C’est par un bref communiqué que Rue89 et le Nouvel Observateur ont annoncé le 21 décembre dernier avoir « décidé de se rapprocher dans le but de renforcer leur indépendance éditoriale et économique dans un environnement en pleine mutation. » En d’autres termes, le premier site web d’information générale indépendant, créé en 2007 et à l’origine d’une vague ayant donné naissance à Médiapart, Slate et autres, vient d’abdiquer en renonçant à cette indépendance pourtant jusqu’alors sacrée.
Demi renoncement ? aliénation ?
Si Pierre Haski, président-directeur et l’un des fondateurs de Rue89, précise que le site renonce « à sa liberté entrepreneuriale pas à sa liberté éditoriale »[1], l’heure d’un premier bilan concernant les pure-players français semble cependant venue. En effet, alors que la crise touche de plein fouet la presse écrite, qu’en est-il de ces acteurs de l’information numérique ? Doit-on en déduire que le modèle gratuit qu’avait choisi Rue89 est incompatible avec l’indépendance ? L’option du payant prise par Médiapart prouve-t-elle sa supériorité comme seule voie de survie ? Les pure-players promettaient une presse « affranchie des contraintes techniques des vieux supports mais aussi libérées des vieilles connivences avec l’establishment ».[2] Aujourd’hui, ce rachat de 100% des parts est-il constitutif d’aliénation ? Trop tôt pour le dire.
Alors que Daniel Schneidermann, fondateur du pure-player à abonnement Arrêt sur images, ne cache pas sa tristesse au lendemain de ce rachat[3], les intéressés affirment que l’indépendance survivra puisqu’elle est même « garantie par contrat » et que les équipes ne changeront pas. De plus, nous dit-on, la dépendance économique permettra un développement en moyens humains et matériels qui s’avère indispensable pour rester dans la course.
Car c’est bien l’argent qui a fait échoué l’utopie Rue 89. Ainsi, bien que grand succès en termes de fréquentation (2 millions de visiteurs uniques par mois), le site est toujours déficitaire, encore cette année de 400 000 euros. Les subventions d’Etat et les recettes de la publicité, seules sources de revenus, n’ont pas été suffisantes et le personnel, à défaut de reprise, aurait pu être touché.
Peut-on prédire quelle voie/voix sera la bonne ? Ce nouveau modèle hybride indépendant sur le fond/dépendant sur la forme, ou le modèle payant, seul garant d’une totale liberté de pensée et de dire, défait de toute crainte de sanctions économiques ?
Les pure-players à abonnement payant ont pour leur part réussi leur pari de « croire en l’engagement citoyen » : des sites comme Mediapart (55 000 abonnés actifs, 5 millions de chiffres d’affaire) affichent un bilan très satisfaisant à l’heure où Rue89 cède, faisant affirmer à Edwy Plenel que « pour l’information de qualité il n’y a qu’un seul modèle viable : le paiement (…) qui contient en soi l’idée d’indépendance et de confiance du lecteur ».[4]
Ou nouveau défi ?
Le Nouvel Observateur est indispensable à Rue89 pour survivre, et Rue89 est utile au Nouvel Observateur pour se « dérider ». Ainsi, Claude Perdriel, fondateur et patron du Nouvel Observateur, associe cette opération à sa volonté d’accentuer le développement numérique de son groupe, comptant alors sur Rue89 pour y contribuer.
Car, malgré ce demi-échec, la nécessité de faire évoluer le système médiatique est indéniable, et c’est bien encore cette mission que vont relever les nouveaux partenaires, au milieu d’autres acteurs pour qui la course devient donc plus dure que jamais au vu des disparités de leurs moyens. Ainsi, pour affronter la crise de la presse et « un environnement en pleine mutation », un ancien et un nouveau médias, tous deux fragilisés, ont choisi de se rapprocher face à une concurrence qui s’intensifie dans le monde de l’information sur internet. Fort de ses nouveaux moyens, Rue89 entend « muscler ses thématiques » et a annoncé un projet prioritaire de développement sur tablettes pour que s’écrive « une nouvelle page, dans un nouveau cadre ».[5]
Concrètement, le rachat est effectif depuis le 31 décembre 2011 et une conférence de presse, annoncée pour début 2012, révèlera les détails de cette opération, dont son coût jusqu’ici tenu secret. Ce n’est qu’alors que l’on connaitra l’entière stratégie de la nouvelle Rue89 « après travaux » pourrait-on dire !
