Le 1er octobre 2013, les sénateurs se réunissaient afin d’examiner le texte du projet de loi relatif à l’indépendance de l’audiovisuel public.
Dans la nuit du 1er au 2 octobre, un sénateur a émis le souhait de mettre fin à une pratique permettant aux producteurs de détenir tous les droits sur les œuvres qu’ils avaient pourtant coproduites avec des chaînes de télévision.
Jean-Pierre Plancade est le sénateur ayant proposé cet amendement qui a fait trembler le monde de la production audiovisuelle.
Cet amendement prévoit une modification de l’article 71-1 de la loi du 30 septembre 1986 qui interdit aujourd’hui aux diffuseurs de détenir des parts de producteurs.
Aurélie Filippetti, actuelle ministre de la Culture et de la Communication, a précisé lors de cette séance que le versement de ces droits ne concernerait que les diffuseurs ayant financé 70 à 75 % des programmes visés.
Une garantie qui permettrait donc selon celle-ci de trouver un équilibre entre « impératifs de circulation des œuvres et indépendance de la création ».
Cet amendement est le résultat de travaux et études ayant été effectués suite au constat de la nécessité de réformer les rapports existants entre producteurs et diffuseurs.
En effet, l’exception culturelle française justifie la mise en place de gardes fous permettant la protection et la pérennité de la production indépendante française.
Pour cela, les décrets dits « Tasca » ont été réformé en 2001 afin notamment, de ne pas permettre aux diffuseurs de détenir des catalogues de droits qui leur permettraient de gérer la revente de ces œuvres, et de détenir des parts de coproduction qui leur permettraient de toucher l’argent découlant de l’exploitation de ces œuvres.
Ainsi, une sorte de monopole productif avait été instauré au nom de l’exception culturelle.
Pendant de nombreuses années, les chaînes ont mené un combat dans le but de se voir attribuer les parts de coproduction que chaque coproducteur est voué à toucher en dehors de ce cas de figure.
Face à un tel déséquilibre, un groupe de travail s’est afféré à produire un rapport remis le 30 mai 2013 et commandé par Madame Marie-Christine Blandin (Présidente de la Commission de la Culture, de l’éducation et de la communication).
Une nécessité de récompenser les efforts de chacun et de rééquilibrer les droits
Ce rapport, émanant du sénateur Jean-Pierre Plancade, explique toutes les nécessités de réformer ce système.
Il expose notamment le fait que les chaînes coproductrices, ne voient aucunement leur travail récompensé dans la mesure où celles-ci ne touchent aucune recette de l’exploitation des œuvres coproduites en dehors des espaces publicitaires achetés par les annonceurs lors de la première diffusion de celles-ci.
De plus, ces œuvres peuvent maintenant être rachetées par l’INA, sans que les diffuseurs ne touchent des droits et sans que cela ne les exempte de repayer les droits de diffusion par la suite s’ils souhaiteraient de nouveau les diffuser.
Un argument concurrentiel est également exposé dans le cas où un producteur se verrait offrir la possibilité de revendre son œuvre à une autre chaîne que celle l’ayant coproduite. Cela est possible sans même que le diffuseur coproducteur n’ait un quelconque mot à dire alors que cela pourrait lui desservir (Les Echos donnent notamment l’exemple du programme « Navarro » coproduit à l’origine par TF1 et se retrouvant aujourd’hui sur D8 ; chaîne appartenant au groupe Canal+ ; venant de détrôner TMC ; chaîne du groupe TF1).
Aussi, les décrets Tasca ont été adoptés dans le but de promouvoir et protéger la production indépendante française.
Or, il se pourrait qu’en multipliant les différents mécanismes y figurant et en oubliant de récompenser les efforts produits par les diffuseurs, ces derniers se retrouvent démotivés et désintéressés du fait de produire des programme de plus ou moins grande qualité, dans la mesure où le retour sur investissement restera le même : le néant.
Enfin, Jean-Pierre Plancade expose le fait que nos voisins britanniques bénéficient de ce système et qu’il s’avère vertueux pour les chaînes de télévision.
En effet, d’après la BBC, les recettes émanant des parts de coproduction accordées aux diffuseurs, représentent 25% de son chiffre d’affaire.
Chiffre non négligeable au moment où l’audiovisuel public français peine à trouver un équilibre financier suite à la suppression de la publicité après 20 heures par la loi du 5 mars 2009.
Ainsi, un partage des parts de coproduction permettrait aux diffuseurs de participer davantage à l’industrie française de l’audiovisuel, mais également d’être encouragés à produire des programmes de qualité voués à s’inscrire dans notre patrimoine audiovisuel. Un produit de qualité ayant plus de chances de se voir racheté puis rediffusé qu’un produit ne suscitant pas d’intérêt de la part des autres diffuseurs.
Le sénateur Jean-Pierre Plancade l’exprime par ces mots : « dans le domaine de la production audiovisuelle, c’est la politique industrielle qui doit venir au secours de notre exception culturelle ».
Les producteurs s’estiment cependant lésés par cette mesure.
