La Cour des Comptes vient de rendre un rapport détaillé sur les dépenses de l’Etat. Pas de surprise majeure, la conclusion est une nouvelle incitation à la réduction des dépenses publiques et à une plus grande rigueur dans la gestion des deniers publics. Cependant, parmi les mesures énumérées, le régime de l’intermittence du spectacle, jusqu’ici épargné par les critiques faites à l’Etat, a été épinglé par la Cour, qui juge la situation actuelle comme financièrement insoutenable.
La Cour des Comptes a donc dressé un rapport alarmant quant à la gestion du régime d’assurance chômage des intermittents du spectacle. A l’heure où le mot « rigueur » est devenu un supplétif pour qualifier la quasi totalité des actions économiques de l’Etat, il n’est pas vraiment étonnant que ce régime ait fini par être visé. D’une certaine manière, il est même surprenant qu’il n’ait pas été fait mention de cet état plus tôt. En effet, le régime de l’intermittence a accumulé en 2010 presque un milliard d’euros de pertes, soit un tiers du déficit total de l’assurance chômage, alors qu’il ne profite qu’à 100 000 personnes, soit 3% des demandeurs d’emploi. Ainsi, le régime de l’intermittence cumul sur dix années un déficit de 9,1 milliards d’euros, ce qui correspond quasiment au déficit total de l’assurance chômage.
La Cour ajoute dans le rapport que les fraudes demeurent massives et peu contrôlés, notamment pour ce qui concerne l’attitude dite de « permittence ». Les personnes qui bénéficient du régime de l’intermittence sont en fait employées par un seul patron et de manière continue, et perçoivent donc en même temps leur rémunération et l’assurance chômage. Le phénomène demeure minoritaire (il ne concerne que 15% des bénéficiaires) mais la Cour constate que les moyens mis en place pour lutter contre les dérives sont inefficaces et qu’aucune mesures n’a été prise pour endiguer ce problème. A en croire les conclusions de la Cour, ce n’est pas tant le montant du déficit qui pose problème, mais plus le rapport d’échelle entre les bénéficiaires et le montant. Ainsi, la Cour ne préconise aucunement de mettre fin à ce régime, mais seulement d’y apporter des modifications substantielles, afin de le rendre stable à moyen terme. L’une des priorités soulevées est de poser la question de la distinction entre les artistes et les techniciens pour ce qui concerne l’accès au statut. Bien que conciliés dans deux annexes distinct, les différences ne sont visibles qu’en terme de nombre d’heures exigées. Ainsi, la Cour propose de faire basculer les techniciens dans l’annexe 4 dédiés aux intérimaires, qui doivent faire 600 heures au lieu de 507 heures, mais sont globalement soumis aux mêmes difficultés pour trouver un emploi. Si les mesures sont nécessaires, elles posent malgré tout des problématiques qui semblent insolubles.
L’intermittence est un régime qui suscite de nombreuses critiques, mais également beaucoup de fantasmes. Parce que peu de gens connaissent réellement son fonctionnement, ce statut atypique a souvent été assimilée à une forme de « chômage privilégié ». Ce statut dérogatoire est effectivement trés avantageux pour ceux qui en bénéficient. Il fait preuve d’une réelle originalité, parce qu’il prend en compte la réalité du fonctionnement des professions artistiques et assimilées. En effet, si un artiste travail en continu, la différence avec un « travailleur standard » réside dans le fait que certaines périodes de son activité ne sont pas rémunératrices, soit parce qu’elle correspondent à des périodes « creuses » (l’automne par exemple, où il y’a peu d’offre dans le spectacle), soit parce qu’elles nécessitent un travail de fond (la composition et l’arrangement pour les musiciens, l’écriture ou le travail de scénario pour les réalisateurs…). L’originalité de l’intermittence est donc de permettre à ceux qui ont fait preuve de constance dans leur activité de bénéficier d’une garantie financière dans ces périodes. Malgré tout, l’intermittence du spectacle demeure un régime extrêmement précaire, qui soulève de nombreuses inquiétudes, notamment l’incertitude du lendemain pour l’emploi, mais aussi des désagréments plus matériels (difficulté d’obtenir un prêt bancaire, une location d’appartement…).
Ironiquement, l’intermittence profite davantage aux employeurs, car elle permet une flexibilité totale selon les besoins du moment. Ainsi, un entrepreneur du spectacle peu avoir quatre vingt employés en janvier et dix en février si il l’estime nécessaire. De plus, la manière de calculer les allocations est injuste : plus la personne travaille, et plus elle peut continuer à travailler tout en percevant les indemnités chômage. A l’opposé, celle qui n’arrive pas à avoir le nombre de cachets suffisant perd son statut, et donc les indemnités qui devrait lui permettre de faire face à cette période difficile.Le constat de la Cour que l’augmentation de bénéficiaires de l’assurance chômage n’est d’ailleurs pas surprenant, puisqu’un grand nombre de professions rattachées à ce régime sont d’ores et déjà confrontées aux technologies numériques, qui font baisser les offres d’emplois (par exemple, les orchestres de bals sont remplacés par les DJ).
Pour endiguer l’hémorragie financière, la Cour des Comptes recommande trois mesures. La première est d’augmenter les charges patronales et de les faire varier en fonction du recours de chacun d’entre eux au travail intermittent. La seconde est de renforcer la distinction entre artiste et technicien au sein des annexes 8 et 10 de la Convention gérée par l’Unedic. La troisième est de poursuivre les voies de reconversion professionnelle pour les allocataires dont les perspectives d’emploi dans le spectacle vivant apparaissent faible. Des mesures qui en disent long sur l’état des professionnels de la culture, qui demeure malgré tout le socle de la vie culturelle du pays. En période d’élection présidentielle, véritable « ère glaciaire » de l’action politique, il est à craindre que ces recommandations ne soient mise au placard afin de ne vexer personne. C’est la quatrième fois en quinze ans que la Cour des Comptes alerte l’Etat sur ce sujet.
SOURCES :
Cour des Comptes, « Le régime des intermittents du spectacle : la persistance d’une dérive massive », Rapport annuel détaillé de la Cour des Comptes, févier 2012, p. 369 à 393, lien URL : http://www.ccomptes.fr/fr/CC/documents/RPA/Regime_intermittents_spectacle.pdf
FRANCE SOIR, « Cour des comptes : La “dérive massive” des intermittents du spectacle », mis en ligne le 8 février 2012, consulté le 26 février 2012, lien URL : http://www.francesoir.fr/actualite/economie/cour-des-comptes-la-derive-massive-des-intermittents-du-spectacle-182040.html
FERREIRA (L.), « Cour des Comptes ; la situation actuelle des intermittents du spectacle « n’est pas soutenable ! » », ingenieurduson.com, mis en ligne le 8 février 2012, consulté le 20 février 2012, lien URL :
FABRE (C.), « La situation du régime des intermittents du spectacle n’est pas soutenable », Lemonde.fr, mis en ligne le 8 février 2012, consulté le 20 février 2012, lien URL : http://www.lemonde.fr/politique/article/2012/02/08/la-situation-du-regime-des-intermittents-du-spectacle-n-est-pas-soutenable_1640313_823448.html