Vous en doutiez ? Hadopi l’a fait.Tout vient à point à qui sait attendre, dit-on. Hadopi semble avoir pris au pied de la lettre cette célèbre maxime. En effet, deux ans après être apparue pour veiller à la protection des droits d’auteur sur Internet, et pour la diffusion des œuvres, la Haute Autorité montre son côté offensif. Police du Net, elle a récolté de ses démarches accrues de surveillance des dossiers d’internautes – accusés de téléchargement illégal – qu’elle va s’empresser de remettre au Parquet en vue de leur faire suspendre l’accès à internet. Cependant, cela va être l’occasion pour les concernés d’attaquer Hadopi sur le terrain juridique en contestant la validité juridique de sa riposte graduée.
Sans doute en vue de rehausser sa crédibilité et son image, et sans doute aussi pour prouver qu’elle pouvait intervenir même en temps de campagne électorale, la Commission de Protection des Droits (CPD) de l’Hadopi a rapidement diffusé l’information selon laquelle elle avait transféré au Parquet les premiers dossiers demandant une suspension de l’accès à internet des abonnés repérés trois fois d’affilées pour du téléchargement illégal.
Dans un premier temps, l’effet de la réponse graduée s’est fait ressentir à partir de mars 2010 de par la baisse de la fréquentation des réseaux peer-to-peer ainsi que des téléchargements illégaux ; et ce, via les premiers envois de lettres recommandées. Cependant, le tableau n’est pas aussi rose qu’il y paraît puisque si les internautes ont mis de côté les réseaux peer-to-peer, ils se sont rabattus sur d’autres moyens illégaux comme le téléchargement direct.
Aujourd’hui, sans l’ombre d’une hésitation, Hadopi a décidé de passer le flambeau à la justice pour les fraudeurs persistant. C’est sa première intervention, plus de deux ans après la promulgation de la loi. Le procureur de la République donnera le ton, c’est lui qui jugera utile ou non de transmettre le dossier au juge.
S’il s’avère qu’il y ait une poursuite, les internautes devront payer une amende de 1 500 euros avec une possible suspension d’accès à Internet d’une durée d’un mois. Qui plus est, selon la gravité des faits, l’internaute peut être poursuivi par le procureur sur le volet pénal au motif de la contrefaçon, dans ce cas présent les peines monteront à 300 000 euros d’amende et 3 ans de prison en particulier pour ceux qui auront avoué télécharger.
Toutefois, en cas de contestation judiciaire de l’internaute accusé de fraude, la riposte graduée d’Hadopi se révèle inéluctablement boiteuse et fragile, et est loin de faire le poids.
- Des PV d’infraction à l’authenticité précaire
Il semblerait que le mécanisme offensif de la Hadopi, ou riposte graduée, soit propice à s’écrouler tel un château de cartes.
TMG, société privée, établit quotidiennement une liste d’adresses IP, repérées de par leur manèges frauduleux avec partage d’œuvres piratées en prime, sur les réseaux P2P. Le mécanisme suivant cette quête est des plus factices qu’il soit : chaque adresse IP captée va être signée artificiellement par un « agent assermenté » des ayants droit. Ce PV constitue en réalité l’avertissement qu’Hadopi va envoyer aux prévenus, via les FAI.
Ce procédé a fait l’objet de nombreuses critiques, à juste titre, car il se permet de collecter les adresses IP des internautes alors qu’il ne dispose ni d’homologation, ni de la moindre certification. La CNIL a surenchéri en affirmant qu’il est “impossible que les agents assermentés vérifient les constatations une à une“, et que “le système ne prévoit pas de procédure particulière, par exemple par échantillonnage, pour qu’un agent puisse détecter des anomalies dans une session de collecte“.
Le fait qu’Hadopi ait toujours refusé de transmettre aux internautes repérés pour fraude le procès verbal de constatation d’infraction « réalisé sur la foi des relevés de TMG » montre bien une volonté significative de couvrir ses arrières et lui a permis de se protéger contre les attaques en nullité. En revanche, ce qu’Hadopi n’a pas prévu c’est que la transmission des dossiers au Parquet engendre l’ouverture d’une procédure pénale. Cette dernière donne deux types de droit au prévenu : le droit d’accéder au dossier complet et par extension aux PV d’infraction, ainsi que le droit d’en contester la validité.
