Le Géant du Net s’impose encore. Depuis plusieurs années, le monde de la culture reproche à Google de profiter du référencement gratuit de ses sites sur son moteur de recherche pour réaliser des bénéfices publicitaires considérables. Aujourd’hui c’est dans le milieu de l’édition que le débat a été relancé.
Les rapports entre la presse et le moteur de recherche ont toujours été complexes puisque ils se sont développés sur un modèle surtout basé sur la gratuité. En France, l’Association France Presse avait déjà assigné Google en lui reprochant de violer les règles du copyright (2005). Depuis plusieurs mois le géant d’Internet a dû à nouveau faire face aux des éditeurs lorsque, sous l’égide de l’Association de la Presse d’Information Politique et Générale (AIPG), ceux-ci ont demandé de bénéficier de redevances au titre de droits voisins sur leurs œuvres à chaque indexation d’un article par un moteur de recherche. Google a alors commencé par menacer de ne plus référencer les médias français dans le cas où une telle taxe serait mise en place ; cependant soucieuse de préserver sa mission d’ « organiser les informations à l’échelle mondiale dans le but de les rendre accessibles et utiles à tous », la firme s’est retrouvée contrainte de s’ouvrir aux négociations.
Un accord a donc été signé entre l’AIPG, Google et le gouvernement français permettant le lancement officiel du Fonds pour l’Innovation Numérique de la Presse (FINP) le 19 septembre dernier à l’Elysée. Ce fonds est une association à but non lucratif au sens de la loi de 1901 et semble être un compromis au conflit existant.
Des aides privées pour promouvoir l’innovation de la presse
Le Fonds pour l’Innovation Numérique de la Presse, présidé par Ludovic Blecher, a été créé pour trois ans et s’est vu octroyé un capital de 60 millions d’euros dans le but d’encourager l’innovation et le développement de la presse sur Internet.
Un appel à candidature a été mis en place sur le site internet du FINP permettant aux éditeurs de postuler pour recevoir une aide de financement. Le 17 octobre 2013, une semaine après la clôture des candidatures, la première commission a retenu les sept projets les plus innovants sur les vingt-six premiers dossiers déposés. Ces projets pourront obtenir individuellement jusqu’à deux millions d’euros par an.
Les critères conditionnant le financement sont clairement définis par Google puisque quatre conditions sont requises pour pouvoir se porter candidat. Il doit s’agir d’un site de presse en ligne d’information politique et générale reconnue par la Commission Paritaire des Publications et Agence de Presse. D’autre part, ce projet doit être « nouveau » c’est-à-dire qu’il ne doit pas être antérieur au 1er janvier 2013 et il ne doit pas avoir déjà bénéficié d’un financement public. L’idée n’est pas celle d’une aide pour la modernisation mais pour la nouveauté. Enfin, le projet doit avoir un rôle innovant et participer à la mutation vers le numérique : il doit avoir pour intention d’accroître la présence de la presse sur les supports numériques, et donc être en lien avec les technologies d’Internet.
Touchée par la crise, la presse française voit donc une possibilité pour à la fois préserver ses emplois et la diffusion de journaux, tout en ayant de nouveaux moyens pour s’adapter au monde du numérique et donc préserver, voir renforcer, son audience.
Pour les mêmes raisons, Google s’était déjà retrouvé en conflit avec d’autres pays, notamment européens. Ainsi, les éditeurs allemands ont déjà soumis en 2012 un projet de loi « Lex Google » permettant un partage des revenus de Google News, mais également la presse belge qui a négocié un accord similaire en décembre 2012.
Grâce à ce fonds, la firme américaine prône un simple accompagnement des éditeurs dans leur développement numérique et non pas une indemnisation : elle devient alors un acteur de leur innovation.
