Depuis le mois d’octobre, le réseau social américain Twitter connait une publication massive de messages racistes et antisémites à travers des mots-dièse (hashtags) tels que #SiJ’étaisNazi, #unBonJuif (12 000 tweets en décembre), #UnJuifMort. Ces mots clés sont généralement employés par les utilisateurs de Twitter protégés par l’anonymat du réseau social qui ne modèrent pas leurs messages, au nom de la liberté d’expression. Autrement dit, tout peut être dit sans qu’aucune responsabilité éditoriale ne soit engagée.
Twitter ne coopérant avec la police que sur décision de justice, il est nécessaire de déposer plainte au commissariat ou d’envoyer un courrier au procureur de la République, qui déclenchera les poursuites s’il le juge opportun. Celui-ci pourra ordonner à l’hébergeur de lui communiquer toute information figurant sur le site, y compris une adresse IP sous peine d’être condamné à un an d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende (article 6-2 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique). La procédure est donc très compliquée. En pratique peu d’internaute l’utilise. C’est pour cela que de nombreuses associations contre le racisme telles que SOS racisme, l’Union des étudiants juifs de France (UEJF) ou encore la Licra ont décidé d’assigner le réseau social en justice. Le président l’UEJF, Jonathan Hayoun, demande, à ce titre, la mise en place d’un dispositif de signalement pour que chaque utilisateur puisse signaler un contenu raciste ou antisémite et obtenir les données d’identification des auteurs de ces tweets.
Toutefois, ce réseau américain étant considéré comme un hébergeur et non un éditeur de contenu, sa filiale française peut décider de ne pas se soumettre au droit français. Mais si les contenus sont soumis à la loi américaine, les utilisateurs en France sont en revanche comptables devant le droit français. Même s’il n’a pas l’obligation de vérifier a priori ce qui transite sur son site, il ne peut voir sa responsabilité engagée que dans l’hypothèse où il ne retirerait pas les propos illicites qui lui seraient signalés. Twitter invoque le premier amendement de la constitution américaine qui interdit au Congrès des États-Unis d’adopter des lois limitant la liberté de religion et d’expression. En s’y référant, la société américaine se revendique un réseau social ouvert dans lequel toutes les opinions y sont tolérées.
Le gouvernement s’est également saisi de ces questions et souhaite entamer le dialogue avec Twitter. La ministre du droit des femmes, Najat Vallaud-Belkacem, a publié, fin décembre, une tribune dans Le Monde pour dénoncer les dérapages sur Twitter. Elle encourage le réseau social à respecter les valeurs de la république et veut convaincre Twitter d’être un peu plus responsable : « La liberté d’expression, qui constitue une de nos valeurs les plus précieuses, ne peut être impunément utilisée pour déverser, aux yeux de tous et sur quelques-uns, une charge haineuse aussi violente qu’inacceptable, aussi injuste et blessante qu’incompatible avec les valeurs fondamentales de liberté, d’égalité et de fraternité qui sont celles de la République ». Pour la ministre de l’économie numérique française, Fleur Pellerin, « Twitter vient d’ouvrir une antenne commerciale en France, et souhaite vraisemblablement s’installer en Europe, donc je pense qu’ils ont tout intérêt à s’adapter aux cultures juridiques et philosophiques et éthiques des pays dans lesquels ils souhaitent se développer »
Le 24 janvier 2013, le Tribunal de Grande Instance de Paris a finalement rendu sa décision et a ordonné à Twitter de communiquer les données permettant d’identifier les auteurs de ces messages racistes ou antisémites. C’est une condition nécessaire pour que les associations puissent ensuite les poursuivre devant les tribunaux. En outre, la justice a également accédé à la demande des associations en ordonnant « à la société Twitter de mettre en place dans le cadre de la plate-forme française du service Twitter un dispositif facilement accessible et visible permettant à toute personne de porter à sa connaissance des contenus illicites, tombant notamment sous le coup de l’apologie des crimes contre l’humanité et de l’incitation à la haine raciale ». Le TGI demande ainsi à Twitter d’appliquer la loi française
Toutefois, ce problème en amène un autre : les auteurs de ces messages illicites ne sont pas les seuls responsables. En effet, les internautes qui approuvent publiquement risquent eux aussi d’être sanctionnés. Pour les juristes, le fait de « retweeter, c’est approuver ». Maître Christiane Féral-Schuhl, bâtonnier de l’ordre des avocats de Paris, considère que « celui qui rediffuse l’information contribue au préjudice de celui, qui par exemple, a été diffamé et son tweet pourrait être considéré comme un nouvel acte de diffusion ».
Sources :
ANONYME, « Racisme : Twitter ne veut pas communiquer ses données sans feu vert des Etats-Unis », LeMonde.fr, publié le 8 janvier 2013, consulté le 13 janvier 2013 : http://www.lemonde.fr/technologies/article/2013/01/08/racisme-twitter-ne-veut-pas-communiquer-ses-donnees-sans-feu-vert-de-la-justice-americaine_1814125_651865.html
VALLAUD-BELKACEM (N.), «Twitter doit respecter les valeurs de la République », Le Monde, publié le 28 décembre 2012, consulté le 15 janvier 2013 : http://www.lemonde.fr/idees/article/2012/12/28/twitter-doit-respecter-les-valeurs-de-la-republique_1811161_3232.html
NEUER (L.), « Dénigrement et insultes sur Twitter et Facebook : que dit le droit ? », Le Point.fr, publié le 7 janvier 2013, consulté le 13 janvier 2013 : http://www.lepoint.fr/chroniqueurs-du-point/laurence-neuer/denigrement-et-insultes-sur-twitter-et-facebook-que-dit-le-droit-07-01-2013-1609294_56.php
Emission TV « La nouvelle édition », « Comment éviter les messages de haine sur Twitter » Canal +, diffusé le 7 janvier 2013 : http://www.canalplus.fr/c-infos-documentaires/pid3847-c-la-nouvelle-edition.html?progid=783508
PROVOST (L.), « La justice française ordonne à Twitter d’aider à identifier les auteurs de tweets racistes et antisémites », Huffingtonpost.fr, publié le 24 janvier 2013, consulté le 25 janvier 2013 : http://www.huffingtonpost.fr/2013/01/24/unbonjuif-twitter-tribunal-raciste-antisemite-tweet_n_2541525.html?utm_hp_ref=france
COSTES (L.), « Assignation de Twitter par l’UEJF: le TGI se Paris se prononce », Lamy.fr, publié le 25 janvier 2013, consulté le 25 janvier 2013 : http://actualitesdudroit.lamy.fr/Accueil/Articles/tabid/88/articleType/ArticleView/articleId/122106/Assignation-de-Twitter-par-lUEJF-le-TGI-de-Paris-se-prononce.aspx
TGI Paris, réf., 24 janv. 2013, RG n° 13/50262 et 13/50276, UEJF et a. c/Twitter Inc. : http://actualitesdudroit.lamy.fr/Portals/0/pdfs/TGI.pdf
Article 6-2 de loi n°2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique : http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000801164&dateTexte=&categorieLien=id