation. Autrefois portail d’accès à la connaissance, il a évolué de manière à simplifier l’interaction entre internautes. Grâce à cet apprentissage, l’UE cherche clairement à mobiliser la société civile.
Le troisième étage du procédé, le contrôle du niveau de surveillance et de censure à un moment donné et dans un lieu donné, intensifie la pression sur les pays restreignant les usages du réseau. Quelques-uns se défendent d’attenter aux libertés, alors que nier l’évidence ne les avancent à rien. Dans le collimateur des Européens, la Chine occupe une place de choix. L’Empire du Milieu est à la pointe de la veille et de l’examen des propos circulant sur l’internet. C’est une source d’inspiration pour certains et un péril à éviter pour d’autres. L’UE entend peser telle une épée de Damoclès pour facilement montrer du doigt les nations qui quitteraient le droit chemin.
Le quatrième étage du procédé, la coopération aux fins de la protection des droits de l’Homme, est le volet pratique. Durant les révoltes tunisiennes, égyptiennes et syriennes, des groupes d’activistes ainsi que des sociétés ont mis à disposition des mutins des accès bas débit et des services de messagerie pour briser l’isolement des rebelles. Leurs voix continuaient donc de porter en dépit de la coupure de la Toile en vigueur dans ces contrées. L’UE souhaite que l’information puisse s’échanger pour déstabiliser le pouvoir en place et à terme mettre le feu aux poudres.
Une politique en contradiction avec les agissements d’acteurs économiques
En creux, cette stratégie de contournement vise à rendre disponible des technologies et des logiciels aux internautes étrangers, mais aussi à les informer sur les techniques de surveillance utilisées dans leur pays.
Collecter ce type de spécifications ne devrait guère être complexe pour les Etats membres puisque quelques sociétés européennes ont censément vendu des outils de surveillance à des pays tiers. Les liens entretenus par plusieurs responsables politiques avec des figures des régimes autoritaires avaient fait grand bruit au début du soulèvement tunisien ; les révélations sur le concours de diverses firmes au renforcement du système d’espionnage libyen entament la crédibilité diplomatique des démocraties occidentales. De même, que ce soit sur le Vieux Continent ou bien outre-Atlantique, des projets parlementaires ou gouvernementaux vont à contre-courant de l’esprit de cette stratégie numérique.
La plan « No Disconnect » ne part pas que de l’intention de se racheter une conduite. Les instances européennes sont en général à l’avant-garde des protecteurs de la neutralité du réseau. Les membres ne sont malheureusement pas si enclins à les suivre dans cette direction. Un zeste de cohérence dans la zone sur ce sujet serait bienvenu. S’estomperait ce pénible sentiment que le plaidoyer pour un internet libre entraîne deux poids, deux mesures dans la bouche des dirigeants.
Sources :
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