Dans une décision en date du 13 Décembre, l’Autorité de la concurrence sanctionne Orange et SFR pour pratique anticoncurrentielle sur le marché de la téléphonie mobile. Les deux opérateurs avaient mis en place entre 2005 et 2008 des abonnements donnant aux utilisateurs la possibilité d’appeler en illimité des numéros présélectionnés à condition que leurs interlocuteurs soient abonnés au même opérateur. L’Autorité a estimé que cette offre constituait une taxation tarifaire abusive et condamne les deux opérateurs à une amende de 183 millions d’euros de dédommagement à Bouygues Télécom, victime de cette distorsion de la concurrence.
Quand Orange et SFR ouvraient la voie à l’illimité mobile
Réagissant à la condamnation de l’Autorité, Orange ne manque pas de rappeler les vertus de ces offres aujourd’hui condamnées tout en regrettant “la stratégie systématiquement contentieuse de son concurrent”. Les offres en question furent en effet à l’origine des abonnements illimités tels que nous les connaissons aujourd’hui : “A une époque ou les offres illimitées vers tous les numéros de tous les réseaux n’étaient pas encore soutenable économiquement, de tels forfait constituaient pourtant une première expérience de l’abondance mobile, plébiscitée aujourd’hui par consommateurs”.
Orange et SFR furent effectivement les premiers à commercialiser des offres d’abondance on net, c’est-a-dire permettant à leurs clients d’appeler des interlocuteurs abonnés auprès du même opérateurs “en illimité” soit pour un prix forfaitaire indépendant du nombre et de la durée des appels. Les importantes remises tarifaires sur quelques numéros devinrent un argument majeur de vente, en moyenne 70% des consommations d’un abonné se concentrent vers 3 numéros seulement.
A titre d’exemple, Orange a commercialisé les gammes de forfait Orange Classique, Orange Intense et Orange Pro qui permettait d’appeler d’appeler gratuitement 3 Numéros favoris Orange, 24 heures sur 24, sans que les communications soient décomptées du forfait. Chez SFR, ce sont les gammes “SFR Essentiel” et “SFR Évolution Pro” qui proposaient des appels illimités vers 3 numéros SFR.
Une offre portant atteinte à la fluidité du marché
L’Autorité reproche aux deux opérateurs d’avoir formulé une offre fidélisant à outrance leurs utilisateurs au détriment de la fluidité du marché. L’offre litigieuse aurait amplifié la propension des utilisateurs à se regrouper au sein du même opérateur en les incitant à changer d’opérateurs pour rejoindre celui de leurs proches, constituant un “effet tribu”. Une fois ces tribus constituées, ces offres auraient “verrouillé” durablement les consommateurs auprès de leurs opérateurs en augmentant significativement les coûts de sortie encourus par les abonnés aux offres illimités on net.
La différenciation tarifaire entre appels on net et off net a découragé tout changement d’opérateurs puisqu’une telle option à pour conséquence de faire perdre à l’abonné ou à ses proches abonnés au même opérateur la possibilité d’appeler et d’être appelé en illimité. Cette différenciation a donc eu pour effet de dégrader la fluidité du marché de détail en rendant plus difficile la migration des clients vers un autre opérateur en place.
Les utilisateurs qui souhaitaient ainsi souscrire ou renouveler leur forfait auprès d’Orange et de SFR n’avaient pas d’autres choix que les offres d’abondance on net entre 2005 et le début de l’année 2008. Ces offres ont d’ailleurs représenté jusqu’à un tiers du chiffre d’affaire des offres grand public pour SFR et jusqu’à plus de 40 % pour Orange.
Un abus de position dominante
Ces offres illimitées ont mécaniquement favorisé les opérateurs de grandes tailles au profit des petits opérateurs.
Orange et SFR détenaient respectivement en 2005, 47% et 36% du marché de la téléphonie mobile “grand public”, soit un total de 83% du marché. Bouygues prétend n’avoir pu lutter à armes égales avec ses deux concurrents sur les offres illimitées compte tenu de la taille limitée de son parc d’abonné.
Pour répondre à cette offre, Bouygues aurait été contraint de commercialiser des offres d’abondance cross net permettant a ses clients d’appeler leurs interlocuteurs en illimité, quel que soit leur réseau (lancement de l’offre Neo en 2006) mais au prix d’une forte hausse de ses couts, l’opérateur a ainsi dû supporter des charges de terminaison d’appel beaucoup plus lourdes, ce qui a affaibli sa capacité à animer la concurrence sur le marché.
Dans son communiqué, Orange réfute ces arguments. Pour l’opérateur condamné, l’impossibilité pour Bouygues de répliquer à cette offre résultait non pas de la petitesse de son parc d’abonnement mais serait la conséquences d’erreurs stratégiques : “Pourtant, Bouygues bénéficiait parallèlement de la rente que lui a assuré la régulation Télécom pendant plus de 15 ans, à travers des tarifs élevé de terminaison d’appel (près de 2 milliards d’euros. L’opérateur a préféré développer l’un des ARPU ( NDLR : Average Revenue Per User) les plus élevé d’Europe plutôt que d’animer le marché avec des offres restituant tout ou partie de cette rente au consommateur”.
L’absence de justification d’une telle distorsion de la concurrence
Lors des auditions “Orange et SFR n’ont pas démontré que la différenciation tarifaire entre les appels on net et off net était objectivement justifiée, par exemple par une différence entre les couts supportés pour fournir les deux types d’appel. Les deux opérateurs n’ont pas plus démontré que cette différenciation serait indispensable à la réalisation de gain d’efficience l’emportant sur ces effets anticoncurrentiels, dès lors notamment que les deux opérateurs auraient pu commercialiser des offres d’appel illimités vers tous les opérateurs ne donnant lieu à aucune différenciation entre les deux types d’appel.
La décision de l’Autorité de la concurrence permet aux personnes qui seraient encore abonnées à de telles offres de dénoncer ces contrats désormais frappés de nullité. Néanmoins de l’aveu même de l’Autorité elles ne seraient plus très nombreuse à ce jour, avec le changement imposé au marché par l’arrivée de Free Mobile.
Orange à d’ores et déjà annoncé sa décision de faire appel de la décision.
Sources
CHICHEPORTICHE (O.), “Numéros illimités : l’autorité de la concurrence inflige 183 millions d’euros d’amende à Orange et SFR”, ZDnet, mis en ligne le 13 décembre 2012, consulté le 18 décembre 2012, http://www.zdnet.fr/actualites/numeros-illimites-l-autorite-de-la-concurrence-inflige-183-millions-d-euros-d-amendes-a-orange-et-sfr-39785398.htm
ANONYME, “L’autorité de la concurrence sanctionne Orange et SFR pour des offres”, Libération, mis en ligne le 13 décembre 2012, consulté le 18 décembre 2012, http://www.liberation.fr/depeches/2012/12/13/pratiques-anticoncurrentielles-orange-et-sfr-lourdement-condamnes_867299
JOUSSELIN (S.), “Orange et SFR condamnés à verser 183 millions d’euros à Bouygues Télécom”, RTL, mis en ligne le 13 décembre, consulté le 17 décembre, http://www.rtl.fr/blog/blog-numerique/orange-et-sfr-condamnes-a-verser-183-millions-d-euros-a-bouygues-telecom-7755820464