“SOPA”, pour Stop Online Piracy Act, c’est l’acronyme à la mode ces temps-ci, outre-atlantique. Le SOPA, c’est le projet de loi américain visant à lutter contre le piratage en ligne, et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il ne fait pas l’unanimité. Cet Hadopi boosté aux stéroïdes, dort depuis quelques temps déjà dans les couloirs de la Chambre des Représentants, ajournement après ajournement. Devant le tollé et la profonde division au sujet de son texte, Lamar Smith, auteur et rapporteur de SOPA, a de nouveau assisté, le 19 décembre dernier, au report de son examen devant la chambre.
Le saviez-vous ?
Au pays du libéralisme et de gouvernator, on n’est pas à l’abri des contradictions, mais ce qui est sûr, c’est qu’on ne lésine jamais sur les moyens. Le SOPA, c’est de l’américain dans la forme mais pas dans le texte. Dans le cadre légitime de la lutte contre le téléchargement illégal, les Etats-Unis sont sur le point de mettre les petits plats dans les grands pour éradiquer ce phénomène de société, le tout au mépris du tout-puissant “Internet, libre et ouvert” qu’ils ont toujours défendu.
Inspiré par le lobbying des industries moribondes du cinéma mais surtout de la musique, le SOPA, et son jumeau PIPA (Project IP Act, déposé quant à lui sur le bureau du Sénat) veulent purement et simplement empêcher les internautes d’accéder aux sites proposant du contenu illégal. Ils joueraient pour ce faire sur trois axes : le filtrage, le déréférencement et l’asphyxie financière.
- Concernant le filtrage, la curiosité du SOPA, c’est la volonté de passer par le système DNS. En effet, après avoir obtenu une décision judiciaire favorable, le représentant de l’Etat pourrait demander aux services gérants les noms de domaine, de procéder au blocage des sites proposant du contenu illégal. Il s’agirait alors pour ceux-ci de couper le lien entre l’adresse internet telle qu’on la connait, à savoir le nom de domaine (Ex. http://www.albumsatélécharger.com) et l’adresse IP qui la relie à internet. L’internaute ne pourrait plus accéder au site, à moins d’en connaître l’adresse IP.
- Le SOPA prévoit également que l’Etat pourra contraindre par décision judiciaire les sociétés de moteur de recherche (Google, Yahoo, Bing…) de procéder au déréférencement des sites hébergeant des contenus jugés illégaux. A savoir, procéder au retrait des liens vers ces sites de l’ensemble des résultats de recherches. C’est une disposition valable pour tous les sites proposant un lien vers ce contenu. Une disposition qui pourrait considérablement mettre à mal le téléchargement illégal, puisqu’ici encore, il faudrait connaître les adresses IP exactes pour accéder aux sites frauduleux.
- Enfin, le dernier axe s’attaque aux porte-monnaie. Il faut savoir que la plupart des sites pointés du doigt vivent du trafic généré par l’échange de contenu illégal, par le biais de la publicité ou encore de la gestion de comptes premium payants (comptes qui permettent de faire sauter certaines limites de téléchargement imposées aux utilisateurs basiques). C’est pourquoi, avec le SOPA, il serait possible d’exiger la fin des relations commerciales entre les différentes régies publicitaires et des sites de paiement en ligne – type Paypal – avec les sites mis en cause.
Le SOPA, c’est au final un arsenal juridique très puissant qui renforce les pouvoirs des ayants-droits pour lutter contre le piratage en ligne. Si c’est un arsenal national, propre aux Etats-Unis, penser que son rayonnement ne dépassera pas l’Atlantique relève de la naïveté, tant l’Amérique joue un rôle crucial sur le fonctionnement d’internet.
Bien sûr le projet est soutenu par les industriels concernés, notamment ceux du lobby des éditeurs de contenu Américain (MPAA, RIAA, ou encore la chambre de commerce Américaine), mais la plupart des acteurs de l’internet ont reçu SOPA de manière défavorable (Google, Facebook, Yahoo, eBay, AOL, Linkedin, Twitter pour ne citer qu’eux). L’un d’eux a récemment fait volte-face, en réaction aux conséquences désastreuses de son soutien au projet. D’autres hésitent encore, tant la décision est stratégique.
Mais alors, depuis quand le soutien d’une cause supposée noble, telle que la lutte contre le téléchargement illégal, est synonyme de mauvaise publicité ? Si l’on en croit la foule d’opposants : depuis que les moyens ont largement dépassés les objectifs.
“Don’t break the internet”
C’est le titre d’une lettre rédigée par d’éminents universitaires Américains, adressée aux parlementaires chargés d’étudier le SOPA. Elle fait écho à une autre lettre ouverte écrite cette fois, par les pères fondateurs de l’internet, ni plus, ni moins. Là où la présence de simples opposants économiques laisserait penser à une simple contestation – hypocrite – visant à défendre le fruit de leurs revenus, la qualité et la particularité de ces opposants là ne fait aucun doute, il y a dans SOPA quelque chose qui cloche.
