« Un livre indisponible, c’est un pan de mémoire qui tombe, c’est une parcelle de patrimoine qui s’efface, c’est aussi une œuvre artistique qui s’oublie elle-même ». Frédéric Mitterrand.
Après l’adoption en décembre dernier d’une loi relative aux œuvres orphelines, c’est au tour des œuvres indisponibles d’être sur le devant de la scène législative. En effet, ce 22 février, le Parlement a promulgué une loi relative à l’exploitation numérique des livres indisponibles du XXème siècle. Une œuvre indisponible, qu’est-ce donc ? Depuis des années déjà, je m’évertue à trouver dans les librairies « Le mythe du Dandy » de Carassus en vain, alors j’ai pensé immédiatement à cet exemple pour illustrer mon propos. Mais il est plus sûr de se retourner vers la lettre de la loi, pour en avoir une définition arrêtée. La proposition de loi du 13 février 2012 en retient la définition suivante, c’est : « (…) un livre publié en France avant le 1er janvier 2001 qui ne fait plus l’objet d’une diffusion commerciale par un éditeur et qui ne fait pas actuellement l’objet d’une publication sous une forme imprimée ou numérique. ».
Le but de la manœuvre est de faire ressurgir tel le phœnix qui renait de ses cendres, des œuvres tombés dans l’oubli commercial. Au nom du combat légitime et honorable de l’accès à la culture et au savoir, la loi fait couler beaucoup d’encre face aux irritations aux droits d’auteurs qu’elle présente.
Les tenants de la loi
La loi complète l’accord-cadre, conclu le 1er février 2011, entre différents acteurs de haut rang. Sont partis à l’accord : le ministre de la culture, la Bibliothèque Nationale de France (BnF), le commissariat général à l’investissement du gouvernement ainsi que la Société des Gens de Lettres. Le projet est colossal, selon le Ministre de la culture et de la communication, il tend à confier à la BnF, la numérisation de 500 à 700 mille titres. Préalablement à la numérisation en masse, le site de la « gazette des communes », nous apprend que la loi prévoit la création d’une banque de données. Cette mission de référencement a été confiée à la Bnf. Les éditeurs auront six mois pour manifester leur opposition à la numérisation et voir ainsi retirer leur œuvre du répertoire. Le XXème siècle a été prolifique en production d’ouvrages, mais le manque de commercialisation de certains d’entre eux a eu pour conséquence de les entrainer dans la trouble zone grise. La zone grise, zone de perturbation juridique. Il s’agit de la situation dans laquelle les ouvrages ne sont plus édités mais ne sont pas non plus tombés dans le domaine public. La gestion de l’entreprise, serai assurée par une société de perception et de répartition des droits, qui assurerait de façon paritaire une rémunération entre l’auteur et l’éditeur. Le site « envie d’écrire », nous informe que les éditeurs disposent de six mois pour se manifester auprès de cette société de perception. Passé ce délai c’est la société qui bénéficiera des revenus.
La genèse de l’adoption
Le site de « l’Express » revient sur les prémices de cette loi, l’exemple à ne pas suivre vient des États-Unis. En 2008 Google annonce sa volonté de conclure un accord avec la Guilde des Auteurs et l’Association des Éditeurs américains. Google entendait s’octroyer le droit de numériser des œuvres, à moins que des ayant-droits ne viennent s’y opposer. Le système a été jugé par le juge américain responsable du dossier, ni : « équitable, adéquat ou raisonnable ».
Afin d’éviter la réitération de cette opposition en France, le 21 octobre 2011, Jacques Legendre, sénateur, dépose un projet de loi relatif à l’exploitation numériques des œuvres indisponibles. L’exposé des motifs fait état de la difficulté sous-tendue par cette proposition. Force d’ouvrages du XXème siècle n’ont pas été réédité, faute de rentabilité. La numérisation semble alors la seule voie possible afin de réaccéder à ces œuvres, problème : « elle n’est juridiquement pas possible, car la titularité des droits numériques est incertaine ». L’explication de cette difficulté vient tout simplement du fait que l’exploitation numérique des œuvres, n’est prévue dans les contrats d’éditions que depuis la fin du XXème siècle. Éditer une œuvre sans l’accord de l’ayant-droit revient à une contrefaçon, alors pour contourner les difficultés, le 22 février dernier, la loi fût promulguée. Le site « Labs Hadopi » précise que : « La loi prévoit de substituer à la nécessaire autorisation des ayants droit de milliers d’œuvres qui ont cessé d’être exploitées, l’exploitation collective des œuvres devenues indisponibles via un procédé de numérisation des œuvres dont l’exploitation sera assurée par une société de gestion collective ». Ce qui aux yeux du droit d’auteur, est légitimement critiquable. Rappelons juste au passage, que le Code de la propriété intellectuelle prévoit qu’en principe l’auteur bénéficie durant toute sa vie du droit exclusif d’exploiter son œuvre sous toute forme.
