Le 6 février dernier les dirigeants de neuf radios et chaînes de télévision ont demandé, dans une lettre ouverte au Conseil constitutionnel, l’assouplissement de la règle relative à l’égalité du temps de parole des candidats à l’élection présidentielle, applicable entre le 20 mars et le 9 avril dans les médias audiovisuels. Cette initiative a été soutenue par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) lors du passage télévisé de Christine Kelly sur le plateau du Grand Journal.
Plusieurs médias audiovisuels contestent les règles relatives au traitement de l’information pendant l’élection présidentielle qui leur sont imposées par le CSA. En l’espèce, elles ne sont pas toutes remises en cause. Comme l’a soulignée Christine Kelly, l’absence de règles n’est pas envisagée. Celles-ci permettent à tous les candidats d’accéder à l’antenne. Cet accès est nécessaire dans une société démocratique et plurale. Néanmoins, les demandeurs sollicitent l’assouplissement de certaines obligations.
Le CSA, conformément à l’article 16 de la loi du 30 septembre 1986 modifiée, adresse des recommandations aux chaînes de télévision et aux radios pour encadrer le traitement de l’actualité à l’approche de l’élection présidentielle et garantir le pluralisme. Dans sa recommandation du 7 novembre 2006 le CSA a pour la première fois découpé l’élection présidentielle en trois temps, appliquant des règles différentes à chaque période. Ce découpage a été repris pour l’élection de 2012. La première période dégagée, comprise entre le 1er janvier et le 20 mars, impose aux médias audiovisuels de respecter une équité du temps de parole et du temps d’antenne pour les candidats déclarés ou présumés. Pour comprendre concrètement ce que cette obligation implique, il est nécessaire de définir certaines notions. Le temps d’antenne s’entend comme l’ensemble des éléments éditoriaux consacré à un candidat et à ses soutiens. Il s’agit généralement de reportages. Le temps de parole correspond aux interventions à proprement parler des candidats ou de leurs soutiens. L’équité appliquée à ces deux notions permet à un candidat d’accéder à l’antenne proportionnellement à sa représentativité, notamment aux dernières élections, et à la démonstration de son intention d’être en campagne. A cette phase succède une période dite intermédiaire. Elle s’étend du 20 mars au 9 avril et commence donc cinq semaines avant le premier tour de l’élection. Elle se déclenche, en principe, après la publication par le Conseil constitutionnel de la liste officielle des candidats déclarés. Il s’agit de ceux ayant obtenu leurs signatures. Cette période impose une égalité simple du temps de parole et une équité du temps d’antenne. Un dernier temps commence au 9 avril. Il suppose une égalité stricte du temps de parole et du temps d’antenne entre les candidats qui doivent s’exprimer dans les mêmes conditions. En l’espèce, c’est l’égalité du temps de parole imposée pendant la période intermédiaire qui n’existait pas avant l’élection de 2007 qui semble poser des difficultés aux chaînes. Elle leur impose d’accorder à tous les candidats le même temps de parole, à la minute près, même si les candidats n’ont pas à s’exprimer dans des conditions similaires.
Pourquoi la création de cette période intermédiaire a-t-elle été nécessaire ? Dans son rapport sur l’élection de 2002 le CSA avait demandé que soit établi plus tôt la liste officielle des candidats. En effet, leur nombre important constituait une contrainte pour les médias. Il était nécessaire d’établir rapidement la liste de candidats éligibles et d’éliminer les candidatures fantaisistes. Cette période a été validée par le Conseil constitutionnel dans une observation du 7 novembre 2002. La loi du 6 novembre 1962 relative à l’élection de Président de la République a donc été modifiée ainsi que son décret d’application en date du 8 mars 2001, permettant d’avancer la date de publication officielle de la liste des candidats par le Conseil constitutionnel au 20 mars au lieu du 6 avril, date devenue aujourd’hui la dernière échéance pour la publication. Ainsi, pour l’élection de 2007 a été insérée la période intermédiaire qui se réduisait auparavant à 48 heures et qui était négligeable aux yeux du Conseil constitutionnel. L’objectif de cette période est de prendre en compte l’officialisation de la liste des candidats et de garantir une égalité de traitement entre eux tout en permettant aux chaînes de faciliter la couverture médiatique de la campagne. En pratique, elle a eu un effet inverse. Pourtant l’article 15 du décret du 8 mars 2001 modifié n’impose l’égalité du temps de parole des candidats qu’à partir des 15 jours précédant le premier tour de l’élection présidentielle.
Dans son rapport sur l’élection de 2007 le CSA a donc souligné que cette période intermédiaire devait être supprimée. Selon le Conseil, elle a complexifié les règles déjà contraignantes imposées aux chaînes. Le CSA n’est d’ailleurs pas le seul à avoir souligné la nécessaire remise en cause de cette période. La Commission nationale de contrôle de la campagne pour l’élection présidentielle a estimé que l’égalité du temps de parole préconisé pendant la période intermédiaire provoque une surexposition médiatique de courants politiques parfois proches qui ne représentent qu’une part infime du corps électoral. De plus, l’égalité du temps de parole ne permet pas aux chaînes d’organiser des débats entre les candidats ayant une réelle possibilité d’accéder au second tour.
