L’année 2011 s’est finie comme elle a commencé : par un investissement du Qatar. Fin décembre, Qatar holding est devenu l’actionnaire numéro 1 du conglomérat français de médias : Lagardère SCA. L’émirat semble ainsi vouloir poursuivre ses investissements dans l’Hexagone. Seulement les médias sont un domaine réglementé. Alors quelles sont les conséquences juridiques de cette opération financière ?
Lagardère SCA est un conglomérat français de médias, créé par Jean-Luc Lagardère, en 1992. Arnaud Lagardère, fils du fondateur, en est l’actuel gérant. La société est spécialisée dans quatre secteurs : l’édition (Lagardère publishing), les médias (Lagardère active), la distribution et la vente (Lagardère services) et, le sport et le divertissement (Lagardère unlimited). La branche média est notamment numéro un, dans la presse magazine. Elle représentait 23% du chiffre d’affaire de la société, en 2010 et constituait à ce titre, le troisième pôle d’activité du groupe. En novembre 2011, son président directeur général, Didier Quillot, a été remplacé par Denis Olivennes.
La manière, dont le conglomérat est géré, est sujet à débats, depuis plusieurs années. Les stratégies d’Arnaud Lagardère sont ainsi montrées du doigt, dans la baisse de la valeur du titre de la société. Depuis le 1er janvier 2011, il a perdu un tiers de sa valeur et, les deux tiers depuis 2005. En 2010, le chiffre d’affaire du groupe a accusé une perte de 74 millions d’euros, par rapport à 2009. Ces choix de gestion, quels sont-ils ? Par exemple, la décision de donner une part plus importante au sport. Pour le moment, le groupe a dû revoir ses prévisions budgétaires à la baisse. Ou encore, la décision de céder l’ensemble des titres internationaux (exception faite de Elle), au groupe américain Hearst (Cosmpolitain, Esquire, etc.), pour 651 millions d’euros. Des critiques qui ont notamment, mené Guy Wyser-Pratte, au printemps 2010, à tenter de modifier la forme de la société. La forme de la société en commandite par action (SCA) apporte une sécurité au gérant, même s’il est actionnaire minoritaire. Et donc, favorise Arnaud Lagardère (9,62% du capital social et 14% des droits de vote). Il n’est pas parvenu à ses fins et, M. Lagardère, qui a été reconduit dans ses fonctions, est à l’heure actuelle, sûr de continuer de diriger le groupe jusqu’en mars 2015.
2011, l’année du Qatar
Fin décembre 2011, un nouveau rebondissement vient secouer la saga Lagardère. Qatar holding, déjà détenteur de 7,58% du capital social de la société, décide d’augmenter sa participation jusqu’à 10,1%. Qatar holding est une filiale du fond souverain de l’émirat du Qatar (Qatar investment authority). Cette opération vient conclure une année d’investissements particulièrement prolifique, de ce pays en France. Il est fort probable – même si ses motivations ne sont pas connues – que bien qu’investissant dans un conglomérat de médias, la holding ne soit pas vraiment intéressée par eux. Deux pistes sont évoquées : le sport et EADS. En effet, après avoir fait l’acquisition d’une partie des droits de diffusion de la L1 ; des droits de retransmission de la majorité des matchs de l’UEFA Champions League, en France ; après avoir racheté le PSG et tenté celui d’Infront (2nd négociant au monde de droits sportifs), le Qatar chercherait, peut-être, à renforcer sa position, auprès du n°3 mondial dans les droits sportifs, Lagardère Unlimited. Ou bien, poursuit-il son ambition de détenir une partie du capital de la société de défense, EADS. Sans y parvenir, il a essayé de racheter la moitié des 15%, détenus par Daimler. Or, EADS est co-contrôlé par Lagardère, qui détient 7,5% de son capital social. Et, Arnaud Lagardère devrait prendre la présidence de son conseil d’administration, en mai 2012.