Le principal grief la concernant a trait à l’infrastructure technique d’internet. Le projet de loi s’attaque à la pierre angulaire sur laquelle s’est construit internet, à savoir le système d’adressage universel (DNS). Le pouvoir de suppression ou de substitution forcée donné par PIPA et SOPA aux tribunaux sur le système DNS va à l’encontre du principe d’universalité de nom de domaine. Il menace – selon les opposants – l’équilibre et la sécurité du système. De plus, nombreux sont ceux qui discutent de l’efficacité même de telles mesures, arguant que de simples techniques de contournement pourraient voir le jour. Pire, cette alternative pourrait constituer à terme, un second système d’adressage parallèle, qui serait lui, non régulé. Les pères fondateurs de l’internet craignent pour leur part, la naissance d’un climat de peur et d’incertitude sur l’innovation technologique liée à internet.
De nombreuses critiques juridiques sont également faites à SOPA, touchant parfois à la Constitution des Etats-Unis. On parle ici principalement des droits de la défense. En effet, les procédures mises en place sont principalement “ex parte”, à savoir qu’elles peuvent être mises en œuvre sans le concours, ni même l’information de l’opérateur du site incriminé. C’est ainsi que des sites web peuvent être « complètement retirés de la circulation» immédiatement après demande du gouvernement, sans opportunité raisonnable pour l’operateur du site web en question d’être entendu ou de présenter des preuves de son côté. Les opposants parlent également d’un pouvoir trop large accordé aux ayant-droits, leur permettant d’engager des procédures sans passer par la moindre audience ou intervention judiciaire, notamment dans le cadre des relations commerciales entre sites de paiement et sites illégaux pointés du doigt.
Enfin, l’un des principaux griefs fait à SOPA, régulièrement cité dans le discours de ses adversaires, est profondément idéologique. Un tel dispositif, qu’on peut apparenter à de la censure, puisqu’il empêcherait l’accès à des pans entiers d’internet, aurait tendance à sérieusement entamer la crédibilité des Etats-Unis dans son rôle de superviseur des infrastructures clefs d’internet. D’aucuns n’hésitent plus à faire le lien avec les systèmes de censure d’Etats autoritaires, comme la Chine, la Corée du Nord ou encore l’Iran, que l’Etat Américain fustigeait encore l’an dernier, par la voix de sa secrétaire d’Etat, Hillary Clinton.
Je cite en illustration un passage de la lettre des pères fondateurs de l’internet :
“Le gouvernement américain a régulièrement affirmé qu’il soutenait un Internet libre et ouvert, tant au niveau local qu’à l’étranger. Nous ne pouvons pas avoir un Internet libre et ouvert sans systèmes de nommage et de routage placés au-dessus des préoccupations politiciennes et des objectifs d’un gouvernement ou d’une industrie unique, quels qu’ils soient. À ce jour, le rôle de leader que les États-Unis ont joué dans cette infrastructure n’a pas été remis en cause car l’Amérique est perçue comme un arbitre de confiance et un bastion neutre de la liberté d’expression. Si les États-Unis commencent à utiliser leur position centrale dans le réseau pour mettre en place une censure servant leurs intérêts politiques et économiques, les conséquences seront d’une grande portée et destructrices”
Et maintenant ?
Face à ce vent de contestation, en de nombreux points légitime, le SOPA, et son jumeau PIPA, sont menacés. Les reports de l’examen du texte dans les Assemblées témoignent d’un profond doute des parlementaires sur l’issue du projet. Jour après jour, de nouvelles firmes se positionnent contre le projet, et envisagent des actions sérieuses en guise de contestation. Les activistes d’anonymous ont même pris part au conflit en menaçant la firme Sony, dans l’hypothèse où celle ci décidait de supporter SOPA. Depuis, Sony, mais aussi Nintendo et Electronic Arts ont retiré leurs noms de la liste des soutiens… la réduisant ainsi à une peau de chagrin.
La reprise des travaux des Assemblées après la trêve des fêtes de fin d’année va finir par tuer l’indécision à ce sujet, soit par un retour en force, soit par l’abandon du projet, à l’approche des présidentiels de 2012. Il sera alors question pour les Américains, de placer la toute puissance de l’internet libre et ouvert en-dessus ou en-dessous des préoccupations louables de la propriété intellectuelle.
“Wait and see”
SOURCES :
- LEFEVRE T., SOPA, le super Hadopi from USA, franceinter.fr, mis en ligne le 30 décembre 2011 : http://www.franceinter.fr/blog-net-plus-ultra-sopa-le-super-hadopi-from-usa
- WOITIER C., Le net Américain vent debout contre une loi sur le piratage, lefigaro.fr, mis en ligne le 17 novembre 2011 : http://www.lefigaro.fr/hightech/2011/11/17/01007-20111117ARTFIG00597-le-net-americain-vent-debout-contre-une-loi-sur-le-piratage.php
- Traduction de la lettre ouverte des pères de l’internet, pcimpact.com, mis en ligne le 16 décembre 2011 : http://www.pcinpact.com/news/67704-sopa-pipa-internet-ouvert-eff.htm
- Sopa – Tout le monde est concerné, openskill.lu, mis en ligne le 24 décembre 2011 : http://www.openskill.lu/ensopa-concernedfrsopa-tout-monde-est-concern/