Hadopi ne semble pas avoir le sens des réalités. Un PV ne vaut rien en l’absence d’homologation. Cette notion semble être le cadet de ses soucis puisqu’elle a affirmé gratuitement dans sa circulaire – s’adressant aux parquets – que « “les procès-verbaux dressés en application de l’article L.331-21-1 du code de la propriété intellectuelle font foi jusqu’à preuve contraire“. Or, une circulaire n’a aucune force législative, et dans le cas où l’accusation portée à l’encontre d’Hadopi concernerait l’absence absolue de vérification de l’authenticité et la véracité des PV qu’a décernée TMG, cet argument avancé demeurerait vide de sens et sans aucun fondement.
- Une validité des avertissements bancale
En outre, pour qu’il y ait constitution d’une « négligence caractérisée », deux avertissements doivent être reçus au préalable par l’internaute, dont l’un des deux par courrier recommandé. Si ces derniers sont annulés pour vice de forme, cela entraînera l’enclenchement de la procédure pénale pour exception d’illégalité.
Il est légitime que ledit internaute demande l’annulation des avertissements donnés par l’Hadopi compte tenu de son comportement illogique, incohérent et paradoxal.
Effectivement, la loi impose qu’e-mails et courriers recommandés de l’Hadopi doivent indiquer les moyens de sécurisation censés « prévenir les manquement à l’obligation de sécurisation ». C’est là où le bât blesse … Cette dernière a failli à cette injonction, puisqu’elle n’a pas encore labellisé “les moyens de sécurisation” en tenant compte de “leur conformité aux spécifications visées” et “leur efficacité“. Plus négligente et impudente que jamais, l’Hadopi a considéré qu’il n’était pas nécessaire de préciser quels étaient les fameux moyens de sécurisation. Le jugement d’un juge administratif pourrait a contrario remettre les points sur les « i » en appliquant strictement la loi, et l’Hadopi pourrait en conséquence rapidement déchanter.
- Une infraction de négligence caractérisée fictive
Le décret du 25 juin 2011 définit la négligence caractérisée « Constitue une négligence caractérisée, punie de l’amende prévue pour les contraventions de la cinquième classe, le fait, sans motif légitime, pour la personne titulaire d’un accès à des services de communication au public en ligne (…).
Cette dernière punit :
– « soit de ne pas avoir mis en place un moyen de sécurisation de l’accès à internet utilisé pour pirater »,
– « soit d’avoir manqué de diligence dans la mise en œuvre de ce moyen ».
Il convient tout d’abord de souligner que le traitement des dossiers litigieux est mis en œuvre selon la procédure simplifiée de l’ordonnance pénale : autrement dit, l’abonné n’est pas entendu pour sa défense. Une exception se met cependant en travers de la règle: le silence de l’abonné devant la Haute Autorité est un obstacle et empêche toute procédure simplifiée. Le sort de l’internaute accusé de fraude est entre ses mains : s’il décide de ne rien révéler devant la Haute Autorité, aucune preuve ne pourra être utilisée contre lui pour appuyer le fait que son accès internet n’était pas sécurisé ou qu’il a été sécurisé mais sans diligence. Explications.
L’internaute accusé est le seul à détenir les informations nécessaires. Cependant, il n’est pas du ressort de la Haute Autorité d’obliger ce dernier à fournir les renseignements qu’elle attend. Ainsi, il est loisible au prévenu de ne pas répondre aux questions le dérangeant, ou encore de ne pas aller aux convocations. Efficacité : mention zéro.
Qui plus est, il faut souligner que l’abonné aura toujours la possibilité de faire état de motifs légitimes pour stopper cette procédure, motifs que la justice appréciera.
En outre, si toutefois la procédure parvenait à se déclencher, la loi a mis en place un système selon lequel l’accusé a la possibilité de demander un débat contradictoire, et ce, dans un délai de 45 jours. Le Parquet veillera que « les éléments fournis (…) sont suffisants pour caractériser la contravention de négligence caractérisée à l’égard du titulaire de la ligne et pour assurer le caractère contradictoire de la procédure ».