La mort de la production audiovisuelle indépendante française ?
Si cet amendement réjouit les diffuseurs, il n’en n’est pas de même du côté de la production indépendante.
En effet, ceux-ci s’estiment lésés dans leurs droits face aux dictats des grands diffuseurs disposant de grands moyens.
L’adoption de cet amendement a été décrite par Jean-Pierre Guérin (Président de l’USPA) comme «une méthode antidémocratique », nos représentants n’ayant tenu compte que des seuls intérêts des diffuseurs.
Une telle réaction peut notamment se comprendre par le fait que de petits producteurs pourraient se retrouver dans une situation de dépendance économique face aux grands diffuseurs qui disposeraient peut-être de plus de droits que ceux-ci.
L’argument principal justifiant le rejet de cette idée par les producteurs, est notamment exposé au sein du communiqué de presse de l’Union Syndicale des Producteurs audiovisuels publié le 04 octobre 2013.
Il est en effet expliqué que le risque majeur engendré par une telle mesure serait la possibilité du gel de la circulation de certaines œuvres par les diffuseurs, dans un seul but anti-concurrentiel notamment par le biais du refus de vendre ces œuvres à de nouvelles chaînes de la TNT.
Enfin, il serait possible de se demander si une telle mesure ne porterait pas atteinte à l’indépendance même qui caractérise ces producteurs.
En effet, ces œuvres coproduites pourront par la suite être revendues par les diffuseurs à d’autres chaînes. Les programmes devront donc répondre aux volontés et critères émis implicitement par les chaînes acheteuses, au risque de se voir refusées.
Ainsi, une œuvre qui devait convenir à une chaîne, devra pouvoir convenir aux potentielles autres chaînes acheteuses.
Un projet de production proposé à un diffuseur en vue de sa coproduction, pourra donc se voir refusé en raison de ses insuffisantes capacités de rentabilité.
L’amendement concerné a été adopté ce mardi 15 octobre lors de la réunion de la commission mixte paritaire mise en place dans le cadre de la procédure d’urgence déclenchée afin de voir cette loi adoptée et promulguée avant la fin de l’année 2013.
Un rapport législatif a été publié le 15 octobre 2013 et énonce au sein de son article 6 decies A que l’article 7-1 de la loi du 30 septembre 1986 sera modifié tel que le souhaitait le sénateur Jean-Pierre Plancade.
Une seconde lecture du projet de loi relatif à l’indépendance de l’audiovisuel public aura lieu à l’Assemblée Nationale le 31 octobre 2013.
Ainsi, les diffuseurs ne toucheront des droits émanant des œuvres qu’ils ont coproduites dans le seul cas où ceux-ci auront « financé une part substantielle de l’œuvre ». Cette garantie apparaît comme un compromis face aux réactions des producteurs qui garderont la propriété de ces droits à l’exception de ce dernier cas de figure. Cela pourra leur permettre notamment de fixer leur part de participation et de choisir s’ils souhaitent ou non que les diffuseurs financent une partie « substantielle » de l’œuvre.
On peut cependant penser que leurs moyens seront moindres face à ceux des diffuseurs qui se retrouveront en position de force face à la question de la survie et de la mise en œuvre du projet.
Cet amendement prouve néanmoins une chose : la nécessité de trouver un équilibre entre les attentes légitimes des diffuseurs se voyant obligés de coproduire des programmes sans rien recevoir en retour, et les intérêts de la création ne s’avérant pas toujours compatibles avec l’aspect économique de l’industrie française de la télévision.
Sources :
PLANCADE (J-P.), « Rapport d’information fait au nom de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication par le groupe de travail sur les relations entre les producteurs audiovisuels et les éditeurs de services de télévision », Sénat, mis en ligne le 30 mai 2013, consulté le 07 octobre 2013, disponible sur http://www.senat.fr/rap/r12-616/r12-6161.pdf
PIQUARD (A.), « Le Sénat a voté un amendement surprise modifiant la relation producteurs-diffuseurs », Le Monde, mis en ligne le 02 octobre 2013, consulté le 03 octobre 2013, disponible sur http://www.lemonde.fr/actualite-medias/article/2013/10/02/audiovisuel-l-amendement-surprise-du-senat-qui-pourrait-irriter-les-producteurs_3488778_3236.html
SCHMITT (F.), « Le Sénat met fin aux privilèges des producteurs », Les Echos, mis en ligne le 03 octobre 2013, consulté le 03 octobre 2013, disponible sur http://www.lesechos.fr/entreprises-secteurs/medias/actu/0203041290916-le-senat-met-fin-aux-privileges-des-producteurs-612918.php
JURIST4MEDIAS « Réforme de l’indépendance de l’audiovisuel public : accord sur le projet de loi en commission mixte paritaire », Jurist4Medias, mis en ligne le 17 octobre 2013, consulté le 17 octobre 2013, disponible sur http://www.jurist4medias.fr/2013/10/17/reforme-de-lindependance-de-laudiovisuel-public-accord-sur-le-projet-de-loi-en-commission-mixte-paritaire/