Mercredi 14 novembre, l’armée israélienne prévenait les combattants du Hamas de son attaque sur la bande de Gaza. Message auquel les combattants du Hamas répondaient via Twitter également ! Twitter, outil de microblogging, permet d’envoyer de brefs messages limités à 140 caractères. Il permet de faire circuler les informations extrêmement vite car ses mises à jour sont beaucoup plus rapides que celles des moteurs de recherche. Mais cette vitesse a parfois des effets imprévus. Ainsi en 2009, Twitter avait déjà été utilisé par des opposants politiques en Iran. En 2011, des djihadistes utilisent Twitter pour diffuser leur actualité, ce que le gouvernement américain voit d’un mauvais œil.
Une guerre en 140 caractères
Dans la guerre qui oppose Israël et le Hamas, une arme nouvelle s’est ajoutée aux armes traditionnelles : internet. Le conflit israélo-palestinien peut être suivi en temps réel sur Twitter via des comptes de membres des deux camps. Il existe ainsi le compte « IDF » (Israël Defence Forces) qui publie des Tweets relatifs aux actions des forces israéliennes et le compte « Alquassam Brigades » coté palestinien. Sur les deux comptes, on peut trouver des informations sur les opérations menées, des critiques visant l’autre camp, des menaces ou encore des intimidations. Tout cela accompagné de hashtags (qui permettent de centraliser les messages autour d’un terme précis) ou encore du signe « @ » qui, sur ce réseau social, permettent d’identifier une personne, une organisation via son compte. On assiste alors dans ce cas à de véritables « discussions » par Tweets interposés et adressés mutuellement entre l’armée israélienne et l’armée palestinienne.
L’opération « Colonne de nuée » contre les infrastructures du Hamas a ainsi été annoncé via Twitter par l’armée Israélienne. Durant ce conflit qui a duré huit jours elle a utilisé Twitter mais également Facebook, Instagram, Youtube etc. Pour le colonel Avital Leibovich qui dirige la récente unité multimédia de l’armée Israélienne : « Internet est désormais un champ de bataille supplémentaire ».
Les guerres sont médiatisées depuis longtemps, mais avec les avancées technologiques, cette médiatisation prend des formes différentes. C’est la guerre du Golfe, en 1991, qui a marqué un tournant dans l’histoire de l’information avec pour la première fois des évènements suivis en direct. Avec les réseaux sociaux, cette médiatisation évolue encore. Elle n’est plus rapportée ou commentée par un journaliste, un envoyé spécial, une personnalité extérieure au conflit mais par les principaux concernés touchés directement par les évènements et ses conséquences (population ou militaires).
C’est d’ailleurs un des buts de cette guerre médiatique, contourner les médias traditionnels donc des intermédiaires. Et ces derniers ne sont pas interviewés après un évènement mais ont la possibilité d’en faire le récit en temps réel. Le porte parole de l’IDF explique : « l’objectif est réellement de toucher un public partout dans le monde, un public qui ne reçoit peut être pas d’informations électroniques de la part des médias traditionnels ».
Tweet fighteurs
L’armée d’un pays en guerre n’est pas seule à utiliser les réseaux sociaux. Les populations s’en servent également pour faire entendre leurs voix, leur ressenti.
Pour Abir Kopty, palestinienne de 37 ans : « durant l’agression contre Gaza, je n’ai pas décollé une seconde des réseaux sociaux. Mon objectif : faire connaitre la situation des Gazaouis en temps réel, les morts, les destructions […] je me consacre à la lutte contre l’occupation. Depuis trois ans que je twitte, j’ai découvert la force d’un message de 140 signes. Mon compte je l’utilise comme une arme ».