A cela s’ajoute le fait qu’Hadopi se prend les pieds dans le tapis du fait qu’elle ne dispose pas suffisamment d’indices matériels tendant à prouver l’infraction. En effet, elle ne possède que les PV relevant via une adresse IP la présence d’une contrefaçon. Rien ne lui prouve a contrario l’absence de sécurisation de l’accès à internet ou le manque de diligence dans la sécurisation. Ce qu’il y a de remarquable dans l’absurdité du raisonnement est le fait qu’il est impossible d’un point de vue matériel de prouver la présence d’une sécurisation effective de l’accès à internet au moment où lesdites contrefaçons ont été constatées. Autrement dit, à part être supposée, l’absence de sécurisation ne peut concrètement être démontrée, et prétendre ardemment que c’est bel et bien une preuve irréfragable serait violer les droits de la défense ainsi que la loi pénale d’interprétation stricte. Qui plus est, l’Hadopi bafoue au quotidien l’article 40 du Code de Procédure Pénale en ne signalant pas toutes les contrefaçons dont elle a connaissance au moment de la réception des PV.
Après avoir pris conscience de ce cumul d’illogismes juridiques, doit-on être étonné si le comité de François Hollande a récemment pris la décision d’abroger Hadopi ?
Pour mettre fin à Hadopi, un vote du Parlement serait nécessaire, ce qui ramènerait un peu avant la fin de l’année 2012. Si tel était le cas, juste une poignée de fraudeurs aura trinqué …
Sources :
BERRETTA E., « Les internautes traduits devant les parquets par la Hadopi », Le Point.fr, le 13 février 2012, consulté le 14 février 2012, URL : http://www.lepoint.fr/chroniqueurs-du-point/emmanuel-berretta/exclusif-les-internautes-traduits-devant-les-parquets-par-la-hadopi-13-02-2012-1430826_52.php
CHAMPEAU G., “Devant l’Hadopi, le silence est la meilleure des défenses », Numerama, le 16 décembre 2011, consulté le 16 février 2012, URL : http://www.numerama.com/magazine/20964-devant-l-hadopi-le-silence-est-la-meilleure-des-defenses.html
CHAMPEAU G., « Hadopi transmet ses premiers dossiers aux tribunaux ! », Numerama, le 13 février 2012, consulté le 15 février 2012, URL : http://www.numerama.com/magazine/21634-hadopi-transmet-ses-premiers-dossiers-aux-tribunaux.html
G J., « Hadopi : premiers dossiers transmis au Parquet », GNT, le 13 février 2012, consulté le 14 février 2012, URL : http://www.generation-nt.com/hadopi-reponse-graduee-dossiers-justice-actualite-1540781.html
MANENTI B., “Téléchargement illégal : l’Hadopi entame sa phase répressive”, Le nouvel Observateur, le 13 février 2012, consulté le 15 février 2012, URL : http://tempsreel.nouvelobs.com/high-tech/20120213.OBS1211/telechargement-illegal-l-hadopi-entame-sa-phase-repressive.html
REES M., « La Hadopi a transmis ses premiers dossiers au Parquet », PC INpact, le 13 février 2012, consulté le 16 février 2012, URL : http://www.pcinpact.com/news/68918-hadopi-parquet-repressif-procureur-pedagogie.htm?vc=1
X, “Hadopi : les premiers dossiers transmis au parquet avant le printemps », Musique Info, consulté le 15 février 2012, URL : http://www.musiqueinfo.com/les-news/bizness/hadopi-les-premiers-dossiers-transmis-au-parquet-avant-le-printemps.html
X, « Hadopi, premiers dossiers transmis aux tribunaux : guide juridique pour les avocats », danactu-résistance, le 15 février 2011, consulté le 16 février 2012, URL : http://danactu-resistance.over-blog.com/article-hadopi-premiers-dossiers-transmis-aux-tribunaux-guide-juridique-pour-les-avocats-99292521.html