Pour autant, une participation étrangère n’est pas neutre dans le domaine des médias. Quelles sont les conséquences juridiques de l’augmentation de la participation, de Qatar holding, au capital social de Lagardère SCA ?
Participation étrangère et indépendance des médias
– Lagardère Active, c’est d’abord des titres comme Elle, Le Journal du Dimanche, Première, Psychologie magazine ou Télé 7 jours. L’article 7 de la loi n°86-897 du 1er août 1986 limite les participations étrangères, dans une entreprise éditrice d’une publication, en langue française. Ainsi, la part totale du capital social détenue, directement ou indirectement, par des étrangers, ne peut excéder 20%. Sont toutefois exemptés du respect de cette règle, les pays ayant conclu des « engagements internationaux (…) comportant soit une clause d’assimilation au national, soit une clause de réciprocité dans le domaine de la presse ». Cette exception concerne notamment les ressortissants de l’Union Européenne (Rép. Min. à QE n°36282, 8 février 1988). Quel était le pourcentage des participations étrangères au capital social, avant décembre 2011? 63,38% du capital social de Lagardère SCA était détenu par des « investisseurs institutionnels étrangers ». Sous ce terme générique sont semble-t-il désignés des entités, qui pour certaines, bénéficient de l’exception (sinon l’entreprise serait dans l’illégalité). Seulement, il est difficile de déterminer quel pourcentage, avec précision. Donc on ne peut que supposer, que le seuil de 20% n’ait pas été dépassé par la transaction de Qatar holding. On peut également s’interroger sur la légalité de l’opération au regard de l’article 8 de la même loi, qui pose l’interdiction de percevoir des fonds d’un gouvernement étranger. En effet, Qatar Holding est une filiale du fond souverain de l’émirat du Qatar. Le non respect de ces dispositions est sanctionné par un an d’emprisonnement et/ou 30 000 euros d’amende (Loi 1er août 1986, art. 12 2e et art. 12 3e).
– Lagardère Active, c’est ensuite des chaînes de télévision et des stations de radio, comme Gulli, Canal J, June, Europe 1, RFM ou encore, Virgin radio. L’article 40 de la loi n°86-1067 du 30 septembre 1986 modifiée reprend à son compte le principe, évoqué plus avant, de l’article 7 de la loi n°86-897, pour les services diffusés par voie hertzienne terrestre. Sont exclus de son champ d’application « les éditeurs de services dont le capital et les droits de vote sont détenus à hauteur de 80% au moins par des radiodiffuseurs public appartenant à des Etats du Conseil de l’Europe et dont la part du capital et des droits de vote détenue » par une société nationale de programme « est au moins égale à 20% ». Qatar holding n’est bien évidemment pas concerné par ces dérogations. Lagardère SCA est donc soumis, à double titre, à cette règle de limitation de la participation étrangère.
Qatar holding a déclaré, dans une lettre d’intention publiée par l’AMF (Autorité des marchés financiers), vouloir augmenter à nouveau sa participation au capital social de Lagardère SCA.
Sources :
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ZONEBOURSE.COM, « LAGARDERE S.C.A. : Déclaration du nombre total des droits de vote et du nombre d’actions », le 5 janvier 2012, consulté le 17 janvier 2012, url : http://www.zonebourse.com/LAGARDERE-S-C-A-4668/actualite/LAGARDERE-S-C-A-Declaration-du-nombre-total-des-droits-de-vote-et-du-nombre-d-actions-13957814/
REDACTION DE INAGLOBAL, « Focus sur Lagardère SCA », le 27 avril 2011, consulté le 15 janvier 2011, url : http://www.inaglobal.fr/edition/article-statistique/focus-sur-lagardere-sca?tq=5
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M-A ROCCO, « Le Qatar souhaite-t-il prendre le contrôle de Lagardère ? », le 30 décembre 2012, consulté le 15 janvier 2012, url : http://www.challenges.fr/entreprise/20111229.CHA8662/le-qatar-souhaite-t-il-prendre-le-controle-de-lagardere.html
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