Après Facebook et Linkedin, c’est au tour du réseau social Twitter de s’installer en France. La société est déjà implantée dans six autres grandes capitales et a choisi Paris pour continuer son ascension. Elle justifie ce choix par le récent succès qu’elle connaît en France, pour autant, d’autres raisons justifient cette domiciliation et elles sont principalement fiscales. Dans ce climat conflictuel entre les géants du net et l’administration fiscale française, il convient de s’interroger sur les répercussions de cette installation en France.
Twitter décide de s’installer en France
Le réseau social a été créé en Californie en 2006 par Jack Dorsey, Biz Stone et Evan Williams et il connaît depuis une croissance fulgurante. Aujourd’hui, il existe 500 millions de comptes Twitter (mais seuls 140 millions sont utilisés) et près d’un million de comptes sont créés chaque jour. En France le réseau compte 7,3 millions d’utilisateurs en France* (mais seulement 2,2% d’utilisateurs sont actifs soit 30% des utilisateurs français). La France représente 1,4% des utilisateurs mondiaux. Et la ville de Paris compte 34 675 followers, elle est donc avec New York, la municipalité la plus populaire sur Twitter.
En septembre dernier, le maire de Paris, Bertrand Delanoë, s’était rendu à San Francisco dans les locaux de Twitter. Déjà, Jack Dorsey (un des co-fondateurs) lui annonçait son intention de créer une antenne parisienne. Cela a été officialisé par sa filiale irlandaise « Twitter International Company », qui a déposé les statuts de « Twitter France S.A.S » le 19 novembre 2012 à Paris. L’information a également été confirmée lors de la conférence LeWeb’12-Paris début décembre.
Bertrand Delanoë raconte : « J’ai surtout voulu lui dire à quel point il serait bienvenu à Paris et que je mêlerais bien ses projets parisiens à l’ambiance parisienne. Il faut que Twitter à Paris soit associé à des moments de folie, de jubilation et à des événements comme Nuit blanche. Nous avons aussi parlé de démocratie participative, Twitter n’étant pas seulement un instrument technologique mais aussi un outil qui permet aux gens de prendre la parole. »
Les raisons explicites de cette implantation
Twitter explique alors son choix parisien par l’extraordinaire développement qu’il connait en France. En effet, le nombre d’inscrits aurait progressé de 150% en un an, tout comme le nombre de tweets par jour qui a explosé de 350%. La responsable du développement international de la société, Katie Stanton souligne lors de la conférence LeWeb que l’ouverture d’un bureau en France était une des priorités de l’entreprise : « Il s’agit d’une démarche qui témoigne de la volonté de Twitter de faire partie de l’environnement juridique français, et pourrait-on dire de la culture français. »
En effet, la création d’une personne morale juridiquement indépendante, autrement appelée « filiale », a son importance. Une telle décision d’implantation dans un pays comme la France repose sur des critères, tenant à l’état et à la sécurité du système juridique mais également, à la célérité judiciaire. Pour autant, la création de Twitter France répond à une réelle stratégie de développement à l’international qui nécessite de se « fondre dans le paysage juridique des pays investis », doublée d’une stratégie « judiciaire » (dans l’hypothèse d’un contentieux) fondée sur la clémence des juges envers une société implantée en France. C’est en tous cas ce qu’espère secrètement Twitter, tout comme les autres acteurs du Net, qui sont actuellement sujets de contentieux notamment au regard de la collecte des données personnelles, des modifications des conditions générales d’utilisation et des dérives de ces réseaux sociaux.
Par ailleurs, Twitter France pourra librement soutenir ses ambitions de partenariat avec les créateurs de contenus. La société prévoit d’ailleurs d’investir humainement et de recruter une équipe française composée de 5 à 10 personnes chargées d’animer la filiale, de développer l’audience et la monétisation du site. Les statuts nous indiquent ainsi que la société est chargée « de commercialiser et monétiser le réseau d’informations Twitter, y compris sur le site Internet, le réseau mobile et sur toutes autres plates-formes Twitter ». On peut donc s’attendre à de nouvelles perspectives de la part du réseau social au sein des médias. Par ce biais, le réseau social entend asseoir un peu plus sa légitimité, comme ses prédécesseurs Google et Facebook.
