On sait la chasse aux sorcières ouverte depuis déjà un temps, or le dernier en date à périr au bûcher n’est autre que le septième site de partage le plus populaire au monde, Isohunt, dont le responsable , la Motion Picture Association of America (MPAA) vient de publier par communiqué l’accord de Gary Fung, créateur du site désormais clos.
Aux États-Unis, l’exemple d’un tel accord semble être aussi commun que n’importe quel arrangement conclu entre des parties comme mode de résolution des conflits pour ne pas échoir au contentieux. Si le communiqué n’a pas de force exécutoire en tant quel tel en France, il recouvre outre-atlantique une certaine portée normative faisant foi tel un contrat car émanant généralement d’institutions très influentes comme les trade association.
LES FICHIERS « TORRENT » DANS LE COLLIMATEUR DU DÉFENSEUR DE L’INDUSTRIE CINÉMATOGRAPHIQUE AMÉRICAINE
En l’espèce, le communiqué provient de la Motion Picture Association of America, une association interprofessionnelle regroupant six des plus puissants studios de cinémas américains. Il est clair que la constitution sous forme de trade association a d’une part permis, lors de sa création en 1922, de défendre de manière efficace les intérêts des studios hollywoodiens, tant par la voie du procès que par des accords à l’amiable (Settlement), et d’autre part l’association est surtout connue pour l’application d’une auto-censure en établissant une classification des films via le Code Hays qui permet surtout d’éviter une intervention extérieure par l’Etat fédéral, contrairement à la France qui, par l’intermédiaire du CNC, établissement public administratif, assure par la commission de classification des films, l’attribution de visa d’exploitation depuis le décret du 23 février 1990.
Ainsi, Isohunt a mis la clef sous la porte après une longue procédure de plus sept ans devant les tribunaux du district de Los Angeles où l’association avait décidé en 2006 de réparer le préjudice causé par les moteurs de recherches des sites de téléchargement permettant à l’accès à des « torrent », un célèbre type de fichiers dont les données ont la particularité d’être segmentées permettant ainsi le partage de fichiers relativement volumineux. En comparaison au modèle classique de téléchargement en pair à pair, dont l’émetteur est incarné par un serveur d’origine, qui distribue les données à chaque destinataire ou récepteur, le principe du protocole bittorrent permet de contourner ce schéma car l’utilisateur peut, grâce à un logiciel gratuit, être à la fois émetteur (seeder) et récepteur (leecher) dès le premier segment de donnée échangé.
Constituant dès lors l’emblème de l’aspect décentralisé d’internet, la MPAA a vite compris que ces fameux torrent abritaient surtout des œuvres cinématographiques et audiovisuelles car les données, qui atteignent un poids numérique lourd une fois numérisées, principalement à hauteur de 700 Mo ou 4,7 Go, sont beaucoup plus facilement échangeables par le protocole bittorent et par conséquent massivement partagées illégalement sur la toile.
UN ACHARNEMENT JUDICIAIRE SOLDÉ PAR UN ARRANGEMENT DÉCISIF POUR ISOHUNT
Si l’on dresse une chronologie d’ensemble de la bataille juridique menée d’une main d’acier par la MPAA contre les sites de même nature, c’est à dire proposant un moteur de recherche permettant l’accès à un catalogue de liens torrent, il est clair que celle-ci n n’a pas lésiné sur les moyens notamment quand elle était appuyé par la justice américaine. En 2007, Torrentspy, un site similaire à Isohunt, s’était au début vu contraint de traquer ses visiteurs, puis a contourné le problème en bloquant son accès des utilisateurs aux Etats-Unis. Condamné au final à verser en 2008, 111 millions de dollars de dommages et intérêts à la MPAA, le site a très vite fermé ses portes.
De son côté Gary Fung, qui, dès les premières attaques de la puissante association en 2006, se retranchait derrière la fragile exception de « Safe Harbor » une dérogation au Digital Millenium Copyright Act (loi visant à protéger le droit d’auteur à l’ère numérique aux Etats-Unis) adopté le 08 octobre 1998 et , d’après Marc Rees (rédacteur en chef de pcimpact.com) ne protégeant que « les intermédiaires techniques des activités illicites menées dans leur tuyaux par des tiers », a finalement été reconnu coupable d’incitation au piratage le 21 décembre 2009 par une cour fédérale de Californie, puis suite à une injonction permanente du 23 mars 2010 à “faire le ménage” en supprimant tout contenu illicite à travers un filtrage par mots-clefs et condamné à nouveau en appel le 21 mars 2013.
La MPAA avait fini par réclamer cet été un total de 750 millions de dollars en réparation du préjudice et du manque à gagner, pour aboutir à un arrangement de 110 millions de dollars le 16 octobre 2013 à verser à la MPAA en sus de la promesse effective de la fermeture définitive du site. Cette lourde somme reste toutefois bien moins élevée que si un juge était intervenu, car le montant des dommages et intérêts procède d’un mode de calcul sévère en fonction du préjudice estimé par œuvre (pouvant atteindre 150 000 dollars) et du nombre d’œuvres, qui se compte de facto en dizaine de milliersselon l’avocat de la MPAA, Steven Fabrizio. En France, ce mode de calcul diffère légèrement de celui du Coût par mille, qui consiste à rémunérer tous les mille visiteurs présent sur le site, récemment appliqué par les juges comme le montre l’arrêt du 08 mars 2013 de la Cour d’appel de Bordeaux, pour condamner le responsable du site ledivx.com au versement de dommages et intérêt de 13 604 euros aux ayants droits (américains pour la plupart et dont certains sont membres de la MPAA), une méthode contestée par la défense car basée sur une estimation de téléchargement potentiel.
La hauteur des dédommagements est sans commune mesure outre-atlantique et s’agissant de Isohunt, l’épée de Damoclès qui allait inéluctablement s’abattre sur son fondateur, se révèle moins douloureuse mais fatale pour le site, ainsi que pour ses sites partenaires Podtropolis et Torrentbox. Reste à voir si à ce rythme, la MPAA finira par avoir la tête de The Pirate Bay, le numéro 1 des sites de partage illégal de fichiers torrent, qui vient de fêter ses dix ans d’existence…
Sources :
BERNE X., «Isohunt ferme dans la précipitation…», pcimpact.com, mis en ligne le 21 octobre 2013, consulté le 24 octobre 2013,<http://www.pcinpact.com/news/84043-isohunt-ferme-dans-precipitation-et-tente-d-eviter-l-archivage.htm>
KERR D., « Isohunt to permanently shutter after settlement with MPAA », cnet.com, mis en ligne le 17 octobre 2013, consulté le 24 octobre 2013, <http://news.cnet.com/8301-1023_3-57608103-93/isohunt-to-permanently-shutter-after-settlement-with-mpaa/>
LEE T.,« Here’s why Isohunt deserved to die», washingtonpost.com, mis en ligne le 17 octobre 2013, consulté le 25 octobre 2013, <http://www.washingtonpost.com/blogs/the-switch/wp/2013/10/17/heres-why-isohunt-deserved-to-die/>
REES M., « Isohunt condamné a bloqué des liens…», pcimpact.com, mis en ligne le 1 avril 2010, consulté le 25 octobre 2013, <http://www.pcinpact.com/news/56202-isohunt-liens-torrent-illicites-filtrage.htm>
Communiqué, «Isohunt.com to shut down in law suit settlement» Motion Picture Association of America Inc, publié le 17 octobre 2013, consulté le 24 octobre 2013, <http://www.mpaa.org/resources/52c16680-37ab-4f0a-9756-b850fe37ca1c.pdf>