Les réfractaires à la loi
Les réfractaires sont nombreux tant la titularité des droit numériques reste floue. En outre, le manque de consultation des auteurs concernés est un argument qui fait mouche, alors certains d’entre eux sont montés au créneau afin de décrier l’adoption de la loi. L’auteur Yal Ayerdhal a sorti sa plume la plus acérée pour critiquer cette loi qu’il juge comme instituant « une forme de piratage officiel en contraignant les auteurs à s’informer eux-mêmes sur l’éventuelle publication de leurs œuvres en numérique, ce qu’ils ne sont pas toujours en mesure de faire ». Ces propos forts ont été tenu le 23 février dernier au micro de France Inter, nous rapporte le site « livre hebdo ». Aussi, une pétition intitulée « Le droit d’auteur doit rester inaliénable », tourne actuellement sur la toile. Le site du « Monde », rapporte les propos tenus par les signataires de la pétition : « Il nous apparaît que ce texte ne répond pas à l’objectif affiché de concilier la protection des auteurs et l’accès de tous aux ouvrages considérés comme introuvables ». La seule solution pour sortir de cet imbroglio juridique, serait selon eux, d’entamer une relecture de tous les contrats d’édition des œuvres concernées par cette numérisation.
Donner un second souffle à un ouvrage, grâce au numérique, est une réelle chance. Reste à ce que l’équilibre entre les intérêts des différents protagonistes soit trouvé, afin d’apaiser la situation.
SOURCES :
Journet A., « Les livres épuisés du XXe siècle sur internet d’ici 5 ans », mis en ligne 2 février 2011, consulté le 26 février 2012, http://www.lexpress.fr/culture/livre/les-livres-epuises-du-xxe-siecle-sur-internet-d-ici-5-ans_958052.html
Gary N., « Gaymard offre un cadre juridique sécurisé pour les œuvres indisponibles », mis en ligne le 24 octobre 2011, consulté le 24 février 2012, http://www.actualitte.com/actualite/lecture-numerique/legislation/gaymard-offre-un-cadre-juridique-securise-pour-les-oeuvres-indisponibles-29301.htm
Gary N., « Exclusif : L’accord-cadre sur la numérisation des œuvres indisponibles », mis en ligne le 23 février 2012, consulté le 25 février 2012, http://www.actualitte.com/actualite/monde-edition/societe/exclusif-l-accord-cadre-sur-la-numerisation-des-oeuvres-indisponibles-32264.htm
Jrs et AFP, « La loi sur les indisponibles est définitivement votée », mis en ligne le 23 février 2012, consulté le 25 février 2012, http://www.livreshebdo.fr/actualites/politique-du-livre/actualites/la-loi-sur-les-indisponibles-est-definitivement-votee/8152.aspx
Girard H., « Les bibliothèques autorisées à diffuser sous forme numérique les livres du XXème siècle indisponibles dans les librairies », mis en ligne le 23 février 2012, consulté le 24 février 2012, http://www.lagazettedescommunes.com/102493/les-bibliotheques-autorisees-a-diffuser-sous-forme-numerique-les-livres-du-xxeme-siecle-indisponibles-dans-les-librairies/
Sbalchiero G., « Cinq choses à savoir sur la numérisation des œuvres indisponibles », mis en ligne le 23 février 2012, consulté le 24 février 2012, http://www.lexpress.fr/culture/livre/cinq-choses-a-savoir-sur-la-numerisation-des-oeuvres-indisponibles_1085347.html
A. B-M, « Pétition contre la numérisation des œuvres indisponibles », mis en ligne le 22 février 2012, consulté le 26 février 2012, http://www.lemonde.fr/web/recherche_breve/1,13-0,37-1183616,0.html
« Numérisation des œuvres indisponibles : quid du droit d’auteur », mis en ligne le 24 février 2012, consulté le 25 février 2012, http://www.enviedecrire.com/numerisation-des-oeuvres-indisponibles-quid-du-droit-dauteur/
Compte rendu des débats du 22 février 2012 : http://www.assemblee-nationale.fr/13/cri/2011-2012/20120136.asp#P627_115489
Proposition de loi présentée par Legendre J. le 21 octobre 2011 : http://www.senat.fr/leg/ppl11-054.html
Pétition : « Le droit d’auteur doit rester inaliénable » : http://www.petitionpublique.fr/?pi=P2012N21047