Chargé par le président de la République d’une mission relative à la promotion de la politique culturelle adaptée à l’ère numérique, Pierre Lescure a présenté son rapport le 13 mai 2013 à la ministre de la Culture et de la Communication intitulé « Acte II de l’exception culturelle » sur les «contenus numériques et la politique culturelle à l’ère du numérique ». Ce rapport propose la suppression de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (HADOPI) en tant qu’autorité publique indépendante et suggère le transfert d’une partie de ses prérogatives au Conseil Supérieur de l’audiovisuel (CSA) notamment sa mission principale de réponse graduée. Cette mesure vise à rappeler la loi aux internautes susceptibles de porter atteinte au droit d’auteur et au droit voisin sur internet. De plus, au regard de l’actuelle réforme relative à l’indépendance de l’audiovisuel public, il est aujourd’hui question de renforcer les compétences du CSA, ainsi, on peut comprendre que l’idée de substituer des missions répressives de la Haute autorité vers le CSA s’est naturellement posée.
Un amendement prévu à cet effet aurait du être proposé aux chambres parlementaires, mais cette envie de transmission a suscité de vifs débats aussi bien au Parlement qu’au sein des partis politiques. Face à ce climat hostile, l’amendement n’a finalement pas été présenté.
Cette suggestion s’est à nouveau présentée à l’occasion du projet de loi sur la « création » prévu pour début 2014. En effet, ce texte législatif vise à remanier la protection des œuvres contre les atteintes au droit d’auteur et au droit voisin sur internet et de les adapter au numérique. Pour ce faire, le texte redessine les contours du système de la réponse graduée puisqu’il vise d’une part à transférer cette principale prérogative au CSA et d’autre part, à lui accorder des compétences en matière économique plus importantes, puisque le projet lui offre un dispositif visant à lutter contre la contrefaçon commerciale.
La légitimité de la HADOPI déjà remise en cause par le passé
La HADOPI a déjà fait l’objet de vives critiques, notamment sur le plan juridique au regard de sa principale mesure de sanction: la réponse graduée. En effet, à l’origine la réponse graduée se présentait comme une mesure répressive pouvant donner lieu dans certains cas à une coupure de la connexion internet de l’internaute qui téléchargeait illégalement. Cependant, le Conseil Constitutionnel saisi sur ce point, devait dès lors déterminer si d’une part la Haute Autorité était compétente pour prononcer une telle sanction et d’autre part, si la suspension de la connexion internet ne portait pas atteinte aux droits des internautes. Dans sa décision n°2009- 580 DC du 10 juin 2009, le Conseil Constitutionnel a ainsi pris le soin de juger que cette mesure portait atteinte à certains droits des internautes telle que la présomption d’innocence puisqu’il a en effet précisé qu’:ʺInternet est une composante de la liberté d’expression et de consommationʺ, et qu’ ʺen droit français c’est la présomption d’innocence qui prime ʺ. Par ailleurs, le Conseil a souligné que la HADOPI n’était pas en mesure de prononcer une telle sanction puisqu’il a ajouté que: ʺc’est à la justice de prononcer une sanction lorsqu’il est établi qu’il y a des téléchargements illégaux.ʺ Par voie de conséquence, les Sages ont censuré la réponse graduée dans son volet répressif, devenue par la suite une simple mesure pédagogique. En d’autres termes, la Haute Autorité ne dispose plus d’un dispositif répressif et il lui incombe désormais à chaque étape de ce processus, de rappeler aux internautes la loi contre les échanges illicites d’œuvres protégées par le droit d’auteur ou le droit voisin.
Par ailleurs, ladite autorité a été remise en cause face à la pénurie des adresses IP: en effet, l’internet protocole est un système d’adressage permettant de faire le lien direct entre l’internaute et l’ordinateur utilisé par ce dernier. Or, avec le développement du protocole ipV6, il est possible aujourd’hui pour un ordinateur d’avoir plusieurs adresses IP, ainsi il est parfois hasardeux d’identifier le véritable fraudeur pour cette raison. Ce problème d’identification accentue en outre davantage celui du piratage en ligne à des fins commerciales. En effet, comment la HADOPI peut-t-elle distinguer le téléchargement à des fins privées de la contrefaçon commerciale? Par ailleurs, il convient de préciser que son dispositif de lutte contre le piratage en ligne est devenu désuet de sens car d’autres formes contournées de piratage ont vu le jour comme le streaming. Enfin, l’efficacité de l’autorité administrative indépendante s’est vue remise en cause au regard du faible nombre de condamnation pour téléchargement illégal. Face à cet échec, le projet de loi sur la « Création » s’efforce de combler ces incontestables lacunes.
Le projet de loi sur la « Création » de 2014, un projet susceptible de vider la HADOPI de toute sa substance pour l’avenir
De tels objectifs fixés par le projet de loi ont pour conséquence la remise en question de son statut d’autorité publique indépendante. On peut dès lors se demander si cette substitution de compétences ne videra pas la Haute Autorité de toute sa substance. En effet, l’intention d’attribuer au CSA la mission de la réponse graduée va cantonner la HADOPI au seul rappel à la loi et à veiller à ce que chaque internaute prenne garde à sa propre connexion internet. Elle reste également compétente en matière de « peer–to-peer », consistant en l’analyse du partage des fichiers des internautes. Qui plus est, le Gouvernement a fait état de son souhait de ne pas la voir disparaître. En effet, bien qu’elle perde une partie de ses compétences, celle-ci restera toujours compétente en matière de régulation sur la toile. Sera-t-il donc encore possible de parler à son égard d’autorité alors même que celle-ci n’est pas à même de pouvoir prononcer des sanctions ?
La gageure est donc de taille pour ce projet de loi dans la mesure où si le Conseil Constitutionnel est amené à se prononcer sur la constitutionnalité de certains points de ladite loi, il sera fort probable que ce dernier censurera notamment le prononcé par le CSA d’une amende en guise de sanction puisque dans sa décision du 10 juin 2009 ce dernier avait précisé qu’une telle sanction ne pouvait être prononcée que par une autorité judiciaire. Or, le CSA est une autorité publique indépendante à l’instar de la Haute Autorité, et à ce titre elle ne peut ni rendre ni prononcer une sanction de ce type.
Dès lors, plutôt que de substituer les compétences de la Hadopi au profit du CSA ne serait-il pas préférable de remanier en profondeur la qualification même d’autorité publique indépendante ?
Sources:
COSTES L., « Le transfert CSA-Hadopi devrait passer sur une loi sur la culture en 2014 », Lamy , http://actualitesdudroit.lamy.fr/Accueil/Articles/tabid/88/articleType/ArticleView/articleId/123355/Le-transfert-CSA-Hadopi-devrait-passer-par-une-loi-sur-la-culture-en-2014.aspx, publié le 20/09/13, consulté le 15/10/13
DUPONT-CALBO J., PEPIN G., « Menacée, la Hadopi fait le dos rond », Le Monde, http://www.lemonde.fr/technologies/article/2013/10/10/menacee-la-hadopi-fait-le-dos-rond_3493458_651865.html, publié le 10/10/13, consulté le 16/10/13
Site officiel de la Hadopi < http://www.hadopi.fr/ >