Le premier réflexe des professionnels de l’art lorsqu’ils ont entre les mains une toile de maître ou un objet de collection est de consulter la cote de l’artiste et pour cela le site Artprice est la référence. Ce site crée en 1987 par un passionné de l’art Thierry Ehrmann, se présente comme : « le leader mondial de l’information sur le marché de l’art ». Artprice liste les détails de millions d’adjudications, les collectionneurs le consultent pour savoir où et quand une œuvre est mis en vente. Artprice est donc une mine d’or d’informations pour tout féru d’art.
Le 1 janvier 2012 Artprice publie sur son site une annonce qui risque de bousculer grandement le marché de l’art actuel : « Artprice lance ses enchères en ligne ».
Or, en France le régime des ventes aux enchères est strictement réglementé et chapoté par une autorité de régulation : le conseil des ventes. En réaction à l’annonce d’Artprice, le conseil assigne le 6 janvier 2012 le site, s’inquiétant de ce que les consommateurs soient induits en erreur quant à la nature de la nouvelle activité du site de cotation. Le conseil de se demander si le consommateur est à même de comprendre si Artprice organise des ventes aux enchères publiques ou du courtage par voie électronique.
Finalement nous apprend le site le point, le conseil des ventes a abandonné son intention de poursuite en référé estimant que le site Artprice s’était suffisamment plié à l’exercice de clarification quant à la nature de sa nouvelle activité.
Était-ce un prétexte pour freiner une évolution inéluctable ?
Dans un communiqué de presse en date du 11 janvier 2012 Artprice dément l’assignation en justice et précise sa position. Le site explique que dès les prémices de son annonce de projet de ventes en ligne, il était bel et bien qualifié d’opération de courtage, ne laissant ainsi planer aucun doute possible dans l’esprit des consommateurs. Le conseil s’était alors émoustillé, du simple fait qu’Artprice ait utilisé la notion de « ventes aux enchères » sur son site. Aussi, peut-on se demander si finalement le conseil des ventes ne tentait-il pas tout simplement de freiner des quatre fers l’évolution vers la dématérialisation des ventes d’art…Toutefois loin de vouloir persifler, l’essence même justifiant l’action du conseil était louable. Il s’agit du nécessaire distingo à effectuer entre courtage et ventes aux enchères publiques.
Courtage en ligne et vente aux enchères publiques : des régimes juridiques distincts
Les ventes aux enchères publiques en France répondent à un régime strict, il est notamment demander à ce que préalablement à leur déroulement, une déclaration au conseil des ventes soit effectuée. Lors des ventes aux enchères publiques un mandat est passé entre l’acheteur et le vendeur. Les professionnels des ventes aux enchères publiques, engagent leur responsabilité civile professionnelle sur l’authenticité des biens mis en vente. Responsabilité couverte par une assurance obligatoire. Dans les opérations de courtage, ce n’est pas le cas. Le courtier n’est nullement engagé contractuellement avec le vendeur, ce qui a un impact considérable en matière de responsabilité.
L’article 5 de la loi du 20 juillet 2011 relative à la libéralisation des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques modifie le code de commerce. Désormais l’article L321-3 du code précise que :« Les opérations de courtage aux enchères réalisées à distance par voie électronique se caractérisant par l’absence d’adjudication au mieux-disant des enchérisseurs et d’intervention d’un tiers dans la description du bien et la conclusion de la vente ne constituent pas des ventes aux enchères publiques ». Et Artprice répond en tout point à cette définition, puisque c’est le vendeur qui décrit lui-même son lot et décide de la fin des enchères.
La définition de la vente aux enchères publiques est posée également par le code de commerce. Pour qu’une vente soit qualifiée comme telle, un mandataire du propriétaire ou de son représentant doit proposer et adjuger le bien au mieux-disant après une mise en concurrence ouvert au public et transparente.
La distinction est cruciale entre les deux opérations, puisque la qualification de l’activité emporte l’application de régime juridique différent. Dans un jugement du Tribunal d’instance Saint-Jean-de-Maurienne en date du 6 août 2003, il est préciser que : « l’entreprise exploitant un site de courtage aux enchères n’étant qu’un intermédiaire technique entre acheteurs et vendeur, n’engage sa responsabilité que dans cette limite ». Alors que le commissaire priseur pourra engager sa responsabilité notamment en cas d’erreur d’authentification d’un lot.
