Aujourd’hui, la convergence entre les domaines de l’internet et de l’audiovisuel amène les pouvoirs publics à se poser la question de la mise en place d’une seule et même autorité de régulation et de contrôle pour ces deux secteurs. Mais malgré un pas dans cette direction, un tel remaniement est difficile à instaurer.
C’est au cours d’une conférence de presse organisée au Ministère de la culture le 13 mai dernier que Pierre Lescure, ancien PDG de Canal +, remettait au Président de la République François Hollande, son rapport sur l’adaptation des politiques culturelles au numérique.
Parmi les soixante quinze propositions de ce rapport, une en particulier n’a cessé de faire parler d’elle : celle évoquant un éventuel transfert des compétences de la Haute Autorité pour la Diffusion des Œuvres et la Protection des Droits sur Internet, au Conseil Supérieur de l’Audiovisuel. En effet, si le rapport prône l’arrêt de la Hadopi en tant qu’institution, l’essentiel de sa mission de lutte contre le piratage serait quant à lui conservé, et transféré au Conseil Supérieur de l’Audiovisuel, faisant de celui-ci le nouveau régulateur de l’offre numérique.
Pierre Lescure déclarait lors de la remise de son rapport que le CSA était « le plus à même » de récupérer les compétences de la Hadopi, du fait de son rôle de régulateur déjà installé dans le monde des médias.
Le même jour, la ministre de la culture, Madame Aurélie Filipetti, affirmait dans un entretien au Nouvel Observateur vouloir « supprimer la Hadopi le plus vite possible ».
Une mesure indispensable et urgente pour certains…
S’en suivait le 5 juin 2013, le dépôt à l’assemblée nationale du projet de loi sur « l’indépendance de l’audiovisuel public », rapidement adopté le 24 juillet. Cependant, ne figurait dans le texte, aucune trace d’une mesure mettant en place le transfert de compétence proposé par le rapport Lescure.
Néanmoins cette possibilité refait surface lorsque son intérêt est démontré par certains acteurs du secteur de l’audiovisuel et de la culture.
La possibilité d’un amendement visant à mettre en place ce transfert dans la loi relative à l’indépendance de l’audiovisuel public est alors évoquée. Mais la loi étant discutée sous le régime de la procédure accélérée, les députés ne pouvaient alors pas en débattre, ni en séance plénière, ni en commissions, laissant ainsi à la commission mixte paritaire, le soin de mettre en conformité les versions respectivement votées par l’Assemblée et le Sénat avant le vote final.
Le 25 juillet 2013, le texte est transmis au Sénat. Au cours de son audition par la commission de la culture, de la communication et de l’éducation le 10 septembre 2013, le président du CSA Olivier Schrameck apportait son soutien à la proposition de Pierre Lescure : « Le CSA ne peut plus esquiver le numérique ». Estimant que le monde de l’audiovisuel actuel est un secteur immergé dans le numérique, il soulignait qu’il existe « une profonde logique fonctionnelle à ce que la régulation soit globale ». Il jugeait par conséquent indispensable une décision rapide des pouvoirs publics, par voie d’amendement dans le texte de loi alors en débat.
De son côté, la Ministre de la culture avait jugé peu souhaitable le maintien d’une autorité indépendante exclusivement dédiée à la lutte contre le téléchargement illicite, et s’était prononcée en faveur d’une fusion des missions de la Hadopi et du CSA. Elle estimait de plus que cette substitution permettrait au CSA « d’affermir et moderniser le champ de ses compétences pour lui donner les moyens de se pencher sur les questions actuelles ».
Et injustifiée pour d’autres
Le 12 septembre 2013, Mme Marie Françoise Marais, Présidente de la Hadopi, était à son tour entendue par la commission de la culture, de la communication et de l’éducation du Sénat. Dans cet entretien, Mme Marais plaidait le maintien de la Hadopi, ou à défaut, la poursuite de la discussion sur un possible transfert, soulevant le fait que la Hadopi n’a pas pour objectif de réguler l’internet, mais seulement la protection des droits d’auteur sur le net. Elle avançait également que la Hadopi ne limite pas son contrôle aux œuvres audiovisuelles, cinématographiques et musicales, mais s’étend plus généralement à tous les contenus culturels présents sur le net : photographies, jeux vidéos, soit autant d’éléments nécessitant des compétences particulières.
Et si pour la présidente de la Hadopi, certains pouvoirs des deux institutions pourraient être compatibles, elle évoquait cependant de nombreuses différences entre le travail du CSA et celui de la Hadopi, notamment sur le plan de la méthode. Le CSA étant basé sur un régime d’autorisation, alors que la Hadopi repose sur un système de libertés dont les limites relèvent des règles de droit commun telles que le respect de la vie privée ou le droit à l’image.
Les députés socialistes Patrick Bloche et Christian Paul, venant en renfort, ont quant à eux crié à la « flibuste parlementaire ». Un tel amendement constituant un cavalier législatif, les députés réclamaient pour l’avenir de la Hadopi « un débat à part entière ».
Sur un autre terrain, le mouvement des jeunes socialistes s’était également prononcé contre la mesure, déclarant que « cette disposition reviendrait à créer une institution de contrôle de l’internet aux pouvoirs inquiétants, qui pourrait aller jusqu’à décider du blocage unilatéral de sites et donc nuire à sa neutralité ».
Une mesure suspendue, mais pas abandonnée…
Les critiques ayant été entendues, l’amendement est avorté avant même d’avoir vu le jour. Si certains s’en sont félicités, d’autres n’ont pas hésité à exprimer leur mécontentement. En effet, dans un communiqué, les représentants de la société civile des auteurs réalisateurs ont déclaré être « abasourdis » par cette absence, considérant que la forte convergence actuelle entre la télévision et internet prédestine ces deux médias à relever d’une seule et même autorité dans un futur proche.
Pour justifier ce revers, David Assouline, rapporteur du projet de loi, aurait admis que la tentative de greffer un projet d’une telle importance sans permettre aux députés de pouvoir en débattre n’aurait pas été très « respectueux » vis à vis de ses collaborateurs de l’hémicycle. Il maintenait cependant que le projet présentait pour lui une certaine cohérence, et invitait les pouvoirs publics à agir rapidement.
Mais le projet n’est pas pour autant abandonné, Aurélie Filipetti affirmait le 23 septembre dernier que le transfert devrait survenir à l’occasion d’une « grande loi sur la création et la culture ». Le sort de la mesure est donc renvoyé à la prochaine loi « culture et création » prévue pour début 2014.
BIBLIOGRAPHIE :
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