Selon Katie Stanton, « il faut aider à découvrir la valeur de Twitter, discuter avec des partenaires, autour de programmes télévisés ou de rencontres sportives. » Elle a même évoqué un réseau de partenaires à créer avec les créateurs de contenus (chaînes télé, éditeurs de presse…) et avec les consommateurs. D’ailleurs, comme l’explique Christine Balagué, responsable de la Chaire Réseaux sociaux à l’institut Mines-Télécom : « La télévision connectée a un important potentiel pour les réseaux sociaux. A terme, les marques devront décider si elles achètent un espace publicitaire sur la chaîne ou sur les fils de conversation qui se créent dans son environnement. » Toutefois, elle rappelle que «sur le marché français, Twitter n’en est pas encore au stade de la monétisation. Il reste un média très professionnel qui n’en est qu’à ses débuts en termes d’usages. Ce qui est important pour lui dans un premier temps c’est d’être présent partout. »
Les raisons (fiscales) implicites d’une telle décision : un classique ?
Les statuts nous indiquent également que le siège social est situé au 10 rue de la Paix dans le 2ème arrondissement et le capital de Twitter France s’élève à 37 000 euros. La société a pour premier président Luca Baratta et comme directeur général Othman Laraki, et tous deux résident en Californie. De ce fait, la structure juridique française est une filiale de la société irlandaise « Twitter International Company » créée en 2011. Cela lui permet de réduire l’impôt sur les sociétés dont elle doit s’acquitter en France puisqu’elle sera juridiquement dépendante de sa société mère. Pour autant, une fois implanté en France, cette filiale française de Twitter sera plus crédible et légitime face à ses futurs collaborateurs français, et cela sans prendre de gros risques financiers.
Twitter ne fait que suivre le modèle de ses prédécesseurs, qui sont à l’heure actuelle dans le viseur de l’administration fiscale française, sauf IBM France qui ferait figure d’exception. Pour les autres, il convient de rapprocher le contentieux auquel s’est récemment exposé le géant mondial de la vente en ligne, Amazon. La société serait poursuivit par le fisc qui lui réclamerait 200 millions d’euros pour la période 2006-2010. Le groupe se serait domicilié au Luxembourg pour échapper à l’impôt français. Son installation logistique est en France (la troisième et dernière plate-forme à été créée a Chalon-sur-Saône) et génère des emplois mais également, des bénéfices. Pour autant, l’essentiel de ses revenus engendrés en France semble être rapatrié au Luxembourg, où se situe son siège européen. Il bénéficie alors d’un impôt sur les sociétés allégé au taux de 21,8% contre les 33,3% français. Pour autant, si Amazon paye des impôts en France, ils sont anormalement bas. Ainsi pour l’année 2011, Amazon France a fait 104,6 millions d’euros de chiffre d’affaires pour 7,9 millions de bénéfices, et la filiale n’a reversée que 2,7 millions d’euros à l’administration fiscale pour la même année. L’explication étant que les clients français sont facturés au Luxembourg et que les filiales françaises d’Amazon ne fournissent que des prestations de services et de manutention.
L’autre géant du référencement, Google, suit un modèle similaire, auquel s’intéresse enfin l’État. Le moteur de recherche aurait payé à peine 5 millions d’euros d’impôts sur les sociétés en France en 2011. Le montant global des versements à l’État s’élèvent à 32 millions d’euros (charges sociales, taxes foncières et autres taxes professionnelles) mais son chiffre d’affaires français a lui été estimé entre 1,25 et 1,4 milliards d’euros ! Au-delà du montage financier de Google ou de ses homologues, « c’est l’ambiguïté d’un modèle économique qui est questionné » analyse Michel Taly (avocat fiscaliste). « Car Google vend un service dématérialisé où le principal bénéficiaire, le consommateur, ne paye rien » mais tout se passe entre l’annonceur et Google. Les mêmes inquiétudes devraient s’abattre sur ses concurrents Apple et eBay qui sont également domiciliés au Luxembourg. Quant à Google, Facebook et Twitter, ils ont préféré l’Irlande.