Un financement soumis à de nombreuses critiques
La presse doit pouvoir faire face aux nouvelles mutations technologiques comme les réseaux sociaux ou encore l’explosion de l’audience sur les mobiles. Or, le moteur de recherche américain est en France à l’origine d’environ 40% des visites sur les sites d’informations ; c’est pourquoi la firme considère qu’il appartient aux sites de profiter du trafic qui leur est offert en adaptant leurs modèles économiques. Google ne vante donc aucun objectif de rentabilité (l’entreprise ne demande directement aucune orientation vers les outils Google), mais prône une volonté d’un outil à long terme. En s’imposant comme un nouveau mécène de la presse, Google renforce ainsi clairement sa position économique internationale et sa réputation en mettant en avant son image d’entreprise « responsable ».
La première critique est politique, puisque le Président de la République ainsi que la ministre de la Culture et la Communication et la ministre déléguée en charge de l’Economie Numérique étaient directement impliqués dans la conclusion de cet accord. Il s’agit donc d’aides privées soutenues par les pouvoirs publics. Au regard du gouvernement français, Google apparaît donc comme le principal média sur Internet permettant l’accès à l’information. La France possède pourtant son propre système d’aides à la presse qui mériterait pour commencer, selon le rapport de la Cour des Comptes, d’être retravaillé afin de gagner en efficacité.
Différentes craintes apparaissent au regard du droit de la concurrence. Tout d’abord car les sept administrateurs du FINP sont des éditeurs pionniers de la presse. Et même si ces derniers ne pourront pas voter pour les projets mis en œuvre par leurs organes de presse, ils connaîtront les futures stratégies mises en place par leurs concurrents ce qui risquerait de créer des conflits d’intérêts et donc des distorsions de concurrence. La transparence prônée par le FINP semble donc s’assombrir…
Certaines inquiétudes naissent aussi du fait de voir apparaître des ententes horizontales entre les éditeurs entre eux ; mais également des ententes verticales entre les éditeurs et Google notamment au travers de l’accord commercial secret mis en place entre les partenaires.
Dans ces critères de sélection, Google s’est limité aux seuls projets d’information politique et générale (IPG). La question reste alors de déterminer les contours de cette notion ce qui exclura naturellement certaines catégories de presse. En effet, l’AIPG ne peut avoir comme membres que des journaux « payants et imprimés », ce qui exclut donc les journaux gratuits (comme le 20 Minutes). D’autant plus que l’appréciation du projet « innovant » doit être étudié selon des critères subjectifs. C’est notamment la crainte du Syndicat de la Presse Indépendante d’Information en Ligne (SPIIL) qui craint de voir le principe de non-discrimination bafoué et les éditeurs se diviser entre eux. Ce syndicat remet d’autre part en cause le fait que l’innovation numérique devienne le monopole de ces seuls projets IPG.
Enfin, dans un pays qui prône l’exception culturelle, l’indépendance des médias est un principe fondamental. L’idée est que les médias doivent avoir les moyens de leur indépendance pour assurer une information transparente. Cependant, comme le relève le Sénat dans un rapport de septembre 2013, la France est un pays avec une politique très importante de soutien de la presse ce qui tend à entraîner une dépendance des éditeurs. L’immixtion de Google dans la presse française, et par conséquent la mise en place d’une tutelle étrangère, ne remettrait-elle pas en cause cette indépendance ?
SOURCES :
JURIST4MEDIAS « Aide à la presse : lancement du fonds Google, critiques du SPIIL et de la Cour des Comptes », www.Jurist4medias.fr, mis en ligne le 25 septembre 2013, consulté le 3 octobre : <http://www.jurist4medias.fr/2013/09/25/aides-a-la-presse-lancement-du-fonds-google-critiques-du-spiil-et-de-la-cour-des-comptes/>
BOTBOL (M.) « Fonds Google : conflit d’intérêt et distorsion de concurrence », www.spiil.org, mis en ligne le 19 septembre 2013, consulté le 4 octobre : <http://www.spiil.org/20130919/fonds-google-conflits-dinteret-distorsion-de-concurrence>