Fin décembre, c’était au tour des membres du Sénat de se prononcer sur le projet de loi Consommation, un texte qui fait la lumière sur l’utilisation des expressions « internet » et « illimité » dans les offres de téléphonie mobile. Plus cohérents que leurs homologues de l’Assemblée nationale, les sénateurs sont revenus sur ce regrettable abus de langage.
« Illimité (adj.) : Qui n’a point de limites »
Le Dictionnaire de l’Académie française est formel. Accoler cet épithète à un nom exprime la démesure, l’incommensurabilité, l’infinité. À titre d’exemple, une superficie ainsi qualifiée ne connaîtra aucune espèce de finition, aucune limite appréciable, aucune unité de mesure. L’esprit humain l’imaginera comme quelque chose d’indéfini, d’indéterminé, d’indiscernable.
Cette succincte étude linguistique, dont la finesse du raisonnement ne ferait pas bondir un grammairien au plafond, démontre que le terme ne souffre d’aucune ambiguïté dans le vocabulaire courant. Il en va diversement du jargon commercial, très abscons, quasi ésotérique. Est-ce à ce point étonnant que les abonnements téléphoniques soi-disant illimités arborent leur lot d’astérisques et de lignes écrites en petits caractères contant par le menu les conditions évidemment restreintes d’utilisation du service ? La société mercantile a habitué de longue date le chaland à ce genre d’entourloupes. Résigné, celui-ci fait contre mauvaise fortune bon cœur, sans être dupe pour autant.
Reste qu’une gestion de la relation avec les clients n’est ni saine ni durable si les acheteurs ont le sentiment d’être mené en bateau. Le projet de loi renforçant les droits, la protection et l’information des consommateurs tente le grand écart pour rétablir la confiance chez l’abonné sans chambouler en profondeur le marché.
L’illimité bien limité
À l’issue des débats parlementaires, un article L.121-84-15 devrait faire son apparition dans le Code de commerce et clarifier la situation autour de la discutable formule. Le brouillon du Gouvernement ne varia pas d’un iota lors de son examen par la chambre basse. Il prévoyait, en substance, que les limites à l’illimité seraient mentionnées sur les messages publicitaires, sur la même page que la mention principale, à proximité de cette dernière. La chambre haute a ensuite doublé le dispositif informatif d’une prohibition pure et simple d’employer le mot « illimité » dans l’hypothèse où la limitation se traduirait par une coupure temporaire, une facturation supplémentaire des services ou une dégradation excessive des débits ou de la qualité de service. Par rapport à sa mouture initiale, le texte gagne en fermeté et empêche les opérateurs d’insérer n’importe quel type de restrictions.
D’aucuns ont fait remarquer que les corrections enchâssées par les sénateurs n’étaient que la reprise d’accords fraîchement signés sous l’égide du Conseil national de la consommation, accords auxquels les opérateurs avaient d’ailleurs souscrit volontiers. À partir de cette donnée, la pertinence de l’intervention législative prête certes à controverse, mais cette réaction traduit un léger embarras.
En lisant entre les lignes du document, il y a de sérieuses raisons de croire que des offres illimitées débridées n’aient jamais été envisagées sous cette forme. Elles seraient en l’état intenables techniquement et suicidaires commercialement. La montée en charge du trafic nuirait au bon fonctionnement du réseau voire endommagerait l’infrastructure ; les détournements à l’image de la revente illégale de minutes de communication porteraient un préjudice grave aux acteurs en place ; les solutions destinées aux professionnels perdraient leur intérêt. Alors que lancer de tels forfaits paraît infaisable et inopportun, ces derniers sont proposés à la vente sous une appellation dont ils ne justifient pas les attributs. C’est en vue de maximiser l’impact publicitaire que cette bizarrerie fut approuvée. Parce que la téléphonie mobile en France se renouvelle à la vitesse d’un escargot, la pilule passe.
Les abonnements illimités sont donc une supercherie et confinent à la déloyauté. La limpidité est sacrifiée sur l’autel de la communication. Les sénateurs ont bien sûr réduit la marge de manœuvre des bonimenteurs. Il eut été préférable de proscrire de manière définitive cette inexactitude. Malheureusement, ces propositions commerciales sont durablement ancrées dans le paysage.
