Le chef du département presse-communication de Matignon, Jérôme Batout, a fait savoir aux membres du gouvernement, mercredi 2 octobre 2013 que ceux-ci étaient désormais soumis à une tutelle médiatique. Suite à plusieurs « couacs » au sein même de l’équipe ministérielle ces dernières semaines, le Président de la République, François Hollande a fait savoir à J-M Ayrault qu’il était important de recadrer ses ministres et d’imposer une cohésion pour une plus grande solidarité.
Le recadrage médiatique des ministres, une note contraignante
L’article 20 de la Constitution de la Vème République énonce que le gouvernement détermine et conduit la politique de la nation. Ainsi, le Premier ministre a fait parvenir à tous ses cabinets, une note demandant de respecter une certaine démarche afin de coordonner et faciliter l’échange médiatique. En effet, il demande à chaque ministre de rester dans son champ de compétence et de ne pas dépasser ses prérogatives. Dans le cadre de leur action pour l’Etat et de leurs conduites de la politique de la nation, il est normal que les ministres soient contrôlés sur leur représentation médiatique.
Le Président de la République à l’initiative de cette note a fait savoir dans le dernier conseil des ministres qu’il ne tolérait pas des divergences au sein de son gouvernement.Dans un premier champ d’action, lors du Conseil, le Premier ministre a précisé qu’il ne fallait pas communiquer à tort et à travers. En effet, aujourd’hui avec les outils médiatiques dont disposent chaque individu, et donc chaque entité ministérielle, il devient très facile de donner son avis pour chaque fait et action. Twitter en est le premier exemple, la semaine dernière, c’est le compagnon de Cécile Duflot qui avait donné son avis sur les querelles concernant les roms. Cela avait suscité des polémiques qui avait aboutit à la suppression du tweet. Auparavant les ministres devaient informer de leurs passages dans un média au Service d’information du Gouvernement. On se demande par là si Matignon n’a pas voulu critiquer le rôle de cette institution en abandonnant la mission qu’il lui confiait.
Désormais, ils doivent en demander l’autorisation auprès du service de communication de Matignon. Cela aide à une meilleure coordination et évite une répétition dans le passage des ministres. Cette exigence est inédite dans l’histoire de la Vème République. On peut ainsi lire dans la lettre : « Le schéma est le suivant : lorsque votre ministre reçoit une invitation pour un passage média (radio, télé, presse écrite papier ou internet), vous nous informez au préalable, avant de donner un accord au média. Lorsque votre ministre envisage de susciter un passage média, vous nous informez avant de prendre l’attache du média. » Par ailleurs, le 12 juin 2013 durant le conseil des ministres, il avait été déjà précisé qu’une relecture des interviews avant publication pouvait être faite si le ministre le souhaitait. Cette lettre vient préciser que c’est en cas d’une interview dite « sensible ».
On peut donc dire que cette note est inédite et sans précédent. Cependant, sur le terrain juridique et formel, il semblerait que cette lettre sui generis n’impose pas de force contraignante.
Une circulaire administrative faisant office de doctrine
La liberté d’expression est une liberté fondamentale et on ne peut en priver un individu. En effet, elle est englobée par la liberté d’opinion. Elle a été affirmée solennellement dès la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 et se situe au rang Constitutionnel. Elle signifie que toute personne est libre de penser comme elle l’entend, d’affirmer des opinions contraires à celle de la majorité et de les exprimer. En voulant contrôler la parole médiatique des ministres, le Président de la République lance directement une réforme de la communication ministérielle.
La légitimité de cette note par rapport à la charte de déontologie des ministres est faible. En effet, le 17 mai 2012, lors du premier Conseil des ministres, J-M Ayrault a édicté un décret relatif au traitement des membres du gouvernement, ainsi que les grands principes sur l’organisation du travail gouvernemental. Celui-ci engage les ministres à une solidarité, une impartialité et une certaine transparence. Dans le premier paragraphe il énonce que « Chaque membre du Gouvernement a le droit de s’exprimer […] sur tout sujet, y compris les sujets extérieurs à ses attributions. ». Dans le Conseil des ministres de la semaine dernière, il a été demandé à chaque ministre de se cantonner à son domaine. Il y a une contradiction.
Par ailleurs cette note peut faire penser à une possible réglementation envers les ministres vis à vis de leur vie médiatique. Cette idée laisse en suspend la nature de la note adressée aux cabinets ministériels la semaine dernière. En effet, sur le terrain de la responsabilité, la lettre aux ministres dans le cadre de leur fonction ne semble pas être contraignante. En effet, il convient de se pencher sur la nature de cette note administrative. Sur la forme, la présentation n’est pas officielle. Il n’y a aucune entête officielle et la note est un texte sans paragraphe. Par ailleurs sur le site des circulaires du gouvernement, elle n’apparaît pas. Cependant, la presse l’a largement publié (cf lien). On se demande donc si ce n’est pas une circulaire administrative ? Une circulaire est un texte édicté par une autorité administrative pour informer ses services. Sur le fond, cette note est explicative d’une nouvelle conduite à tenir. Il n’y a pas d’application de loi ou règlement. Et M. Batout n’invoque aucune source de droit positif mais seulement son statut : « en tant que conseiller de communication-presse » pour être à même de rédiger cette circulaire sui generis. Celle-ci semble avoir une valeur doctrinale enfin de compte. Par ailleurs, la responsabilité de chaque ministre n’est pas engagée en cas de non respect de la procédure. En réalité, sur le plan juridique la demande de tutelle pour chaque intervention ministérielle dans les médias va contre l’indépendance des ministres et la liberté de chacun. Si un ministre ne respecte pas cela il engage sa responsabilité vis à vis du gouvernement.
Finalement, sur le terrain médiatique, il semblerait que ce soit un coup de communication pour rassurer le grand public. Mais dans les faits, et d’une manière déguisée, cette circulaire vise avant tout les ministres responsables de certains « couacs ».
Bibliographie :
- STOLL G., « Recadrage de Matignon : “Ça n’arrêtera pas les couacs” », le Nouvel Observateur, http://tempsreel.nouvelobs.com/politique/, publié le 03/10/2013, consulté le 06/10/2013.
Consultable sur http://tempsreel.nouvelobs.com/politique/20131003.OBS9668/recadrage-de-matignon-ca-n-arretera-pas-les-couacs.html
- AFP, ANONYME, « On n’est pas ministre pour soi, met en garde Sapin », Public sénat, http://www.publicsenat.fr/, publié le 06/10/2013, consulté le 06/10/2013
Consultable sur : http://www.publicsenat.fr/lcp/politique/nest-pas-ministre-soi-met-garde-sapin-431532