Ce sont les deux arguments qui ont été repris par les médias audiovisuels dans la lettre au Conseil constitutionnel. Ils soutiennent que la règle de l’égalité du temps de parole les contraint à modifier les programmations. Selon eux, cette règle est obsolète parce qu’elle ne s’applique pas à la presse et surtout à internet. Ils demandent donc à ce que la période d’égalité soit réduite au minimum et commence 15 jours avant le premier tour de l’élection. L’équité qui permet aux médias audiovisuels de respecter le principe de pluralisme et le poids respectifs des candidats, serait donc applicable pendant le temps restant. Certains s’opposent toutefois à cette révision. Ils estiment, en effet, qu’il est difficile de mesurer l’importance d’un candidat surtout en se fondant sur des sondages qui ont plusieurs fois démontré qu’ils étaient assez éloignés de la réalité.
Le CSA a demandé la suppression de la période intermédiaire au Conseil constitutionnel qui n’a pas donné suite. En effet, celui-ci estime que lorsque les candidats ont obtenu leurs parrainages, ils doivent être traités de manière égale. Pourtant le Conseil constitutionnel a lui-même admis dans son avis sur la recommandation du CSA de 2006 que l’égalité arithmétique du temps de parole pouvait constituer une contrainte pour les médias audiovisuels. Pour l’instant la lettre adressée au Conseil est restée lettre morte.
Sources :
AFP, « Egalité du temps de parole entre candidats: casse-tête pour radios et TV », L’Express, mis en ligne le 18 février 2012, consulté le 18 février 2012, http://www.lexpress.fr/actualites/1/economie/egalite-du-temps-de-parole-entre-candidats-casse-tete-pour-radios-et-tv_1084010.html
BARBIER (Ch.), « Egalité du temps de parole: ce que parler veut dire… », L’Express, mis en ligne le 13 février 2012, consulté le 15 février 2012, http://www.lexpress.fr/actualite/politique/egalite-du-temps-de-parole-ce-que-parler-veut-dire_1081746.html
LEMONDE.FR avec AFP, « Temps de parole : TV et radios se plaignent au Conseil constitutionnel », Le Monde, mis en ligne le 8 février 2012, consulté le 15 février 2012, http://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2012/article/2012/02/08/temps-de-parole-tv-et-radio-se-plaignent-au-conseil-constitutionnel_1640640_1471069.html#ens_id=1640642
MARTIN-SISTERON (R.), « Le CSA vous demande de vous arrêter », IREDIC, mis en ligne le 30 décembre 2011, consulté le 15 février 2012, https://iredic.fr/?p=7776
PSENNY (D.), « Neuf radios et télévisions contre la règle de « stricte égalité de temps de parole » », Le Monde, mis en ligne le 9 février 2012, consulté le 15 février 2012, http://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2012/article/2012/02/09/neuf-radios-et-televisions-contre-la-regle-de-stricte-egalite-de-temps-de-parole_1640696_1471069.html
ROCHAT (S.), « Temps de parole : le CSA se défausse sur le Conseil constitutionnel… et oublie sa part de responsabilité », Arrêt sur images, mis en ligne le 9 février 2012, consulté le 15 février 2012, http://www.arretsurimages.net/contenu.php?id=4679
SECENAT (A.), « Faut-il changer les règles du CSA sur le temps de parole des candidats? », L’Express, mis en ligne le 13 février 2012, consulté le 15 février 2012, http://www.lexpress.fr/actualite/politique/faut-il-changer-les-regles-du-csa-sur-le-temps-de-parole-des-candidats_1081972.html
COMMISSION NATIONALE DE CONTRÔLE, Rapport établi par la Commission nationale de contrôle de la campagne pour l’élection présidentielle (scrutins des 22 avril et 6 mai 2007), 10 octobre 2007, consulté le 15 février 2012, http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/root/bank_mm/dossiers_thematiques/presidentielle_2007/observations_cnc.pdf
CONSEIL CONSTITUTIONNEL, Avis consultatif sur la recommandation du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) en vue de l’élection présidentielle, ainsi que sur le « guide d’application » de cette recommandation, 26 octobre 2006, consulté le 15 février 2012, http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/documentation/dossiers-thematiques/2007-election-presidentielle/recommandation-du-csa-sur-la-campagne-radiotelevisee.17463.html
CONSEIL CONSTITUTIONNEL, Observations du Conseil constitutionnel sur l’élection présidentielle des 21 avril et 5 mai 2002, 7 novembre 2002, consulté le 15 février 2012, http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/les-decisions/2002/observations-cc-presidentielle-2002/decision-observations-cc-presidentielle-2002-du-07-novembre-2002.679.html
CSA, Rapport sur la campagne présidentielle de 2007 bilan et propositions, novembre 2007, consulté le 15 février 2012, http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/root/bank_mm/dossiers_thematiques/presidentielle_2007/observations_csa.pdf
CSA, Recommandation du 7 novembre 2006 à l’ensemble des services de télévision et de radio en vue de l’élection présidentielle, 7 novembre 2006, consulté le 15 février 2012, http://www.csa.fr/Espace-juridique/Deliberations-et-recommandations-du-CSA/Recommandations-du-CSA-en-vue-de-consultations-electorales-ou-referendaires/Recommandation-du-7-novembre-2006-a-l-ensemble-des-services-de-television-et-de-radio-en-vue-de-l-election-presidentielle
Loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l’élection du Président de la République au suffrage universel
Loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication (Loi Léotard)
Décret n° 2001-213 du 8 mars 2001 portant application de la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l’élection du Président de la République au suffrage universel