Et c’est justement sur ce que l’on découvrira dans cette nouvelle version que beaucoup s’interrogent : s’agira-t-il toujours réellement d’un pure-player ou ni plus ni moins du nouveau site web d’un journal papier ? A cet égard, Daniel Schneidermann se questionne sur le maintien ou non, sur Rue89, de la publication gratuite quotidienne de sa chronique d’Arrêt sur Images. En effet, le partenariat entre les deux pure-players qui permettait jusqu’alors cette mise à disposition sera-t-il remis en cause ?
SOURCES
Communiqué de presse commun Rue89-Nouvel Observateur, 21/12/2011, consulté le 28/12/2011 http://www.rue89.com/2011/12/21/communique-commun-rue89-nouvel-observateur-227732
ANIZON E. et TESQUET O., « Enquête : les pure-players ou le pari de la presse en ligne », Télérama, 9/11/2011, consulté le 28/12/2011 http://www.telerama.fr/medias/les-pure-players-ou-le-pari-de-la-presse-en-ligne,74902.php
BERRETTA E., « Médiapart : le modèle payant a gagné », Le Point, 21/12/2011, consulté le 28/12/2011 http://www.lepoint.fr/chroniqueurs-du-point/emmanuel-berretta/mediapart-le-modele-payant-a-gagne-21-12-2011-1410954_52.php
E.C, « Rue89 racheté par le Nouvel Observateur », Le JDD, 21/12/2011, consulté le 28/12/2011 http://www.lejdd.fr/Medias/Presse-ecrite/Actualite/Le-Nouvel-Observateur-rachete-le-pure-player-Rue89-442925/
FEITZ A., « Rachat de Rue89 par le Nouvel Obs : Pierre Haski s’explique », Les Echos, 21/12/2011, consulté le 28/12/2011 http://www.lesechos.fr/entreprises-secteurs/tech-medias/actu/0201806639280-rachat-de-rue89-par-le-nouvel-obs-pierre-haski-s-explique-266259.php
ANIZON E., « Entretien : Rue89 renonce à sa liberté entrepreneuriale et pas à sa liberté éditoriale », Télérama, 21/12/2011, consulté le 28/12/2011 http://www.telerama.fr/medias/rue89-renonce-a-sa-liberte-entrepreneuriale-pas-a-sa-liberte-editoriale,76392.php
SCHNEIDERMANN D., « Rue89+Le Nouvel Observateur = boulevard89 ou impasse89 ? », Rue89, 22/12/2011, consulté le 28/12/2011 http://www.rue89.com/2011/12/22/rue89-le-nouvel-observateur-boulevard89-ou-impasse89-227762
HANNE I., « Le groupe Nouvel Obs s’offre pignon sur Rue89 », Libération, 22/12/11, consulté le 28/12/2011 http://www.liberation.fr/medias/01012379075-le-groupe-nouvel-obs-s-offre-pignon-sur-rue89
[1] ANIZON E., « Entretien : Rue89 renonce à sa liberté entrepreneuriale et pas à sa liberté éditoriale », Télérama, 21/12/2011, consulté le 28/12/2011 http://www.telerama.fr/medias/rue89-renonce-a-sa-liberte-entrepreneuriale-pas-a-sa-liberte-editoriale,76392.php
[2] SCHNEIDERMANN D., « Rue89+Le Nouvel Observateur = boulevard89 ou impasse89 ? », Rue89, 22/12/2011, consulté le 28/12/2011 http://www.rue89.com/2011/12/22/rue89-le-nouvel-observateur-boulevard89-ou-impasse89-227762
[3] cf supra
[4] BERRETTA E., « Médiapart : le modèle payant a gagné », Le Point, 21/12/2011, consulté le 28/12/201 http://www.lepoint.fr/chroniqueurs-du-point/emmanuel-berretta/mediapart-le-modele-payant-a-gagne-21-12-2011-1410954_52.php
[5] FEITZ A. « Rachat de Rue89 par le Nouvel Obs : Pierre Haski s’explique », Les Echos, 21/12/2011 http://www.lesechos.fr/entreprises-secteurs/tech-medias/actu/0201806639280-rachat-de-rue89-par-le-nouvel-obs-pierre-haski-s-explique-266259.php