L’internet pas net
En sus des limitations quantitatives s’ajoutent des limitations qualitatives. Les ordiphones ont grandement perfectionné l’accès à l’internet depuis un terminal de poche, loin du grossier protocole WAP (Wireless Application Protocol) et de l’élémentaire portail i-mode. Naviguer sur la Toile sur son téléphone, sa tablette est enfin confortable. Toutefois, l’internet mobile à cents lieues de ressembler à l’internet fixe.
La plupart des gens assimilent l’internet et le World Wide Web (la « toile – d’araignée – mondiale »). Or le Web, à l’instar du courrier électronique, de la messagerie instantanée et de Usenet, n’est qu’une des applications de l’internet. Le net est, en réalité, un système mondial d’interconnexion de réseaux informatiques, utilisant un ensemble standardisé de protocoles de transferts de données. Il faut se représenter le « réseau des réseaux » comme un ensemble de couches qui s’appuient chacune sur un protocole de communication pour s’échanger des informations. Pas un protocole ne doit être privilégié par rapport à un autre, sous peine de transgresser le principe de neutralité du réseau. La richesse de l’internet provient de son « architecture logique », ouverte et non-propriétaire. C’est ainsi qu’une myriade de moyens innovants satisfait la diversité de besoins croissants.
L’internet mobile se situe aux antipodes de cette philosophie. Les opérateurs filtrent sans vergogne les protocoles (voix sur IP (Voice over IP)…), interdisant par-là un paquet d’utilisations. De surcroît, ils n’incorporent que la composante navigation dans la majorité des cas et facturent au mieux des services habituellement gratuits (groupes de nouvelles (newsgroups)…). Pour couronner le tout, la pratique du fair use (usage loyal) circonscrit maints emplois (streaming…). L’insuffisance des ressources matérielles conduit à nouveau à énoncer une contrevérité au client ; l’amalgame décrit précédemment est délibérément entretenu. Cette posture s’est assouplie avec l’arrivée de Free Mobile. Naguère, des ajustements ont été observés.
La version du projet de loi votée par le Sénat exclut que l’accès à l’internet soit assorti de limitation de l’usage d’un ou plusieurs services ou applications accessibles via l’internet, selon les conditions définies par l’ARCEP. Cette approche est préférable à la pirouette de l’accord, qui bannissait la locution « internet illimité » si certains usages étaient interdits ou facturés à part, mais autorisait de parler tout de même d’ « internet » dans ces conditions. Le législateur a heureusement remis les pendules à l’heure.
SOURCES :
DEWAVRIN Jean-Dimitri, C’est quoi le Fair Use dans l’internet mobile, mis en ligne le 06 mars 2009, consulté le 31 janvier 2012, disponible sur http://goopple.fr/2009/misc/goopple-adventure/cest-quoi-le-fair-use-dans-linternet-mobile/
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Libertés Numériques, Qu’est-ce qu’Internet ? par Benjamin Bayart, consulté le 31 janvier 2012, disponible sur http://www.libertesnumeriques.net/evenements/bayart-internet-sciencespo
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REES Marc, Au Sénat, Frédéric Lefebvre réexplique les limites de l’illimité, mis en ligne le 07 décembre 2011, consulté le 06 janvier 2012, disponible sur http://www.pcinpact.com/news/67150-senat-illimite-limite-frederic-lefebvre.htm
REES Marc, Les sénateurs définissent des limites interdites au terme illimité, mis en ligne le 27 décembre 2011, consulté le 27 décembre 2011, disponible sur http://www.pcinpact.com/news/67909-illimite-internet-protection-consommateur-lefebvre.htm
Wikipédia, Accès mobile à Internet, consulté le 31 janvier 2012, disponible sur http://fr.wikipedia.org/wiki/Internet_mobile
Wikipédia, i-mode, consulté le 17 janvier 2012, disponible sur http://fr.wikipedia.org/wiki/I-mode
Wikipédia, Internet, consulté le 31 janvier 2012, disponible sur http://fr.wikipedia.org/wiki/Internet
Wikipédia, Suite des protocoles Internet, consulté le 31 janvier 2012, disponible sur http://fr.wikipedia.org/wiki/Suite_des_protocoles_Internet