Pour Sarah Tuttle-Singer installée dans un kibboutz israélien : « Quand les roquettes du Hamas ont commencé à pleuvoir sur Israël, mon premier reflexe a été de me saisir de mon ordinateur. Je ne l’ai reposé qu’avec le cessez le feu. 140 signes peuvent faire la différence. Quand je parle de ces pères en uniforme, mes voisins, qui déposent leurs enfants à l’école avant de rejoindre leur régiment parce qu’ils sont mobilisés, c’est quelque chose que chacun peut comprendre ». [1]
Il y a un coté positif à cela, les informations circulent vite et peuvent permettre par exemple de réagir plus vite à une catastrophe naturelle. Dans le cadre de l’armée, les réseaux sociaux peuvent être utilisés pour communiquer rapidement entre différentes unités. La France possède ainsi plusieurs comptes officiels et actifs pour l’armée française : ceux de l’Armée de Terre et de l’Armée de l’Air. Mais cela comporte aussi quelques effets peu désirables. Parmi eux, et dans le cas du conflit israélo-palestinien, il engendre un risque de propagande pour rallier l’opinion publique par une guerre d’image par exemple. En effet, sur le compte Twitter de Tsahal (coté israélien) et sur celui des brigades Al-Quassam (Hamas) sont montrées des photos d’enfants blessés ou tués par les raids du camp adverse ou encore des comptes rendu des attaques perpétrées par l’armée de l’un ou de l’autre. Le but de cela étant clairement de toucher à l’émotionnel, l’affect pour émouvoir, rallier.
Autre exemple de Yuval Dror, expert israélien des nouveaux médias et de la communication : « Un bâtiment a été touché par une roquette, beaucoup de personnes ont été tuées. Un coté de l’histoire dit combien d’enfants sont morts, l’autre coté de l’histoire dira, mais je ne sais pas si c’est le cas, qu’il y avait peut être un terroriste à l’intérieur de ce bâtiment. C’est donc la même histoire mais avec deux versions »[2]. Autre effet inhérent à ce phénomène et tout aussi indésirable, sous un prétexte d’information, les informations sont livrées sans retenue, une surenchère d’image envahie le net… Tweet-war choquante ?
Internet : Le risque d’une banalisation de la guerre
Selon Laurent David Samama, éditorialiste : « La guerre, même si l’on y est habitué en Israël et en Palestine, n’est pas un spectacle que l’on regarde par la fenêtre en twittant. Il y a une faute incroyable des communicants à jouer de la sorte avec les codes du gaming (jeux de guerre) faisant ainsi muer une guerre qui fait des morts en semi-virtualité marketée et offerte à tous ».
Les médias sociaux prennent une importance considérable par rapport aux médias traditionnels, ils touchent des millions voir des milliards de personne. Commenter une guerre sur un réseau social comme on commenterait le dernier film de tel ou tel acteur derrière son écran d’ordinateur, parfois à des milliers de kilomètres d’un conflit qui fait des milliers de morts banalise quelque chose qui n’a rien de « normal ».
Pourtant le réseau social semble autoriser cette médiatisation de la guerre en son sein. Les conditions d’utilisation du service ne prévoient qu’une mise en garde valable pour tous : «vous êtes responsable de l’utilisation que vous faites des Services, des Contenus que vous communiquez, et de toutes leurs conséquences, y compris de l’utilisation de vos contenus par d’autres utilisateurs et par nos partenaires tiers […] ». Il semble donc que cette tendance va perdurer.
Sources :
GOSSET-BERNHEIM (H.), « Proche-Orient : Tweet fighteuses », Gazia, 30 novembre 2012, p.64-65.
ANONYME, « Israël vs Hamas : la guerre fait rage aussi sur internet », Euronews.fr, publié le 20 novembre 2012, consulté le 12 décembre 2012, http://fr.euronews.com/2012/11/20/israel-vs-hamas-la-guerre-fait-rage-aussi-sur-internet/
SAMAMA (L.), « Israël-Palestine, obscénité d’une guerre qui débarque sur Twitter », Laregledujeu.org, publié le 17 novembre 2012, consulté le 9 décembre 2012, http://laregledujeu.org/samama/2012/11/17/340/israel-palestine-obscenite-d’une-guerre-qui-debarque-sur-twitter/
LORENZO (S.), « L’armée Israélienne tweete en direct son attaque contre la bande de Gaza », Huffington post.fr, publié le 15 novembre 2012, consulté le 9 décembre 2012, http://www.huffingtonpost.fr/2012/11/15/larmee-israelienne-tweete-en-direct-son-attaque-contre-gaza_n_2135234.html
WOLTON (D.), « Traitement de la guerre par les médias, guerre et déontologie », CNRS, publié en 2004, consulté le 11 décembre 2012, http://www2.cnrs.fr/presse/thema/230.htm
[1] Grazia, 30 novembre 2012, P.64-65.
[2] « Israël vs Hamas : La guerre fait rage aussi sur Internet », Euronews.