Un bouleversement du marché de l’art
Le marché de l’art était jusque récemment, sous monopole des commissaires priseurs et de leurs salles des ventes physiques. Mais la profession a connu un bouleversement avec la réforme du 10 juillet 2000. Désormais les enchères publiques peuvent-être organisées par les commissaires-priseurs judiciaires soit par des sociétés de ventes volontaires. Cette réforme ouvre à la concurrence un secteur sous monopole depuis 1535. La réforme du 20 juillet 2011 vient élargir cette mise en concurrence et défini avec plus de précision l’activité de courtage en ligne. Dorénavant, le secteur des ventes n’est plus chasse gardé d’une profession élitiste. Artprice en profite pour tirer son épingle du jeu.
Il y a deux atouts forts promettant la réussite de la nouvelle activité d’Artprice. Ces atouts sont son carnet d’adresse et les taux pratiqués. Artprice, c’est un réseau d’un million trois-cent milles abonnés, aucune salle ne talonne ce chiffre. Quant aux taux en vigueur, comme le souligne le PDG d’Artprice pour le site tradinguat : « Alors que la marge d’intermédiation entre acheteurs et vendeurs sur le marché de l’art est aujourd’hui de 37,5%, le groupe va appliquer des taux de commission considérablement plus faible »,ainsi sera appliqué un « taux de 5% sur les œuvres de plus de 15000 $ ».
Succès assuré ?
Miró, Hirst, Jenkis… la liste des œuvres mises aux enchères n’a rien à envier à celles vendues par les grandes maisons de ventes physiques. Pourtant la réussite du projet de ventes en lignes reposera sur différents points.
Les salles des ventes physiques ont quelques atouts dans leurs poches qui expliquent qu’elles n’aient pas moufté outre mesure à l’annonce d’Artprice. Une relation de confiance s’instaure en effet entre le vendeur et le mandataire, ce dernier pouvant voir sa responsabilité engagée.
Une question cruciale également compte tenue de la nature des biens mis en vente, est la question de l’authentification de l’œuvre. Artprice cherche à rassurer les acheteurs potentiels, en précisant sa relation étroite avec Interpol qui liste les œuvres d’arts volés. Mais qu’en est-il des contrefaçons, qui ont le sait, sont fleurissantes dans le secteur de l’art. Les salles des ventes physiques proposent une expertise permettant d’écarter les risques de ventes de ces contrefaçons. Mais dans les opérations de vente par courtage en ligne, c’est le vendeur qui décrit lui-même le lot, Artprice n’a pas mot dire sur ce point.
De surcroît le site a recours à un tiers de confiance pour le paiement du prix de la vente : Escrow, et son service n’est pas gratuit. Alors si Arprice peut se targuer d’appliquer des taux bien plus faibles que ceux pratiqués par les salles des ventes physiques, c’est sans compter le prix retenu par cet intermédiaire. Autre point à soulever sur la question financière, on peut craindre que les acheteurs soient frileux d’investir des sommes aussi colossales via internet.
Mais force est de constater que pour le moment, ouverture à la bourse compris, tout sourit à Artprice. Les résultats des premières ventes nous prouveront si une fois de plus Ehrmann et son équipe ont visé juste.
SOURCES :
Communiqués de presse d’Artprice
Communiqués de presse du conseil des ventes
Bellet H. ( avec AFP ), « Malgré une assignation en référé, Artprice maintient son ouverture de vente en ligne », mis en ligne le 11 janvier 2012, consulté le 15 janvier 2012, http://www.lemonde.fr/culture/article/2012/01/11/malgre-une-assignation-en-refere-artprice-maintient-son-ouverture-de-ventes-en-ligne_1628320_3246.html
« ARTPRICE COM : une cote au plus haut », mis en ligne le 11 janvier 2012, consulté le 14 janvier 2012, http://www.investir.fr/infos-conseils-boursiers/infos-conseils-valeurs/avis-experts/une-cote-au-plus-haut-399832.php
« Arprice Com : Thierry Ehrmann enthousiaste pour l’ouverture des enchères en ligne », mis en ligne le 9 janvier 2012, consulté le 12 janvier 2012, http://www.tradingsat.com/actu-bourse-212712-PRC.html?google_editors_picks=true
AFP, « Artprice lance son service de vente en ligne d’oeuvres d’art » mis en ligne le 17 janvier 2012, consulté le 18 janvier 2012, http://www.lepoint.fr/culture/artprice-lance-son-service-de-vente-en-ligne-d-oeuvres-d-art-17-01-2012-1420355_3.php