L’Irlande, nouvelle terre d’évasion fiscale
Comme nous l’avons évoqué précédemment, l’activité de Twitter est chapeautée par sa filiale irlandaise. Et là encore, le réseau social n’a rien inventé, il a pris exemple sur les autres grands acteurs du Net : Google, Apple, Microsoft, Oracle ou encore Facebook.
La plupart des grandes entreprises du numérique ont donc choisi l’Irlande pour domicilier leur siège européen. Ce choix s’explique par la population anglophone, le maintien de la monnaie européenne et surtout, la fiscalité y est clémente puisque l’impôt sur les sociétés s’élève à 12,5% contre les 33,3% français (ou les 35% américains).
Le mécanisme a même été nommé « double irlandais » ou encore « sandwich hollandais ». « Ce sont deux techniques de transfert de chiffre d’affaires. Le principe consiste à utiliser deux sociétés irlandaises, l’une établie dans le pays et l’autre établie dans un paradis fiscal, et à profiter de l’absence de taxes sur certains transferts – notamment par le biais d’une troisième filiale, néerlandaise ou luxembourgeoise – pour échapper en grande partie à l’impôt. »
Les filiales ne sont ainsi que de simples succursales commerciales. Comme l’explique un ancien responsable financier de Microsoft France : « Nos coûts – salaires, immobilier – ont longtemps été égaux à notre chiffre d’affaires ». Et l’an dernier, « Microsoft, à travers ses trois différentes filiales françaises, a dégagé un bénéfice net de 38,5 millions d’euros. Ses impôts ont donc été faibles en regard du chiffre d’affaires réalisé en France, évalué à près de 2 milliards d’euros. » Pour autant, le ministre du redressement productif rappelle la règle : « que la richesse produite en France soit taxée en France. » Sauf que l’ « on ne sait plus qui achète quoi, où et pour combien. Il n’y a plus de frontière. Et sans frontière, la fiscalité perd en force de frappe. »
Malgré les premières menaces avancées (de la part de Google), le gouvernement semble enfin déterminé à se frotter à ces géants mondiaux qui s’appliquent à contourner habilement les législations, en espérant qu’il ne soit pas déjà trop tard.
* 7,3 millions d’utilisateurs en juin 2012
Sources
– CHERKI (M.), « Impôts : l’État veut que google paie ses impôts en France. », lefigaro.fr, mis en ligne le 8 octobre 2012 et consulté le 17 octobre 2012, http://www.lefigaro.fr/impots/2012/10/07/05003-20121007ARTFIG00230-l-etat-veut-que-google-paie-ses-impots-en-france.php
– CHÉRON (A.), « Twitter s’installe en France : les raisons d’une telle décision », atlantico.fr, mis en ligne le 11 décembre 2012 et consulté le 15 décembre 2012 http://www.atlantico.fr/decryptage/twitter-installe-en-france-raisons-telle-decision-antoine-cheron-573466.html
– FERRAN (B.), « Twitter a créé sa société en France », lefigaro.fr, mis en ligne le 9 décembre 2012 et consulté le 12 décembre 2012, http://www.lefigaro.fr/flash-eco/2012/12/09/97002-20121209FILWWW00157-twitter-a-cree-sa-societe-en-france.php
– KRUG (F.) « Amazon : entre l’emploi et le fisc, Montebourg a choisi », Rue89, mis en ligne le 25 juin 2012 et consulté le 17 décembre 2012, http://www.rue89.com/rue89-eco/2012/06/25/amazon-entre-lemploi-et-le-fisc-montebourg-choisi-233303
– Llorente.v, « Les chiffres de Twitter en cette année 2012 », winmacsofts.com, mis en ligne le 18 novembre 2012 et consulté le 15 décembre 2012, http://www.winmacsofts.com/les-chiffres-de-twitter-en-cette-annee-2012/
– SENGÈS (A.), « A San Francisco, Bertrand Delanoë courtise Twitter », France-Amerique.com, mis en ligne le 28 septembre 2012 et consulté le 17 décembre 2012, http://www.france-amerique.com/articles/2012/09/28/a_san_francisco_bertrand_delano_courtise_twitter.html
– Société.com, http://www.societe.com/societe/twitter-france-sas-789305596.html